La prévalence des fractures du bassin, parmi tous les patients victimes de traumatismes non perforants, varie entre 5 et 12 %.1,2 La mortalité globale est de 6 % et s’élève jusqu’à 40 % lorsque ces fractures sont accompagnées d’une instabilité hémodynamique (10 % des cas).1
La détection précoce d’une fracture du bassin est une étape essentielle afin de réduire les pertes sanguines. Jusqu’à récemment, la pratique courante proposait de «tester» la stabilité du bassin en appuyant sur la symphyse pubienne, puis les crêtes iliaques, afin d’identifier une sensibilité ou une instabilité comme indicateur d’une possible fracture.2 Aujourd’hui, il est recommandé de surseoir à ce geste qui ne permet de mettre en évidence que des atteintes importantes du bassin, mais qui contribue surtout à augmenter le saignement en empêchant la formation de caillots. Une étude prospective a démontré que cette évaluation manuelle du bassin présente une spécificité de 71 % et une sensibilité de 59 % seulement, ce qui conforte les experts dans leur proposition de ne plus effectuer cette manœuvre.3
Il existe par ailleurs une incidence élevée de traumatismes majeurs du bassin, non suspectés en raison d’une altération de l’état de conscience du patient.4,5 Les intervenants doivent ainsi s’appuyer avant tout sur la compréhension du mécanisme du traumatisme et sur les éléments cliniques indirects pour suspecter une éventuelle fracture.6
Lors d’une suspicion anamnestique ou clinique de fracture du bassin, il est recommandé de mettre en place un dispositif de contention circonférentiel permettant de comprimer les sources hémorragiques potentielles, en réduisant le volume du bassin et en diminuant son ouverture par un effet de compression.7 Cette stratégie permet la réduction de 60 % en moyenne de la taille du diastasis de la symphyse pubienne causé par le traumatisme.8
Le premier dispositif circulaire compressif utilisé consistait en de simples draps enroulés et serrés autour du bassin.9,10 Bien que rudimentaire, ce système a démontré son efficacité tant d’un point de vue radiologique qu’hémodynamique.11,12
L’utilisation de la première ceinture pelvienne préhospitalière date, elle, de 1999.13 Depuis lors, de nombreux dispositifs ont vu leur apparition sur le marché. Ils sont plus rapidement mis en place et nécessitent moins d’expertise que l’anneau pelvien chirurgical (pelvic C-clamp),14 par ailleurs peu adapté au préhospitalier. L’utilisation de ces ceintures a également montré une réduction du nombre de produits sanguins transfusés et des durées de séjour hospitalier plus courtes que lors de l’utilisation d’anneaux pelviens.15,18
Bien que ces dispositifs circonférentiels compressifs soient aujourd’hui largement utilisés en préhospitalier et recommandés par l’American College of Surgeons dans la prise en charge des polytraumatisés (ATLS), le niveau d’évidence reste faible. À ce jour, aucune étude prospective n’a permis de mettre en évidence un éventuel impact sur la mortalité.16
Lors de toute suspicion de fracture du bassin, en raison des circonstances du traumatisme (cinétique de l’accident, déformation des véhicules) et/ou de l’état clinique du patient, en particulier lorsque le blessé présente une altération de l’état de conscience, la mise en place d’une ceinture pelvienne est requise. L’examen manuel du bassin n’est pas recommandé pour déterminer l’indication à poser une ceinture. L’utilisation d’une ceinture est particulièrement indiquée lors d’une fracture de type B selon la classification de Tile ou de type open book, car elle permet une fermeture du bassin. Son efficacité sur les différents types de fractures du bassin reste à déterminer précisément.18 En particulier, son impact sur les fractures de type C, qui présentent non seulement une instabilité rotatoire mais également verticale, n’est pas défini actuellement.
Chez les patients traumatisés orientés et collaborants, en l’absence de lésion associée qui pourrait faire diversion, il est possible de surseoir à la pose d’une ceinture pelvienne s’ils ne présentent aucune douleur de la région pelvienne.
Il existe plusieurs dispositifs de compression circulaire pouvant faire office de ceinture pelvienne, allant d’un drap que l’on resserre à l’aide d’un tourniquet,11 à une large sangle munie de bandes Velcro.15 Certains dispositifs permettent une contention ajustée grâce à un système de déclenchement dynamométrique. Une étude a comparé l’utilisation des deux dispositifs les plus communément utilisés aujourd’hui, le T-POD et le SAM Pelvic Sling II (figure 1). Les résultats indiquent que tous deux peuvent être rapidement mis en place avec un taux de réussite de 100 % en moins de 60 secondes en moyenne.17
Les pantalons pneumatiques (pneumatic anti-shock garments) ou les combinaisons antigravité (G suits) ne sont plus recommandés, car en plus des difficultés rencontrées pour les mettre en place, ils limitent l’accès au bassin et à l’abdomen.8
La pose d’une ceinture pelvienne nécessite au minimum deux intervenants entraînés à cette technique qui coordonnent leur action afin que le geste soit rapide, efficace et le moins délétère possible. La ceinture se positionne sur un patient en décubitus dorsal. La technique de pose consistant à glisser la ceinture sous les genoux, puis de la remonter vers le bassin est décrite dans le tableau 1. Une autre solution consiste à glisser la ceinture sous les vertèbres lombaires du patient et de la descendre ensuite au niveau des grands trochanters.
La bascule du patient sur le côté (log roll) doit être évitée en présence d’une suspicion de lésion du bassin, au même titre que son «testing», cette manœuvre pouvant contribuer à aggraver l’hémorragie.8 Une fois la ceinture mise en place, si le patient n’est pas déjà positionné sur un dispositif de relevage (planche, matelas à dépression), la relève devrait se faire à l’aide d’une civière à aubes, en évitant tout mouvement de rotation du bassin.
La nature et le nombre d’effets indésirables sont mal documentés à ce jour. Des cas isolés de lésions cutanées dues à des pressions excessives ou à une utilisation prolongée ont été décrits.18,19
La ceinture pelvienne peut être laissée en place pendant la prise en charge aux urgences, y compris pour réaliser des gestes thérapeutiques (artériographie), ou peut être remplacée par un autre dispositif (fixateur externe, anneau pelvien chirurgical).À l’exception d’une décision stratégique visant le remplacement du dispositif hémostatique en place, la ceinture pelvienne ne devrait pas être retirée tant que la présence d’une fracture n’a pas été formellement exclue.
> Les fractures du bassin peuvent être à l’origine d’hémorragies sévères pouvant mettre en jeu le pronostic vital
> L’immobilisation du bassin est requise lors de toute suspicion anamnestique ou clinique de fracture
> Il est possible de surseoir à cette immobilisation en présence d’un patient alerte ne présentant aucune plainte pelvienne et sans autre douleur potentiellement distractive
> La valeur prédictive de l’examen du bassin est médiocre, particulièrement chez les patients présentant un score de Glasgow altéré. Il est recommandé de ne plus le pratiquer afin d’éviter d’aggraver une éventuelle hémorragie
> La mise en place d’une ceinture pelvienne permet de refermer l’anneau pelvien et de diminuer l’hémorragie due au traumatisme
> La ceinture pelvienne ne devrait être retirée que lorsque la présence d’une fracture a pu être exclue par un examen radiologique, ou lorsqu’un autre dispositif de contention du bassin est mis en place