Cette injonction de mes parents résonne encore dans mes oreilles. «Les bêtises de tes camarades ne sont pas une raison d’en faire toi-même. Tu dois montrer l’exemple, le bon exemple.» Les années ont passé. Ces propos moralisateurs n’ont plus cours et peut-être sont-ils délétères. La règle d’une société compétitive, c’est de travailler en priorité à la réalisation de soi-même. Inutile de devenir un modèle de moralité ou de dévouement. On doit évidemment soigner ses potes et ses clients, faire ami-ami, mais le principe dominant, c’est de rouler chacun pour soi. Itou en politique.
L’Etat doit-il montrer l’exemple lorsqu’il surveille les caisses maladie ? Certainement. On attend qu’il le fasse avec rigueur et y consacre les ressources nécessaires. L’Office fédéral de la santé publique (après celui des assurances sociales) a longtemps affirmé que c’était le cas. Tout est sous contrôle. Circulez ! Il n’y a rien à voir. Nous avons pourtant fini par comprendre que l’Office manquait de moyens et qu’il n’avait guère que le pouvoir de vérifier les additions et d’exiger une augmentation des primes insuffisantes pour assurer la solvabilité de l’assureur. Qu’a-t-il fait pour corriger les primes excessives dénoncées depuis bientôt treize ans à Genève ? Apparemment rien. Il faut dire que c’est facile de charger ceux qui coûtent déjà cher. Ça ne surprend pas et même les intéressés ne peuvent que faire acte de contrition.
Je relis en effet un article de la Tribune de Genève daté du 12 octobre 2000. Il nous apprend, quel scoop, que le Département de l’action sociale et de la santé publique a trouvé comment baisser les primes d’assurance-maladie. Thérèse Laverrière, alors directrice du Service de l’assurance-maladie, a constaté en trois ans une différence de 86 millions entre les montants versés au fonds de compensation par certains assureurs et ceux perçus. Ainsi les caisses constituent des réserves en surestimant leurs besoins et en augmentant excessivement les primes sans correction ultérieure. Il y a même une surestimation importante des dépenses pour les EMS. Ce papier conclut que le Conseil d’Etat a décidé d’adresser ses observations à Ruth Dreifuss. Dont acte.
Si le canton s’en rend compte à ce moment, c’est qu’il obtient un droit de regard sur les comptes des caisses dès juillet 1999, nous dit-on. Le temps a passé et les réserves abusives ont grossi. Le message du Conseil fédéral déposé l’année dernière1 fait état de 462 millions payés en trop par les assurés du canton de Genève, état 2010. Zurich, Vaud, Tessin, Neuchâtel, Thurgovie et Bâle-Ville sont dans la même situation. Sous la pression des cantons concernés, le Conseil fédéral a bien dû admettre qu’il y avait un problème et s’est fendu d’une proposition à mi-chemin entre homéo et naturopathie. La taxe CO2 sera utilisée pour faire une compensation très partielle. Ceux qui ont trop peu payé rétrocéderont au plus le montant de cette taxe, ceci pendant au maximum six ans. Ma police d’assurance-maladie indique une rétrocession de 2.95 francs par mois soit moins de 1% de ma prime d’assurance obligatoire. Je vois mal comment on arrivera à corriger à 49% le trop payé par les assurés genevois…
Et voilà que la Commission CSSS-E rejette le principe de cette compensation, déjà fort symbolique, au motif que des assurés qui ont changé de canton pourraient passer deux fois à la caisse. L’indignation est générale. Les primes doivent être fixées par canton. Si elles ont permis la constitution de réserves excessives dans un canton, il faut les réduire jusqu’à correction des réserves. Ça ne paraît pas très compliqué. Mais le projet biscornu présenté par le Conseil fédéral tient de l’art de noyer le poisson. Il m’a d’ailleurs fait douter de ma calculette. Selon le tableau qui figure dans le message du Conseil fédéral, 1846 millions ont été payés en trop dans sept cantons et 1193 millions manquent dans les autres. Où est passé la différence ? Les assureurs le savent peut-être…
La manière dont fonctionnent nos autorités est de moins en moins lisible. Le verbe gruger ne se trouve pas dans la Constitution fédérale, ni dans la LAMal. Et ne me dites pas que cette histoire de primes perçues en trop résulte d’une malheureuse erreur de calcul. Si c’était vrai, il y a longtemps qu’elle aurait été corrigée. Ne me dites pas non plus que le Surveillant des prix confond prix et coûts en toute innocence. Que le prix des actes médicaux n’augmente pas plus que les salaires et les prix à la consommation paraît légitime. Mais geler les coûts en compensant toute augmentation de volume par une baisse de prix n’est applicable dans aucun domaine économique. En somme, le message est : si vous travaillez plus, vous gagnerez moins ! La neutralité des coûts de l’introduction de Tarmed est désormais une mystification entretenue par les assureurs-maladie et répétée en chœur par le Surveillant des prix, le Conseil fédéral et les parlementaires.
A qui faire confiance aujourd’hui ? Aux banquiers ? Aux top-managers ? Aux politiques ? Aux instances judiciaires ? En tout cas pas à ceux qui puisent leur inspiration dans des méthodes de voyous ou s’en accommodent. L’équité reste incontournable. «Montre le bon exemple !» disaient mes parents.
Cet article a été publié dans la Lettre de l’AMG, numéro 1, janvier-février 2013.