En plus de ses composantes émotionnelles, hormonales et physiques, la sexualité remplit également une fonction sociale. Etudier ces interactions chez les adolescent(e)s migrant(e)s qui sont confronté(e)s en même temps aux changements développementaux et aux bouleversements des règles culturelles et sociales assimilées au cours de l’enfance – dans la mesure où elles diffèrent de celles du pays d’accueil – peut contribuer à améliorer la compréhension de la part des intervenants. La trajectoire personnelle, les ressources internes et externes qu’elles soient familiales ou professionnelles, sont susceptibles d’influencer le comportement, le vécu et l’issue en matière de santé sexuelle. L’exploration de la thématique se base sur les données de la littérature scientifique et des exemples issus de la pratique médicale.
La perception de la sexualité, le vécu émotionnel et physique, les joies et les interdits, restent profondément intimes, et cela malgré la place qui leur est accordée dans les débats publics et scientifiques. Le développement psycho-sexuel, s’il suit bien une certaine trame commune, est influencé par la biologie et les éléments biographiques de chacun.
La population issue de la migration englobe toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, dont les parents sont nés à l’étranger (Office fédéral de la statistique, OFS). Si les biographies migratoires peuvent bien comporter quelques éléments communs et comparables, il s’agit à chaque fois d’une expérience unique et très personnelle. L’expérience de la migration ou l’expérience migratoire de leurs parents, qu’elle soit forcée ou économique, vécue par le mineur seul ou en famille, va influencer son développement. Le regard, les difficultés et les priorités qui en résultent, diffèrent et chaque trajectoire laisse son empreinte spécifique. Le pays ou la culture d’origine, la présence d’une force ou d’une vulnérabilité personnelle, peuvent faciliter ou au contraire compliquer l’immigration et le processus d’acculturation. Ce n’est pas sans influencer sur le rapport à soi et à autrui, voire sur la dimension personnelle et relationnelle de la sexualité.
Aborder «la sexualité» des adolescents migrants est un exercice périlleux. En quoi leur sexualité serait-elle différente de celle des autres jeunes ? Des réflexions à partir de situations rencontrées en pratique médicale tentent d’explorer leur vécu. Des différences de genre étant identifiables dans la majorité des cultures, l’expérience relative à la sexualité se distingue sous plusieurs aspects entre filles et garçons, raison pour laquelle les professionnels doivent être attentifs aux résonances personnelles.
La sexualité des adolescentes intrigue et inquiète. Alors que la sexualité et la procréation sont souvent dissociées chez les adolescentes, elles sont le plus souvent abordées sous l’angle le mieux quantifiable, le comportement sexuel et les problématiques qui y sont liées.1,2 La pensée se centre sur leur prévention, le dépistage et la prise en charge. Peu de recherches se sont intéressées à la découverte du corps sexué, à l’imaginaire érotique ou à la découverte de l’autoérotisme. Si certains auteurs ont étudié le contexte, les motivations et la communication qui précèdent les relations sexuelles, ils n’ont pas différencié les adolescents migrants des autres.3
Les difficultés à étudier ces thématiques intimes chez des mineurs limitent les observations aux cas cliniques explorés. L’OFS titrait dans un communiqué de presse de 2002 : «la population de notre pays comprend un tiers d’immigrés ou de descendants d’immigrés».4 Il est dès lors évident que les observations isolées s’insèrent dans un contexte large. Une analyse et une compréhension meilleures des stéréotypes et des codes sociaux liés à la sexualité et qui varient d’une culture et d’une génération à l’autre, permettraient de prévenir le sentiment de rejet observé chez les garçons mais aussi l’impression d’abus ou de trahison, dont les filles font parfois état.
Qu’il s’agisse d’immigration forcée, économique ou clandestine, les jeunes parvenus récemment en Suisse sont parmi les adolescents les plus vulnérables sur le plan de la sexualité.5 Plus souvent que les autres, ils sont regroupés dans des classes d’accueil puis intégrés dans des classes de faible niveau avec des copains qui n’ont eux-mêmes que peu de connaissances des infections sexuellement transmissibles (IST), ou des méthodes contraceptives malgré des expériences sexuelles à un âge plus précoce.6
En particulier parmi les mineurs non accompagnés (MNA) se trouvent fréquemment des adolescentes avec un passé de victimisation (contexte de guerre, viols, fuites de pratiques sexuelles néfastes, de mariages forcés, exposition à la prostitution aussi des garçons).7 Ces adolescentes peuvent être en proie à des idées fatalistes à l’origine de comportements sexuels à haut risque et autodestructeurs en termes de santé. Une prise en charge précoce par une équipe aux compétences transculturelles vise la réduction de ces risques (cas n° 1).8 Elle vient en aide aux éducateurs et proches qui, de par leur rôle presque parental, éprouvent de la difficulté à aborder la sexualité.
