L’hypothyroïdie infraclinique est fréquemment rencontrée et sa prévalence augmente avec l’âge. Les recommandations relatives au dépistage et au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique sont controversées. Une enquête internationale auprès des médecins de famille, à laquelle la Suisse a participé, a mis en évidence de fortes variations dans la prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique entre les pays. Ces différences de traitement traduisent avant tout le manque de données fiables quant à la prise en charge de cette condition. L’essai clinique randomisé européen TRUST devrait permettre de clarifier les indications pour le dépistage et la substitution par thyroxine. Une collaboration avec les médecins de famille et le soutien des Instituts universitaires de médecine générale à Lausanne et à Berne pour le recrutement des patients devraient permettre d’obtenir des données directement applicables à une population représentative de la médecine ambulatoire.
L’hypothyroïdie infraclinique, définie par une augmentation du taux d’hormone thyréotrope (Thyroid Stimulating Hormone, TSH) entre 4,5 et 20 mU/l avec une thyroxine libre dans la norme, est une situation fréquemment rencontrée dans la population générale, en particulier chez les personnes âgées de plus de 65 ans.1–4 L’hypothyroïdie infraclinique a été associée à des risques à long terme, comme les maladies cardiovasculaires et les troubles cognitifs (tableau 1).1,5 La meilleure façon de prendre en charge cette affection est encore controversée, tout comme la définition d’une population susceptible de bénéficier d’un traitement. Par conséquent, les recommandations disponibles relatives au dépistage et au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique sont contradictoires, et diffèrent selon les pays.
Une étude basée sur des vignettes cliniques portant sur le traitement de l’hypothyroïdie infraclinique a été envoyée aux médecins de famille de plusieurs pays et a permis de mettre en évidence d’importantes différences internationales liées à la prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique. Nous présentons, dans cet article, une vue d’ensemble des résultats de cette étude. De plus amples détails seront fournis dans une publication ultérieure, qui est actuellement en cours de préparation.
Un questionnaire en ligne comportant huit cas cliniques a été envoyé par courrier électronique aux médecins de famille de six pays différents (Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Grande-Bretagne, Irlande et Nouvelle-Zélande). Les huit cas fictifs décrivaient des femmes se présentant chez leur médecin de famille en raison de fatigue. Toutes avaient un indice de masse corporelle normal et des valeurs de thyroxine dans la norme. Les cas différaient par leur âge (70 ou 85 ans), l’état clinique (en bon état général ou diminué) et enfin le niveau de TSH (6 ou 15 mU/l, valeurs de référence 0,45-4,5 mU/l). Les médecins de famille devaient pour chaque cas répondre à trois questions : initieraient-ils un traitement de substitution avec de la thyroxine ? Si oui, quel serait le dosage initial ? Enfin, modifieraient-ils leur stratégie de traitement si le patient était un homme au lieu d’une femme ?
En tout, 526 médecins de famille ont participé à l’enquête. Les taux de réponse par les médecins de famille différaient entre les pays. En Suisse, le taux de participation a atteint 25% (Pays-Bas : 41% ; Allemagne : 34% ; Grande-Bretagne : 17% ; Irlande : 13% ; Nouvelle-Zélande : 4%). Le taux de réponses très bas en Grande-Bretagne, en Irlande et en Nouvelle-Zélande s’explique principalement par l’absence de médecins de famille dans les personnes ayant distribué l’enquête aux médecins traitants. En effet, un taux de réponses supérieur a été observé lorsque le questionnaire a circulé à l’intérieur d’un réseau de médecins de famille. Les médecins de famille ayant participé à l’enquête sont majoritairement des hommes (81% en Suisse) ayant une expérience clinique de plus de quinze ans (64%). Presque tous les médecins de famille ayant contribué à l’étude avaient posé le diagnostic d’hypothyroïdie infraclinique au cours de l’année précédente (94%), et 75% d’entre eux avaient initié un traitement de thyroxine au cours de la dernière année.
De grandes différences ont été observées selon les pays. Tout d’abord, la fréquence des médecins de famille décidant de débuter un traitement varie fortement en fonction des pays. 54% des médecins de famille suisses proposaient d’initier un traitement de substitution avec de la thyroxine, contre 75% en Allemagne, 64% en Irlande, 39% en Grande-Bretagne, 36% en Nouvelle-Zélande et 35% aux Pays-Bas (figure 1).
