Depuis quelques années, les norovirus constituent la cause la plus fréquente de gastroentérites épidémiques et une cause majeure de gastroentérites sporadiques. Des données épidémiologiques récentes témoignent de leur incidence dans la population américaine,1 mais aussi en Suisse, où des épidémies se produisent fréquemment.2 Aux Etats-Unis, depuis l’instauration de la vaccination contre les rotavirus chez les enfants, les norovirus sont les organismes les plus incriminés lors de gastroentérites virales pédiatriques.3 Ils peuvent être très présents au contact d’aliments et sur toutes sortes d’objets de notre environnement ; des particules virales ont même été retrouvées dans des eaux minérales analysées dans notre pays.4
Les gastroentérites à norovirus se développent souvent dans les lieux de vie communautaire tels que les hôpitaux. Compte tenu de leur potentiel très contagieux, elles peuvent être particulièrement délétères, toucher parfois durement des populations vulnérables et contribuer au développement d’épidémies. Ces infections mobilisent alors des ressources considérables et représentent des enjeux prioritaires en termes de santé publique.
Les gastroentérites à norovirus se caractérisent le plus souvent par des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements. Elles guérissent en général spontanément, mais s’accompagnent chez certains patients de complications. Des évolutions graves, voire fatales, sont décrites 5 et les patients immunosupprimés sont à haut risque de présenter une évolution en gastroentérite chronique.6
Parmi les dernières revues disponibles sur ce sujet, l’une est parue en anglais en 20097 et une autre traduite en français en 2010.8 Depuis lors, de nombreux articles concernant différents aspects des gastroentérites à norovirus ont été publiés. Ils traitent, entre autres, de l’émergence de nouveaux génotypes viraux,9 des conséquences en matière d’hospitalisation et de mortalité générées par ces infections dans les homes10 ou des perspectives de vaccination.11 Cet article aborde les principales caractéristiques des gastroentérites à norovirus, en y intégrant quelques données récentes d’importance.
La dénomination «Norovirus» fait référence à la ville de Norwalk, dans l’Etat d’Ohio, aux Etats-Unis, où survint une épidémie scolaire de gastroentérite en 1968. C’est la première fois que ce virus fut incriminé. Il fut ensuite identifié en 1972 et renommé «Norwalk-like-virus». Les norovirus appartiennent à la famille des Caliciviridae. Ce sont des virus non encapsulés, dont le génome se compose d’un simple brin d’ARN d’environ 7,7 kB. Ils présentent une grande diversité génétique et leurs souches sont classifiées en génogroupes, eux-mêmes subdivisés en génotypes. La dénomination mentionne d’abord le génogroupe, puis le génotype (par exemple, le génogroupe II génotype 4, appelé GII.4). Les norovirus isolés chez l’être humain ne l’ont été que chez lui, tandis que d’autres norovirus n’ont été retrouvés que chez les animaux.
Les gastroentérites à norovirus se produisent tout au long de l’année, avec une prédominance pour la période de novembre à février, d’où l’ancienne dénomination de winter vomiting disease. Elles touchent les populations de tous âges et ont été décrites dans de nombreux lieux de vie ou milieux plus ou moins confinés, tels que homes, hôpitaux, écoles, casernes ou bateaux de croisière.
Il existe trois génogroupes infectant l’être humain (GI, GII et GIV), 25 génotypes et de très nombreux sous-groupes. Récemment, le génogroupe II génotype 4 (GII.4) a été incriminé dans plusieurs épidémies survenues en Europe 9 et est désormais le plus rencontré. La contagiosité virale est élevée pour plusieurs raisons mentionnées dans le tableau 1. Les modes et vecteurs de transmission dépendent en partie des génogroupes.12
Les gastroentérites à norovirus mobilisent des ressources importantes. Dans le secteur ambulatoire, une grande étude américaine récente, menée sur huit ans, a estimé qu’elles avaient nécessité chaque année environ 400 000 visites médicales en urgence, 1,7 million de consultations et coûté environ 284 millions de dollars.1 Aux Etats-Unis, le nombre de consultations en rapport avec les gastroentérites à norovirus chez les enfants avoisine désormais environ un million par année.3 Une revue de plus de 840 épidémies publiées a montré que lorsque celles-ci étaient imputées au virus GII.4, les hospitalisations et la mortalité étaient plus élevées.13 Pour l’ensemble des épidémies recensées, le taux d’hospitalisations était de 0,54% et celui de mortalité de 0,06%. La mortalité y était aussi plus importante dans les milieux de santé. Une autre étude intégrant les données de plus de 300 épidémies dans des homes américains a conclu à une augmentation de la mortalité et des hospitalisations des résidents.10 Les homes où le rapport infirmière/ résident était inférieur à 0,75 avaient un excès de mortalité comparés aux homes où ce rapport était supérieur à 0,75.
En Suisse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a publié des informations concernant les gastroentérites à norovirus.14 Un recensement, mené entre 2001 et 2003 en Suisse allemande, a compté 73 épidémies.2 L’incidence de gastroentérites épidémiques augmente par rapport à celle des cas sporadiques.