A dix-sept ans, Dounia est amenée par sa tante qui l’a hébergée après son exode. Enceinte de quatre mois suite à un viol dans une ville portuaire, elle est traumatisée et terrorisée à l’idée d’être rejetée par ses proches. Ne parlant pas le français, toute la communication passe par une interprète communautaire qui participe à l’important travail d’intégration, mais elle n’a ni l’habitude de parler de sexualité ni de connaissance dans le domaine. Après avoir compris la souffrance de sa nièce, la tante l’encourage à se confier aux autres, à adopter un nouveau mode de vie sans renier son attachement à sa famille d’origine. L’acquisition rapide du français lui permet de faire des choix entre les préceptes différents d’une culture à l’autre. Un an plus tard, malgré des projets de mariage, elle fait spontanément la demande d’une contraception.
La pratique montre que les jeunes migrants de la seconde génération, définis par l’OFS comme descendants de parents migrants, se rapprochent dans leur vision et leur comportement, de leurs pairs suisses, comme leurs aînés acculturés.9 Ce rapprochement a un prix. Il peut déclencher des conflits 2 là où il se différencie trop des attentes familiales obéissant aux concepts patriarcaux avec des valeurs relatives à la sexualité, aux rôles attribués10 et à l’identité sexuelle,11 plus restrictives. Pour éviter la confrontation, beaucoup de filles optent pour une vie secrète et préjudiciable. Méconnues par les professionnels, elles échappent à la prévention et la prise en charge (cas n° 2). Parfois, l’attachement aux valeurs communautaires peut aussi être un facteur protecteur.12,13
La jeune musulmane de treize ans est hospitalisée pour des douleurs abdominales d’origine indéterminée. L’hypothèse diagnostique est celle d’une somatisation suite au décès de son père un an plus tôt. Une grossesse de huit semaines est diagnostiquée deux semaines après la sortie. Ni les médecins ni les infirmières n’avaient évoqué la possibilité d’une grossesse chez cette jeune issue d’un milieu où les interdits face à la sexualité avant le mariage sont connus.
Quand les pulsions sexuelles et les besoins affectifs s’éveillent, les migrants «temporaires» appartenant en règle générale à des familles à haut revenu peuvent rencontrer des difficultés au même titre que des jeunes défavorisés. Quelles sont les valeurs à faire siennes, celles du pays précédent, de l’actuel, du suivant, les personnes à qui faire confiance (cas n° 3) ?
L’adolescente de quatorze ans consulte en urgence en raison d’un abcès de capuchon clitoridien. Shawn qui a suivi sa mère, au bénéfice d’un échange interuniversitaire d’une année, paraît très renfermée sur elle-même. Refusant toute interaction sociale, elle n’attend que de rentrer à la maison pour reprendre sa vie de petite fille. La création d’un lien de confiance avec la gynécologue permet finalement d’aborder l’activité auto-érotique importante. Culpabilisée, elle a besoin d’être rassurée. L’ouverture progressive à un cercle d’amies lui permet de jouir progressivement de son autonomie grandissante et d’accepter sa féminité.
Alors que les uns sont stimulés par ces défis, d’autres, en perte de repères, angoissent et s’isolent14 (cas n° 2) ou entament une fuite en avant, bravant les interdits, profitant des parents absents ou absorbés par leur propre expérience d’expatriés (cas n° 4).
Judith, âgée de quinze ans, migre d’un pays et d’un internat prestigieux à l’autre au gré des déplacements des parents. Durant l’enfance, elle a à chaque fois réussi à se faire rapidement des amies mais les départs successifs et déchirants ont entraîné des blessures. Anticipant déjà son départ programmé dans six mois, elle se réfugie dans les relations sexuelles avec des inconnus par crainte de nouvelles ruptures ressenties comme des abandons répétés.