Des différences dans la prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique selon les caractéristiques cliniques ont également été observées entre les pays. De façon générale, les médecins de famille ayant participé à l’enquête sont moins enclins à débuter une substitution de thyroxine si la patiente est plus âgée (OR pour la Suisse : 0,75) ou si l’état général est plus précaire (OR pour la Suisse : 0,9). En ce qui concerne le niveau de TSH, les médecins de famille de tous les pays sont plus enclins à initier un traitement chez les patientes avec hypothyroïdie infraclinique si les valeurs sont plus élevées. De grandes différences ont été observées selon les pays, en particulier en fonction de l’âge et du niveau de TSH. En effet, les médecins de famille en Irlande sont plus enclins à débuter une substitution de thyroxine si le patient est dans un état général diminué. En contraste avec les autres pays, les médecins de famille en Angleterre et aux Pays-Bas sont très peu enclins à initier un traitement si la TSH est de 6 mU/l.
Cette enquête internationale a permis de mettre en évidence de fortes variations internationales dans la prise en charge par les médecins de famille de l’hypothyroïdie infraclinique chez la personne âgée. Les stratégies de traitement des médecins de famille varient particulièrement en fonction de l’âge du patient et du niveau de TSH. Ces différences traduisent en particulier le manque de bonnes données pour la prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique et de consensus international relatif à son traitement.
Afin de clarifier les incertitudes liées au dépistage et au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique chez la personne âgée, la première grande étude clinique randomisée est actuellement en cours. L’étude TRUST (Thyroid hormone Replacement for Untreated older adults with Subclinical hypothyroidism : a randomised placebo-controlled Trial) est un essai clinique multicentrique européen randomisé, comparant l’administration de lévothyroxine versus placebo chez des personnes âgées avec hypothyroïdie infraclinique.
Cette étude, à laquelle participent plusieurs pays européens (Suisse, Ecosse, Irlande, Pays-Bas) (figure 2), va permettre d’évaluer les bénéfices cliniques et la sécurité du traitement de substitution par lévothyroxine dans une population de 3000 individus âgés de plus de 65 ans présentant une hypothyroïdie infraclinique persistante. Ces patients seront recrutés à l’Hôpital de l’Ile à Berne et au CHUV à Lausanne, ainsi qu’auprès des médecins de famille, et seront suivis pendant quatre ans. Si une hypothyroïdie infraclinique est découverte chez certains de ses patients, le médecin de famille peut effectuer un contrôle de la fonction thyroïdienne après trois mois. Si l’hypothyroïdie infraclinique est persistante, le patient pourra être inclus dans l’étude (figure 3), attitude que nous recommandons étant donné l’incertitude concernant la meilleure prise en charge.6 Afin que les résultats soient directement applicables en cabinet, il est essentiel d’inclure un large éventail de patients suivis par les médecins de famille, avec le soutien des instituts de médecine de famille de Berne et de Lausanne.
Les critères primaires analysés incluront le changement de la qualité de vie, les symptômes liés à l’hypothyroïdie infraclinique et les événements cardiovasculaires fatals ou non (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, amputation de membres pour maladie vasculaire périphérique, revascularisation pour maladie vasculaire athérosclérotique, hospitalisation pour syndrome coronarien aigu et/ou insuffisance cardiaque). Des critères secondaires seront également investigués, à savoir la force musculaire, la fonction cognitive, la mortalité totale, la capacité fonctionnelle et l’humeur.
L’étude clinique TRUST devrait donc permettre d’apporter des preuves concrètes pour élaborer des recommandations plus précises quant au dépistage et à la prise en charge des patients âgés avec hypothyroïdie infraclinique. En effet, la lévothyroxine est fréquemment prescrite en médecine de premier recours de nos jours, malgré un manque de données fiables. Par ailleurs, en raison du faible nombre de critères d’exclusions pour l’étude, les résultats de cet essai clinique seront directement applicables en médecine ambulatoire, en particulier en présence d’une multimorbidité qui n’est pas un critère d’exclusion.