Les gastroentérites à norovirus se manifestent le plus souvent par l’apparition brusque de vomissements, de diarrhées non sanglantes et de douleurs abdominales. Ces symptômes sont fréquemment associés, mais peuvent se manifester isolément. Les vomissements sont habituellement présents au début de la gastroentérite et plus fréquents chez les enfants, tandis que les diarrhées le sont davantage chez les adultes. Des symptômes généraux tels que fièvre, myalgies ou asthénie peuvent aussi être présents.
Bien que la période d’incubation s’étende de 10 à 50 heures environ, les symptômes surviennent dans les douze heures suivant la contamination dans la majorité des cas. La maladie dure d’un à trois jours, voire davantage chez environ 20% des patients et plus encore chez les patients immunosupprimés. Souvent, elle disparaît rapidement et n’a pas de conséquences graves. Ceci doit toutefois être nuancé, car elle peut provoquer diverses complications, comme une insuffisance rénale aiguë ou des troubles électrolytiques, même chez les patients en bonne santé. Les patients polymorbides, âgés et vulnérables sont donc particulièrement exposés et doivent souvent être hospitalisés.
Une étude, effectuée aux Pays-Bas, a montré que chaque épidémie de norovirus nécessitait en moyenne 26 consultations chez les généralistes, 2,2 hospitalisations et entraînait 0,14 décès.5 Les gastroentérites à norovirus dans les homes et les hôpitaux ont aussi fait l’objet d’un suivi prospectif en Grande-Bretagne.15 En considérant l’ensemble des patients, des résidents dans les homes et le personnel des homes et des hôpitaux, la durée médiane des gastroentérites à norovirus était de deux jours, les trois-quarts des personnes guérissant en trois jours. En Grande-Bretagne, le nombre de décès annuels dus à ces infections, survenant dans une population de plus de 65 ans vivant en homes, a été estimé à environ 80 par année entre 2001 et 2006.16
Parmi les volontaires sains contaminés par un norovirus, environ 20% restent asymptomatiques,11 mais ce taux est fonction du génotype incriminé.17 Il existe donc des mécanismes de protection naturelle. Certains volontaires développent de grandes quantités d’anticorps et présentent tout de même la maladie, alors que d’autres restent asymptomatiques en présence d’un taux d’anticorps bas. Cela s’explique par des facteurs de susceptibilité individuelle, déterminés génétiquement, en rapport avec la liaison des particules virales aux cellules intestinales.
La méthode de choix pour identifier les norovirus est une RT-PCR (real time polymerase chain reaction). La RT-PCR peut détecter la présence de virus dans les selles et les vomissures, mais aussi dans d’autres milieux contaminés par le virus tels que l’eau, la nourriture et de nombreux objets de notre environnement. Les autres moyens diagnostiques disponibles, comme le microscope électronique ou les méthodes ELISA, ne devraient plus être utilisés au vu de leurs moins bonnes performances.
Nos connaissances proviennent avant tout des expériences réalisées chez des volontaires sains, puisqu’aucun modèle animal n’existe. Les norovirus peuvent aussi être répliqués dans des cultures de cellules épithéliales intestinales. Après infection, des changements histologiques aspécifiques ont été observés sur des biopsies du jéjunum proximal. L’étendue de l’atteinte grêle n’est pas définie et le lieu de réplication virale reste inconnu. Après infection, la vidange gastrique est ralentie, ce qui paraît expliquer les nausées et les vomissements. Le caractère explosif des gastroentérites à norovirus n’est pas compris à ce jour sur le plan moléculaire.
Aucun traitement spécifique n’existe. Le plus important consiste à réhydrater les patients, par voie orale si les vomissements ne sont pas trop importants ou par voie intraveineuse dans le cas contraire. Le maintien des électrolytes est primordial, surtout lors de vomissements prolongés ou d’insuffisance rénale concomitante. Certains patients doivent être hospitalisés, en particulier s’ils appartiennent aux traditionnels groupes à risque. Aucun antiviral ne peut être utilisé de façon efficace pour éradiquer la maladie, quand bien même certains antiviraux interfèrent avec la réplication virale.
Lors de gastroentérite à norovirus, les enjeux de prévention et de contrôle de l’infection sont majeurs. Des mesures visant à isoler tout patient chez qui le diagnostic est suspecté doivent être prises immédiatement, même si la présence de virus n’a pas encore été confirmée. Les personnes présentant un tableau clinique n’évoquant que partiellement la maladie devraient elles aussi être isolées. Il est primordial que les patients infectés observent rigoureusement les recommandations d’hygiène, de même que leur entourage et le personnel en ayant la charge. Le tableau 2 résume les principales mesures à prendre.
La prise en charge des cas sporadiques vise aussi à enrayer leur développement en épidémies. Il est pour cela souvent nécessaire d’établir une épicourbe et de la tenir à jour (figure 1). Il est recommandé de maintenir les patients infectés en isolement 48 heures encore après la fin des symptômes, car l’excrétion virale dans les selles persiste au-delà de la fin des symptômes et son pouvoir infectieux n’est pas précisément connu. Le dépistage des patients asymptomatiques n’est par contre pas préconisé. Quant au personnel, il doit interrompre son activité professionnelle et ne la reprendre que deux jours après disparition complète des symptômes.