Des lacunes importantes en termes de connaissance et d’information sur l’accès aux soins sont encore fréquemment observées chez les migrants arrivés en fin de scolarité et qui n’ont pas bénéficié de l’éducation sexuelle progressive à l’école. L’éducation sexuelle vaudoise prodiguée à tous les jeunes scolarisés semble cependant contribuer15 au rapprochement en termes d’utilisation de contraceptifs par les adolescentes de deuxième génération, car alors que l’écart reste important entre femmes adultes de nationalité étrangère et femmes de nationalité suisse ayant recouru à l’interruption de grossesse (11,7‰ versus 5,4‰), le taux d’interruptions de grossesse des jeunes de 15 à 19 ans de nationalité étrangère continue de baisser dans le canton de Vaud.16 Toutefois, le taux de grossesses est plus important chez les étrangères que chez les Suissesses (1,25% contre 0,4% des femmes âgées de 15-44 ans), en particulier chez les migrantes originaires d’Afrique, d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud, de l’ex-URSS, de l’Europe de l’Est et de l’Europe méridionale.16,17
A l’étranger mais aussi en Suisse, le taux de naissances chez les mères adolescentes est proportionnellement plus élevé parmi les minorités ethniques ou culturelles et parmi les femmes n’ayant pas achevé leur formation.17 Les adolescentes originaires de pays d’Afrique et d’Amérique du Sud sont les plus concernées.18 Les possibles explications sont les flux migratoires plus récents et l’ancrage social de la fécondité adolescente.19 Les ressortissantes de pays d’Afrique représentent en Suisse 5,64% des mères adolescentes contre seulement 2,28% des mères majeures et les ressortissantes d’Amérique du Sud 4,56% des mères adolescentes mais uniquement 1,6% des mères majeures. Toutes ethnies non caucasiennes confondues, ces différences apparaissent encore plus importantes (elles comptent pour 15,18% des mères adolescentes alors qu’elles représentent seulement 7,9% des mères adultes) (tableau 1).18
La naissance d’un enfant interfère de manière importante avec les projets de vie prédominant à l’adolescence tels que l’acquisition d’une formation et de l’autonomie.20 Il se pose ainsi la question, si le taux d’interruptions de grossesse pour 100 naissances vivantes qui est plus bas chez les adolescentes étrangères,16 est l’expression d’un héritage culturel différent (grossesses traditionnellement plus précoces,19 maternité comme seul modèle de vie, sexualité autorisée uniquement dans une relation maritale) ou d’une absence de projets scolaires ou professionnels20 et d’un accès aux soins plus tardif.
Même si la situation des enfants et des adolescents n’est pas abordée spécifiquement dans la stratégie fédérale récente, relative à la migration et la santé,21,22 l’aide suisse contre le sida 5 s’inquiète des risques encourus par les jeunes migrants. Dans une étude de faisabilité à la maternité du CHUV, 11,1% des femmes en âge de procréer (suissesses et étrangères) ont rapporté avoir contracté une IST.23 La proportion était la plus élevée chez les femmes asiatiques, puis chez les femmes originaires d’Afrique subsaharienne. 40% des femmes, s’estimant plutôt mal informées par rapport aux IST autres que le VIH, ne seraient pas en mesure de transmettre les informations indispensables à leurs enfants adolescents.
Plusieurs des aspects exposés font que les adolescents migrants, et plus particulièrement les filles, sont à risque de violences sexuelles et communautaires. Le mariage forcé, parfois coutumier, en fait partie alors que le mariage avant 18 ans est interdit en Suisse depuis 1996 (Art 94 al 1, CC). Il est beaucoup question des adolescents, auteurs de violences (agressions sexuelles, contraintes physiques à l’encontre de membres féminins de la famille, crimes d’honneur). L’idée qu’un adolescent puisse lui-même être victime est peu présente dans l’esprit des professionnels (cas n° 5). Il n’est également point fait état des peurs des familles migrantes. La volonté de protéger leur fille des dangers environnants (violence, criminalité, etc.) semble être une raison pour certains pères d’accentuer l’importance de la virginité de leur fille, plus que la crainte d’une sexualité précoce et hors mariage (cas n° 6).24
Ahmed, un réfugié mineur non accompagné de dix-sept ans, a fui le pays après que sa relation amoureuse avec une fille du village ait été découverte. Menacé au couteau, il a entamé une errance. A son arrivée en Suisse, il a fait une demande d’asile. Le sentiment de culpabilité envers sa famille et la fille dont il n’a pas de nouvelles, le maintient dans un état de passivité dépressive qui l’empêche de s’investir dans son avenir. Ce dernier est de plus assombri par la crainte d’un renvoi mettant sa propre vie en péril.