En raison de l’absence de larges études cliniques randomisées, les recommandations actuelles quant au dépistage et au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique s’appuient principalement sur des études observationnelles, des essais cliniques de courte durée et l’avis d’experts.
Au vu de l’absence de données scientifiques suffisamment solides, nous pouvons conclure qu’il n’y a pas assez d’évidences pour recommander le dépistage de l’hypothyroïdie infraclinique dans la population générale. Dans la pratique, la TSH est souvent mesurée chez les patients avec des symptômes peu spécifiques pouvant être associés à un trouble thyroïdien, comme la fatigue ou la prise de poids. Etant donné que l’hypothyroïdie infraclinique est bien souvent une découverte de laboratoire transitoire, il est indispensable d’effectuer un contrôle de la TSH et de la thyroxine libre dans le sang trois mois plus tard.
Les recommandations actuelles pour le traitement de l’hypothyroïdie infraclinique sont également controversées. Sur la base des dernières études réalisées, la plupart des experts et des sociétés recommandent de considérer une substitution de thyroxine si la TSH est supérieure à 10 mU/l.7 Cependant, même pour des taux de TSH supérieurs à 10 mU/l, nul ne sait vraiment quel est le bénéfice de ce traitement ni quels en sont les effets indésirables à long terme, à part le risque de surtraitement (tableau 1). Au vu de l’absence de risque bien démontré pour les patients avec des taux de TSH entre 5 et 10 mU/l, il est actuellement recommandé de ne pas entreprendre de traitement chez cette population en-dehors d’une étude randomisée, comme celle décrite ci-dessus.8
Dans un contexte de controverse persistante concernant les indications de dépistage et de traitement de l’hypothyroïdie infraclinique chez les personnes âgées, l’essai clinique TRUST permettra donc d’établir des recommandations pour la pratique médicale afin d’améliorer la prise en charge de ces patients.
Actuellement, les preuves concernant le dépistage et le traitement de l’hypothyroïdie infraclinique sont insuffisantes ; cela est reflété par la forte variation internationale dans la prise en charge par les médecins de famille. Au vu de l’incertitude, la meilleure façon de prendre ces patients en charge est l’inclusion dans l’étude randomisée TRUST.
Le travail de recherche du Pr Rodondi dans le cadre de l’étude TRUST est soutenu par l’EU-(Grand FP7-HEALTH-2011 (Specific Programme «Cooperation» – Theme «Health», Proposal Number 278148-2) et la Fondation suisse de cardiologie et le Fonds national suisse de la recherche scientifique (SNSF 320030-138267).
Nous remercions tous les médecins de famille ayant participé à l’enquête.
> L’hypothyroïdie infraclinique est une condition fréquente, en particulier chez la personne âgée, et a été associée à d’importants risques à long terme
> Une enquête internationale auprès des médecins de famille a permis de mettre en évidence de fortes variations liées aux stratégies de traitement de l’hypothyroïdie infraclinique entre les pays
> En raison des données insuffisantes sur les bénéfices et risques du traitement des patients avec hypothyroïdie infraclinique, les recommandations actuelles quant au dépistage et à la prise en charge de cette condition sont controversées
> La participation à l’essai clinique randomisé TRUST est actuellement l’attitude la plus adéquate pour les patients âgés avec une hypothyroïdie infraclinique. L’inclusion de patients auprès des médecins de famille permettra l’application directe des résultats de l’étude à la médecine de famille
L’hypothyroïdie infraclinique est fréquemment rencontrée et sa prévalence augmente avec l’âge. Les recommandations relatives au dépistage et au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique sont controversées. Une enquête internationale auprès des médecins de famille, à laquelle la Suisse a participé, a mis en évidence de fortes variations dans la prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique entre les pays. Ces différences de traitement traduisent avant tout le manque de données fiables quant à la prise en charge de cette condition. L’essai clinique randomisé européen TRUST devrait permettre de clarifier les indications pour le dépistage et la substitution par thyroxine. Une collaboration avec les médecins de famille et le soutien des Instituts universitaires de médecine générale à Lausanne et à Berne pour le recrutement des patients devraient permettre d’obtenir des données directement applicables à une population représentative de la médecine ambulatoire.