L’épidémie du nouveau coronavirus qui semble aujourd’hui émerger dans plusieurs pays du Moyen Orient préfigure-t-elle celle de SRAS apparue il y a dix ans en Asie ? La question ne peut manquer d’être soulevée. Elle l’est notamment dans un commentaire qui accompagne, dans The Lancet Infectious Diseases, la publication1 d’un travail mené sur ce thème par une équipe dirigée par le Pr Christian Drosten (Institut de virologie du Centre médical universitaire de Bonn). Ce commentaire est signé des Prs Benoît Guéry (CHU de Lille) et Sylvie van der Werf (Institut Pasteur de Paris).
Le nouveau coronavirus qui circule depuis plusieurs mois dans la Péninsule arabique est désormais connu sous le nom de MERS-CoV (Middle East respiratory syndrome coronavirus). Depuis la publication,2 en juin 2012, de sa première identification (Rev Med Suisse 2012;8:1942-3), l’OMS fait état de cinquante-cinq cas officiellement recensés parmi lesquels trente et un morts. Ce virus a désormais été formellement identifié en Arabie Saoudite, au Qatar, aux Emirats Arabes Unis et en Jordanie. Il l’a également été chez des personnes de retour de ces pays en Tunisie, au Maroc, en France, en Italie, au Royaume-Uni et en Allemagne. L’OMS souligne que des transmissions locales ont été observées dans plusieurs pays, dont la France. En d’autres termes, la transmission interhumaine n’est plus une simple hypothèse.
En dépit de recherches menées par différentes équipes spécialisées, de nombreuses incertitudes demeurent quant aux mécanismes moléculaires grâce auxquels ce nouveau virus parvient à tuer une proportion élevée des personnes qu’il infecte. La physiopathologie de cette infection virale reste pour une large partie à écrire. C’est dire l’intérêt que l’on peut accorder à la publication de l’équipe allemande. Elle fournit ce qu’elle présente comme étant la première description complète à la fois clinique et virologique d’un cas mortel d’infection par le MERS-CoV. Les Prs Christian Drosten et Clemens-Martin Wendtner (Interdisziplinäres Onkologisches Zentrum, Munich) rapportent le cas d’un homme âgé de 73 ans, hospitalisé pour un syndrome grippal avec toux non productive suivi d’une détresse respiratoire, compliquée d’une insuffisance rénale puis d’un choc septique et d’une défaillance multi-organes terminale. Initialement pris en charge à Abou Dhabi (Emirats Arabes Unis), ce malade est mort dix jours après son hospitalisation à la Klinikum Schwabing de Munich.
Chez ce malade (traité préalablement pour un myélome multiple diagnostiqué en 2008), le MERS-CoV a été détecté dans les échantillons de fluide bronchique, les concentrations virales les plus élevées étant retrouvées dans les échantillons provenant des voies respiratoires inférieures. Ce virus était également présent dans les échantillons urinaires et dans les selles. Il n’a pas été retrouvé dans le sang. Les charges virales maximales dans les échantillons provenant des voies respiratoires inférieures ont atteint 1,2 × 106 par ml et celles dans les échantillons d’urine 2691 par ml. Dans les selles, la présence virale a été de 1031 copies par gramme, soit un niveau proche de la limite inférieure de détection du test.
La principale question de santé publique internationale qui est aujourd’hui soulevée concerne les similitudes virologiques pouvant ou non exister entre le MERS-CoV et le SRAS-CoV. Ce dernier avait, entre mars et juillet 2003, provoqué à partir de Hong Kong une épidémie mondiale de syndrome respiratoire aigu sévère ; soit au total plus de 8000 cas probables ou confirmés et 774 décès dans vingt-cinq pays et à travers cinq continents. On se souvient aussi que seule une coopération internationale exemplaire avait permis de contenir l’extension de ce phénomène, et ce en l’absence de thérapeutique efficace.
Les deux spécialistes français soulignent que leurs collègues allemands évoquent l’hypothèse selon laquelle les reins des personnes infectées pourraient être la cible principale de ce virus. Sa présence dans les urines pourrait alors être un facteur de mauvais pronostic comme en témoigne le cas pris en charge à Munich. On pourrait toutefois s’attendre dans ce cas à de plus fortes concentrations virales urinaires. Une autre possibilité : la présence de petites concentrations virales dans les urines et dans le sang serait le reflet d’une diffusion systémique de cet agent pathogène, ce qui correspondrait à un facteur de très mauvais pronostic comme le montre le cas allemand ainsi que celui qu’ils ont pu eux-mêmes décrire récemment en France et publier dans The Lancet.3
Les deux spécialistes français estiment que sur la base de ce qui est connu du SRAS, l’épidémie émergente observée dans la Péninsule arabique pourrait n’être encore que dans sa phase initiale. Les virologues allemands ont comparé les résultats des analyses effectuées du génome viral avec ceux des fragments des autres génomes déjà connus de ce virus. L’analyse comparée leur a bien permis d’établir l’existence de «liens de parenté» avec les MERS-CoV circulant actuellement au Qatar et aux Emirats Arabes Unis. Ils datent l’émergence de cette nouvelle souche virale à la mi-2011, soit un an avant son premier isolement en Jordanie.
Faut-il rejoindre les spécialistes français lorsqu’ils évoquent le fait qu’au vu des données historiques de l’épidémie de SRAS on pourrait être aujourd’hui dans la phase initiale de l’épidémie de MERS-CoV ? Si oui, l’heure est à l’élaboration en urgence des essais thérapeutiques originaux, ne serait-ce que pour tenter de garder une longueur d’avance sur le génie pathologique de ce nouveau virus. «Le temps est maintenant venu de concevoir et d’évaluer des protocoles thérapeutiques. A partir des cas décrits, dans la littérature scientifique, d’aggravation de l’état respiratoire à partir de symptômes pseudo-grippaux conduisant à une détresse respiratoire aiguë, une fenêtre thérapeutique potentielle pourrait être définie» soulignent-ils. Les protocoles élaborés pour le SRAS pourraient notamment être repris en sachant qu’il faut tenir compte des différences majeures dans les susceptibilités et les réponses individuelles.4
Pour l’heure, l’interféron-alpha (associé ou non à la ribavirine) semble être un candidat prometteur comme en témoignent deux publications récentes. D’autres options sont à l’étude comme des inhibiteurs de la protéase principale ou des anticorps monoclonaux. «Une recherche collective devrait tirer ici les leçons du SRAS et user des données disponibles pour garder une longueur d’avance sur l’épidémie, soulignent les Prs Guéry et van der Werf. Un protocole thérapeutique unique, fondé sur celui décrit dans le cadre ISARIC/WHO,5 est nécessaire pour identifier quelles sont les meilleures stratégies d’intervention.»
Cet appel au bon sens sera-t-il entendu ? L’urgence est là : les autorités saoudiennes craignent désormais officiellement une extension imminente de l’épidémie : des milliers de pèlerins sont attendus à partir du 9 juillet à La Mecque pour le «petit pèlerinage» ; en attendant le «grand», programmé en octobre. Aucune restriction aux voyages internationaux n’a été (encore) annoncée. L’OMS recommande aux autorités sanitaires nationales «de rester vigilantes». Un dépistage du MERS-CoV est recommandé chez tous les voyageurs récemment revenus du Moyen-Orient et chez lesquels on observe des signes d’infection respiratoire et intestinale. Sera-ce suffisant ?