A douze ans, Flores fugue pendant trois jours. Elle est hébergée par un ami. De retour au domicile familial, la mère l’amène pour un examen de «virginité» alors que sa fille dit ne pas avoir eu de rapports sexuels. Les discussions successives avec la fille et les parents mettent en évidence les difficultés relationnelles entre eux. La consultation, motivée par une fausse présomption et la sexualisation erronée d’une problématique, fournit à la fille l’occasion d’exprimer son désir d’autonomie et aux parents la possibilité d’exprimer leur détresse et les difficultés à cadrer leur fille.
Le comportement sexuel diffère entre les jeunes migrantes et migrants. Plus de garçons que de filles ont déjà eu des rapports sexuels entre 16 et 17 ans. Chez les Suisses, au contraire, plus de filles que de garçons ont déjà eu des rapports sexuels 6 mais la connaissance de la contraception ne varie guère.
Alors que le machisme 25 persistant dans certaines cultures veut que l’intégration des hommes passe aussi par des conquêtes sexuelles, beaucoup de filles restent soumises aux normes valorisant la virginité. Certaines qui ont transgressé cette norme, le regrettent, n’osant pas se démarquer de ce contrôle de la sexualité des femmes 26 qui, dans certains cas, peut menacer leur existence. Les reconstructions hyménales répondent à la détresse mais perpétuent la fausse croyance que le premier rapport sexuel est obligatoirement associé à une déchirure hyménale,27 suivie d’un saignement.
Même si tel n’est pas le cas, la persistance de normes sexuelles différentes selon le genre agit bien au-delà de la vie sexuelle en tant que véritable déterminant social qui influence négativement l’égalité des chances. Ces normes sont à l’origine d’une domestication sexo-spécifique des jeunes filles qui arrivent en Suisse après l’âge de la scolarité obligatoire. La limitation des contacts ne leur permet non seulement pas d’accéder aux informations préventives mais les empêche également d’acquérir les compétences sociales et linguistiques indispensables à une intégration professionnelle et une indépendance économique future.
D’autres filles s’engagent dans des pratiques sexuelles à risque promettant de préserver la virginité, tels que les rapports anaux ou oraux. Questionnées par les soignants uniquement sur l’existence de rapports sexuels, elles sont souvent privées d’informations ou de traitements précoces. Si de plus elles omettent de consulter, par crainte erronée de mettre en péril leur « virginité» par un examen gynécologique, il n’est pas surprenant de découvrir des infections à Chlamydia ou une grossesse chez une jeune fille «vierge».
Les filles d’origine étrangère ont plus de propension à confier la responsabilité de la contraception à leur partenaire 2,28 ce qui est particulièrement problématique quand on sait que les jeunes migrants ont besoin d’être rassurés par rapport aux performances sexuelles.29 Une anamnèse sexuelle bien conduite qui ne se limite pas à l’exploration des connaissances, révèle d’ailleurs souvent que la non-utilisation du préservatif est due à une crainte de troubles érectiles.
Les jeunes migrants expriment le besoin d’avoir une sexualité mais trouver une partenaire stable n’est pas toujours aisé surtout pour les jeunes hommes étrangers29 en raison de valeurs sexuelles différentes ou d’une certaine connotation négative. Ces obstacles peuvent favoriser les comportements à risque (relations de passage mal protégées, recours à la prostitution, transgressions sexuelles) ou être à l’origine de souffrances s’exprimant par une dysfonction sexuelle (cas n° 7).
Fernando est un jeune bolivien de dix-huit ans, en situation illégale en Suisse. Il apparaît tiraillé entre un retour au pays et l’espoir de s’installer dans une vie même précaire en Suisse. Fiancé à une fille d’origine espagnole, migrante de la deuxième génération, il consulte pour des troubles érectiles. Questionné sur sa relation, il se dit constamment dénigré et rabaissé par son «futur beau-père» qui le suspecte de vouloir se marier pour obtenir un permis de séjour. Non seulement il se sent dévalorisé et blessé dans sa fierté masculine mais il culpabilise aussi d’avoir abandonné son premier amour, resté au pays. Malgré les risques de renvoi, il finit par rompre ses fiançailles et rencontre un peu plus tard une jeune femme suisse dont il tombe amoureux. Sa famille l’accepte sans préjugés. Les relations sexuelles sont sans problème.