Le domaine de l’industrie agroalimentaire est aussi un milieu à haut risque, le virus ayant été observé dans l’eau, de nombreux aliments, mais aussi chez des employés asymptomatiques travaillant dans ce domaine.18 Les mesures préventives doivent là aussi être strictement appliquées.
A ce jour, aucun vaccin actif contre l’ensemble des souches virales n’est commercialisé. L’immunité éphémère produite contre les norovirus et la multiplicité des souches virales rendent difficile l’élaboration d’une vaccination efficace. Il est donc possible que si elle se concrétise, une vaccination annuelle soit nécessaire, en tenant compte des souches virales dominantes.
La réponse immunitaire humaine n’est que partiellement comprise et très variable d’un individu à l’autre. Des progrès dans la vaccination ont néanmoins été accomplis. Récemment, une étude comparant vaccin contre placebo a montré que la vaccination créait une immunogénicité chez 70% des volontaires et réduisait pratiquement de moitié les gastroentérites dans le groupe vacciné.11 Si elle aboutit, la vaccination devra en premier lieu concerner les populations à risque et les personnes vivant en milieu confiné. Enfin, on peut espérer qu’elle aura un impact favorable majeur dans les pays en voie de développement.
Chez les patients immunosupprimés, les gastroentérites à norovirus doivent être considérées comme une situation particulière.6 Les plus importantes caractéristiques sont présentées dans le tableau 3. Les différences portent principalement sur la durée possible de la maladie, la gravité potentielle de ses complications et sa fréquente évolution en gastroentérite chronique. Les souches virales incriminées sont les mêmes que celles retrouvées chez les patients immunocompétents.
Les patients immunosupprimés doivent faire l’objet d’une attention particulière concernant la prise orale de leurs médicaments immunomodulateurs, du seuil adopté pour les hospitaliser ou du traitement de leurs comorbidités. Le portage des norovirus peut être plus long, quelle que soit l’étiologie de l’immunosuppression. Le virus peut persister dans l’organisme et la maladie devenir chronique, même pendant des années.19 Les modalités exactes de la contagiosité des patients immunosupprimés qui présenteront ensuite une gastroentérite chronique ne sont pas établies. La recherche de norovirus en cas de gastroentérite est donc impérative, ce d’autant plus que le diagnostic différentiel des diarrhées fébriles est large chez les immunosupprimés. La distinction avec une maladie greffe contre hôte est primordiale au vu de ses implications thérapeutiques.
Les gastroentérites à norovirus sont des infections fréquentes dont les conséquences peuvent être sévères, en particulier chez certains patients. De nombreuses données épidémiologiques témoignent de leur incidence croissante dans la population générale et des ressources qu’elles nécessitent. La Suisse n’est pas épargnée et de fréquentes épidémies s’y produisent, surtout dans les homes et les hôpitaux.
La contagiosité des norovirus est très élevée. L’immunité conférée par une infection est éphémère et ne protège pas contre l’ensemble des souches virales ; de plus, les personnes contaminées peuvent rester longtemps porteuses du virus. Les patients âgés ou polymorbides sont particulièrement à risque de présenter des complications et les immunosupprimés peuvent évoluer vers une forme chronique de gastroentérite. En cas d’infection, il est primordial de se conformer scrupuleusement aux mesures d’hygiène, au risque de voir des cas sporadiques se propager en épidémies.
Des progrès restent à accomplir dans la compréhension des mécanismes concernant la pathogénicité des norovirus et l’immunité qu’ils génèrent. L’intérêt porté aux différents génotypes viraux permettra aussi de développer nos connaissances épidémiologiques. Le récent développement de vaccins devrait permettre de réduire l’incidence et les conséquences de ces infections.
Remerciements
Nous remercions les Drs Riana Rakotoarimanana et Lars Asmis pour leurs relectures attentives et leurs conseils, ainsi que l’Office fédéral de la santé publique pour avoir autorisé la reproduction de la figure 1.
> Au vu de leur prévalence et de leurs graves conséquences infectieuses cliniques et épidémiologiques potentielles, les norovirus doivent être recherchés en cas de diarrhées sporadiques ou épidémiques
> Les patients immunosupprimés doivent faire l’objet d’une attention particulière, car ils peuvent présenter des complications sévères et évoluer vers une forme chronique d’infection
> En Suisse, les infections à norovirus ne constituent pas une maladie à déclaration obligatoire, mais l’Office fédéral de la santé publique préconise de déclarer les épidémies observées dans les institutions de santé
> Lors de gastroentérite à norovirus, une stricte observance des mesures d’hygiène visant le contrôle de l’infection est impérative
> Une vaccination efficace contre toutes les souches virales n’est pas encore disponible à ce jour, mais la recherche progresse dans ce domaine