Evaluer au plus juste ce que peut être une avancée thérapeutique (une «amélioration du service médical rendu») n’est pas toujours chose aisée. C’est aujourd’hui le cas avec l’annonce faite dans une toute récente publication du Lancet1 – une publication signée d’une équipe franco-anglaise (AP-HP, Inserm, UPEC, CEA/Mircen, Oxford Biomedica, Cambridge University).
Les trente-huit signataires ont mené une étude clinique (phase I/II) de thérapie génique chez des personnes souffrant d’une forme évoluée de la maladie de Parkinson. Un nouveau traitement a été expérimenté chez quinze malades – traitement consistant à injecter un vecteur exprimant les gènes de trois enzymes indispensables à la biosynthèse de dopamine. Avec cette forme de thérapie, certaines cellules cérébrales se mettent de nouveau à fabriquer et à sécréter la dopamine. Les symptômes moteurs de la maladie ont, pour partie, été améliorés. Avec un recul de quatre années, cette étude montre l’innocuité et la tolérance du vecteur lentiviral utilisé pour la première fois chez l’homme. Cette étude a été coordonnée par le Pr Stéphane Palfi, chef du Service de neurochirurgie de l’Hôpital Henri-Mondor (AP-HP).
La maladie de Parkinson se caractérise par des symptômes moteurs de sévérité progressive et croissante (tremblements, rigidité des membres et une diminution des mouvements du corps). La symptomatologie est ici la conséquence de la dégénérescence des neurones dopaminergiques.
Actuellement, le traitement des personnes atteintes de cette maladie réside dans la prise de médicaments mimant l’action de la dopamine cérébrale manquante. Ce traitement permet d’obtenir une bonne amélioration de l’activité motrice dans les premiers stades de la maladie. Toutefois, des effets indésirables sévères apparaissent au fil du temps : fluctuations de l’effet du traitement et mouvements anormaux involontaires (dyskinésies).
Comment restituer au mieux, de manière quasi physiologique, la dopamine manquante ? Depuis quelques années, plusieurs spécialistes développent l’hypothèse que la prise intermittente de dopamine pharmaceutique stimule de manière trop irrégulière les neurones spécialisés – ce phénomène serait à l’origine des complications de la thérapeutique dopaminergique. Parmi les objectifs actuels de la recherche d’une amélioration thérapeutique de la maladie de Parkinson figurent ainsi l’obtention d’une stimulation dopaminergique continue, et plus encore une stimulation dopaminergique locale, afin d’induire des effets moteurs bénéfiques tout en évitant les complications consécutives à la stimulation dans d’autres régions cérébrales. D’où l’intérêt manifesté par quelques équipes pour la thérapie génique : faire exprimer directement un gène thérapeutique par les cellules du cerveau. Depuis 2009, les toutes premières étapes expérimentales animales ont été franchies (Rev Med Suisse 2011;7:722-3).
Une nouvelle l’est aujourd’hui avec l’étude biomédicale de phase I/II, coordonnée par le Pr Stéphane Palfi, dont les résultats viennent d’être publiés dans The Lancet. Quinze patients ont été opérés dans deux centres neurochirurgicaux d’excellence : l’Hôpital Henri-Mondor (Créteil) en France et l’Hôpital Addenbrookes à Cambridge, au Royaume-Uni.
Cette équipe a, pour la première fois chez l’homme, utilisé un vecteur lentiviral 1, qui exprime les gènes de trois enzymes – AADC (décarboxylase des acides aminés aromatiques), TH (tyrosine hydroxylase) et CH1 (GTP-cyclohydrolase 1) – indispensables à la biosynthèse de la dopamine. Le produit a été administré lors d’une opération chirurgicale qualifiée de «lourde» : intervention stéréotaxique au cours de laquelle, après repérage radiologique, on injecte une solution contenant le vecteur ProSavin au niveau du striatum.
Trois niveaux de doses croissantes (1x, 2x et 5x) ont été testés. La production locale et continue de dopamine in vivo a été restaurée chez les quinze patients souffrant d’une forme évoluée de la maladie.
«Cette étude biomédicale de thérapie génique montre l’innocuité sur le long terme du transfert de gènes par le vecteur lentiviral lorsqu’il est injecté directement dans le cerveau de patients atteints par la maladie de Parkinson, a expliqué à la presse le Pr Stéphane Palfi. L’analyse clinique suggère que le vecteur utilisé permet une réduction des symptômes moteurs selon la dose de vecteur administrée, la plus forte dose étant la plus efficace. Les prochains développements cliniques du vecteur auront pour objectifs de valider une construction virale améliorée permettant d’induire une libération accrue de dopamine (phase 2a). Cette phase sera suivie de l’étude de l’effet thérapeutique de ProSavin en comparant un groupe de patients traités à un autre groupe non traité (phase 2b). Cette étude pionnière de l’utilisation en thérapie génique d’un lentivirus injecté in situ va certainement ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques dans les maladies du système nerveux.»
Ici, l’étude a été entièrement financée par la société spécialisée britannique Oxford BioMedica. Une amélioration significative des scores moyens obtenus sur une échelle évaluant la gravité des symptômes de la maladie a été notée chez tous les patients à six mois de distance de l’intervention, ainsi qu’à un an, indiquent les chercheurs dans leur article. L’amélioration porte sur la motricité (rigidité et diminution des mouvements), pas sur le tremblement.
Les contrôles effectués au moyen de la tomographie par émission de positons confirment la sécrétion de dopamine dans le striatum. De plus, il semble que cette thérapie génique favoriserait la conversion de la L-dopa, administrée oralement, en dopamine. Peut-être y a-t-il là un deuxième mécanisme dont pourraient bénéficier les patients ainsi traités.
Les chercheurs restent toutefois raisonnablement prudents : «Bien que les résultats en termes d’efficacité paraissent prometteurs, l’ampleur des effets demeure de l’ordre de ceux constatés avec un placebo (substance ou technique inactive utilisée par comparaison pour tester une thérapeutique) dans d’autres essais cliniques faisant appel à des techniques chirurgicales pour le Parkinson et elle doit être interprétée avec précaution», écrivent-ils dans l’article du Lancet. Ils ajoutent que la thérapie génique n’empêche pas la maladie de Parkinson de progresser. Elle pourrait néanmoins prolonger jusqu’à dix ans la période de lune de miel actuellement obtenue avec le traitement médicamenteux.
Stéphane Palfi souligne toutefois que la durée persistante de l’amélioration associée à la relation dose-effet laisse penser qu’il n’y aurait pas un simple effet placebo. Pour le confirmer, le neurochirurgien précise qu’il faudra pratiquer un nouvel essai clinique, de phase III, comparant à un groupe de malades ne recevant pas la thérapie génique mais un autre traitement. Cet essai pourrait selon lui intervenir aux alentours de 2020. Il faut aussi compter ici avec la stimulation cérébrale profonde mise au point, en France, par le Pr Alim-Louis Benabid.