Contrairement aux idées préconçues, il s’avère que les jeunes migrants éprouvent un fort besoin de parler de sexualité2 et plus particulièrement des pratiques sexuelles.29 Au même titre que les filles qui ont plus facilement accès aux gynécologues ou au planning familial,30 ils devraient pouvoir bénéficier de consultations adaptées, si nécessaire confidentielles,2 et profiter en complément d’internet d’informations adaptées par exemple par des films. Les filles par contre apprécient de trouver des informations dans les magazines ou les livres.6
Les adolescentes confient leur première expérience sexuelle plus facilement à leur mère mais tel est significativement moins le cas chez les filles de nationalité étrangère et les garçons n’en parlent pratiquement pas.28 Cela explique l’observation fréquente lors de demandes d’interruption de grossesse que les parents, en premier souvent la mère, apprennent l’activité sexuelle de leur enfant à cette occasion. D’autres encore consultent seules sous le couvert de la confidentialité.
Les professionnels peuvent être tentés de promettre la confidentialité absolue et le «partage du secret» pour gagner la confiance des jeunes, au risque de ne pas répondre adéquatement à leur besoin d’aide et de protection (cas n° 8). Parfois il est essentiel d’étendre le champ de l’intervention à la famille ou à d’autres professionnels médico-sociaux (idéation suicidaire, abus sexuel, violences, grossesse chez une adolescente menacée de crime d’honneur).31 Entrer en relation avec ces parents peut permettre d’établir la communication sur des thèmes délicats et potentiellement conflictuels tels que la sexualité.32
De peur d’être enceinte, Djamila, seize ans, consulte une permanence. Une grossesse de dix semaines est diagnostiquée. Paniquée, elle refuse d’en parler à ses parents, affirmant que son père va la tuer. Saisi d’inquiétude et de compassion, le médecin lui assure la confidentialité mais Djamila n’arrive plus à trouver de prétexte pour se libérer et venir en consultation. Les semaines passent. Au moment où elle ne peut plus cacher la grossesse à sa mère, celle-ci reproche amèrement au médecin de ne pas lui en avoir parlé et de l’avoir empêché d’aider sa fille à accéder à une prise en charge adéquate.
La sexualité des adolescents migrants se développe dans le cadre de la recherche d’autonomie et l’apprentissage de la communication avec l’autre sexe. Une évolution positive contribue favorablement au bien-être et à l’estime de soi.33 Leur situation particulière crée des besoins spécifiques et cette forme d’accompagnement nécessite des compétences transculturelles. Une meilleure compréhension du système des valeurs des jeunes migrants est nécessaire pour améliorer la prévention et la protection contributive de la santé sexuelle et du maintien de la santé reproductive. Ces connaissances devraient également contribuer à établir une meilleure relation de confiance entre l’adolescent et le professionnel de la santé, voire de tout intervenant.
> Les interdits culturels ou une éducation restrictive ne suppriment ni le désir sexuel ni ses possibles conséquences. L’ignorer peut en retarder le diagnostic clinique
> Afin de répondre efficacement aux besoins des adolescent(e)s migrant(e)s de la deuxième génération, il est nécessaire d’aborder les doubles messages auxquels ils (elles) sont exposé(e)s et leurs ressources pour les gérer
> En particulier chez les migrantes non accompagnées, il est indispensable d’explorer l’éventualité d’un passé de violences sexuelles, de prostitution contrainte et de situation à haut risque de contamination VIH et IST, afin de mettre en place une approche thérapeutique et préventive adéquate
> Certaines adolescentes ont fui des mariages forcés ou des pratiques sexuelles néfastes (mutilations génitales féminines), il relève de la responsabilité des soignants de prévenir ces pratiques aussi chez les migrantes vivant en Suisse
En plus de ses composantes émotionnelles, hormonales et physiques, la sexualité remplit également une fonction sociale. Etudier ces interactions chez les adolescent(e)s migrant(e)s qui sont confronté(e)s en même temps aux changements développementaux et aux bouleversements des règles culturelles et sociales assimilées au cours de l’enfance – dans la mesure où elles diffèrent de celles du pays d’accueil – peut contribuer à améliorer la compréhension de la part des intervenants. La trajectoire personnelle, les ressources internes et externes qu’elles soient familiales ou professionnelles, sont susceptibles d’influencer le comportement, le vécu et l’issue en matière de santé sexuelle. L’exploration de la thématique se base sur les données de la littérature scientifique et des exemples issus de la pratique médicale.