«Le voyageur est une sentinelle épidémiologique». La formule est signée Eric Caumes, président du Comité français des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation. Il en use dans son éditorial de la dernière livraison en date (N˚ 20-21, 29 mai) du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Cette publication de l’Institut français de veille sanitaire est consacrée aux recommandations sanitaires destinées aux voyageurs internationaux. Ses auteurs consacrent, sans surprise, une large place au paludisme, maladie emblématique du voyageur par sa fréquence et sa gravité. Et là, bonne nouvelle : la chute du nombre des cas d’importation sous nos latitudes. En France, on est ainsi passé en une décennie d’environ 8000 cas estimés/an à 3560 cas en 2011, avec une chute de 25% entre 2010 et 2011.
Cette baisse peut, en France, correspondre à des situations observées localement. «Par exemple, la chute spectaculaire du paludisme aux Comores est corrélée à une diminution importante (- 82%) des cas de paludisme d’importation en provenance des Comores» observe Eric Caumes. Les autres raisons permettant d’expliquer cette décroissance du paludisme d’importation sont nombreuses. «La large mise à disposition de moustiquaires imprégnées d’insecticides a certainement contribué à la diminution du paludisme dans les pays d’endémie. Ceci montre l’importance des mesures de protection personnelle antivectorielle (PPAV). La moustiquaire imprégnée n’étant pas beaucoup utilisée par les voyageurs, les autres éléments de la PPAV (utilisation de vêtements imprégnés d’insecticides, application de répulsifs sur les zones découvertes) doivent être constamment rappelés, d’autant qu’ils protègent aussi contre la plupart des nuisances et maladies transmises par piqûre d’insectes.»
Il faut aussi compter avec l’utilisation large des dérivés de l’artémisinine, qui a été un réel progrès dans la prise en charge du paludisme grave dans les pays d’endémie. La réduction de la mortalité a été considérée si importante que des essais thérapeutiques sans ces médicaments ne sont plus, aujourd’hui, considérés comme éthiquement acceptables.
Malgré ces progrès, tout laisse penser qu’il faut demeurer prudent, le parasite du paludisme n’étant pas sur le point de prononcer ses derniers mots. C’est ainsi notamment qu’il reconquiert aujourd’hui de nouveaux territoires comme celui de la Grèce, un pays par ailleurs en proie à bien d’autres tourments. «L’anophèle transmetteur n’est pas en reste, observe encore l’éditorialiste. Il s’est déjà adapté aux moustiquaires imprégnées d’insecticides. Au Sénégal, il sort tout simplement piquer les hommes plus tôt, avant l’heure classique du coucher (sous la moustiquaire). Enfin et surtout, des cas de paludisme, dont certains mortels, sont encore signalés chez le voyageur. Il nous faut donc rester vigilant.»
Quelles sont encore les raisons de la rupture aujourd’hui observée dans l’évolution de l’épidémiologie du paludisme d’importation en France métropolitaine ? On peut évoquer trois explications. La première est une accentuation de la diminution du nombre des voyageurs vers certaines destinations africaines (avec l’exemple de la Côte d’Ivoire). La seconde est une inadéquation entre les pics de voyageurs et ceux d’émission anophélienne (modifications climatiques, pluviométrie). La troisième réside dans la diminution régionale de la transmission en lien avec une meilleure efficacité des programmes de lutte contre le paludisme.
Il faut par ailleurs compter avec les données recueillies sur l’évolution des chimiorésistances aux antipaludiques en 2011. Les auteurs du BEH observent que les rares cas de chimiorésistance à la méfloquine et à l’atovaquone-proguanil en traitement curatif incitent à recommander des contrôles post-thérapeutiques tardifs (autour de J28) pour ces médicaments à longue demi-vie d’élimination. Ils soulignent d’autre part avec insistance qu’en dépit de la diminution des cas, il est impératif de maintenir les mesures de protection des voyageurs, d’autant qu’il existe toujours des formes graves et des décès.
Pour ce qui est de la chimioprophylaxie, le principe cardinal demeure : aucun moyen préventif n’assure à lui seul une protection totale. En d’autres termes, il convient d’insister sur la nécessité de l’observance simultanée d’une protection contre les piqûres de moustiques associée à la chimioprophylaxie. De même, toute fièvre au retour des tropiques, et quels que soient les symptômes associés, doit être considérée a priori comme pouvant être d’origine palustre. A ce titre, elle nécessite une consultation en urgence. A noter : environ 3% des paludismes à Plasmodium falciparum sont encore observés au-delà des habituels «deux mois suivant le retour».
Quelques conseils valent encore d’être rappelés. Quel que soit l’antipaludique choisi, il ne peut être délivré au futur voyageur que sur ordonnance médicale en conseillant sa prise au cours d’un repas. La prophylaxie doit être poursuivie après la sortie de la zone d’endémie pour une durée variable selon le médicament prescrit. Aucun produit n’étant toujours parfaitement toléré, il peut être admissible (du moins pour des personnes autonomes et bien informées, pour des séjours inférieurs à sept jours, dans une zone à très faible transmission et correctement médicalisée) d’avoir recours à la seule protection contre les moustiques.
Enfin, il importe de souligner qu’un traitement antipaludique sans avis médical pendant le séjour doit rester l’exception et ne s’impose qu’en l’absence de possibilité de prise en charge médicale dans les douze heures suivant l’apparition de la fièvre. La possession d’un médicament destiné à un traitement dit «de réserve» en zone d’endémie palustre peut se justifier lors d’un séjour de plus d’une semaine avec déplacements en zone très isolée, mais aussi dans des circonstances qui incitent, après avis d’un médecin référent, à ne plus poursuivre la chimioprophylaxie antipaludique : voyages fréquents et répétés, six mois et plus d’expatriation…
Pour finir, les tests de diagnostic rapide aujourd’hui disponibles sur le marché ne sont pas recommandés pour l’autodiagnostic, plusieurs études ayant montré que la majorité des voyageurs ne sont pas en mesure de réaliser correctement ces tests ou d’en interpréter les résultats. L’halofantrine (Halfan) ne doit pas être prescrite dans le cadre de l’autotraitement par le voyageur d’une fièvre suspectée de cause palustre, et ce en raison de sa cardiotoxicité potentielle. Les voyageurs doivent être informés des risques liés à l’achat de spécialités pharmaceutiques non certifiées : et ce en raison du très grand nombre de contrefaçons circulant dans les pays en développement, mais aussi des risques liés à l’achat de médicaments sur internet, dont ni l’origine, ni la composition ne sont jamais garanties.
«Le plus sage est d’emporter ses médicaments usuels en quantité suffisante (en double et dans deux bagages différents) de façon à éviter tout achat sur place, conseille le Dr Alain Fisch, chef du Service des maladies tropicales et des voyages, Centre hospitalier de Villeneuve St-Georges, Université Paris XI). Si l’on doit acheter des médicaments sur place, il faut se renseigner auprès des ambassades, des consulats, des ONG, des médecins occidentaux en poste localement… La contrefaçon ne concerne pas que les marchés populaires. Elle est partout. Les contrefacteurs de médicaments sont des criminels mafieux capables de tout et dont les réseaux infiltrent tous les pays en développement, grâce à la passivité des autorités locales ; quand elles ne sont pas impliquées de manière passive ou active dans ce commerce autant lucratif que criminel.»