Le cancer de l’estomac est une tumeur digestive peu fréquente dont les symptômes surviennent souvent à un stade avancé. En l’absence de métastases, une chirurgie carcinologique curative, souvent précédée d’un traitement médical antitumoral, doit être proposée. Le pronostic est globalement sombre, avec une survie à cinq ans de 25%, tous stades confondus.1 Environ 10% de ces tumeurs sont diagnostiquées à un stade précoce en Europe. Le cancer superficiel de l’estomac est une tumeur dont l’atteinte est limitée à la muqueuse ou à la sous-muqueuse, indépendamment de l’invasion ganglionnaire associée. Le pronostic de ces lésions tumorales superficielles est excellent, avec une survie estimée à 95% à cinq ans.2 La chirurgie carcinologique à visée curative est aujourd’hui le traitement de référence mais le traitement endoscopique, moins invasif avec un faible risque de morbi-mortalité périopératoire, peut être proposé comme alternative thérapeutique pour des patients sélectionnés par des critères bien définis.
Au niveau mondial, le cancer de l’estomac est le 5e cancer avec 950 000 nouveaux cas par an, dont 161 000 en Europe et 683 en Suisse. Il représente la 3e cause de décès par cancer au niveau mondial avec 720 000 décès/an dont 485 en Suisse.3 Depuis 1988, l’incidence du cancer de l’estomac diminue de façon constante en Europe, particulièrement en Italie (-6%) et en Suisse (-6%) notamment en raison de la diminution de l’infection à Helicobacter pylori.4 L’infection chronique de l’épithélium gastrique par Helicobacter pylori induit une gastrite chronique qui peut ensuite évoluer, selon une séquence histologique bien définie, en métaplasie intestinale, puis en dysplasie de bas puis haut grade, et finalement en carcinome gastrique. Le cancer superficiel de l’estomac (cancer classé T1) est défini par une atteinte limitée à la muqueuse ou à la sous-muqueuse, indépendamment de l’invasion ganglionnaire associée. En Europe, le cancer superficiel de l’estomac représente approximativement 5 à 20% des cancers diagnostiqués.5–7 Au Japon, l’incidence des cancers superficiels de l’estomac ne cesse d’augmenter depuis les années 70 pour atteindre 50% des tumeurs diagnostiquées depuis 2007. Ce taux élevé est la conséquence directe d’un programme national de dépistage et de surveillance endoscopique, mis en place en raison de l’incidence élevée des tumeurs gastriques dans ce pays, et d’une formation endoscopique spécifique des médecins japonais.8
Certains facteurs de risque sont aujourd’hui bien définis. Parmi les facteurs de risque environnementaux, on peut citer l’infection chronique à Helicobacter pylori, le tabagisme chronique, l’éthylisme chronique et la consommation abusive de sel. En ce qui concerne les facteurs de risque intrinsèques, citons l’anémie de Biermer, la mutation du gène CDH1 codant pour une protéine d’adhésion cellulaire (risque cumulé de cancer de l’estomac de 67% chez les hommes et 83% chez les femmes) et le syndrome de Lynch (risque cumulé de 8% pour les hommes et de 5% pour les femmes).9
Il n’existe pas de symptôme ou de signe clinique spécifique du cancer superficiel de l’estomac. En Europe, il s’agit la plupart du temps d’un diagnostic fortuit ou réalisé suite à un dépistage endoscopique chez des patients avec des facteurs de risque (infection chronique à Helicobacter pylori, tabagisme chronique, anémie pernicieuse et syndromes et maladies héréditaires). Le diagnostic de cancer superficiel de l’estomac repose, en premier lieu, sur la détection et la caractérisation de la lésion par l’endoscopiste. Une classification descriptive détaillée des anomalies du relief de la muqueuse gastrique tumorale, observée lors de l’endoscopie diagnostique, la classification de Paris, a été établie et permet de distinguer trois types de lésions: les lésions polypoïdes (type I), planes (type II) et ulcérées (type III) (figure 1A et 1B). 80% des cancers gastriques superficiels sont des lésions muco-érosives (IIc).10 Les endoscopies traditionnelles permettent de différencier une lésion intramuqueuse d’une lésion sous-muqueuse dans 72% à 84% des cas.11 Afin d’augmenter la sensibilité de cette détection et d’améliorer le bilan d’extension (évaluation de la taille lésionnelle, des marges lésionnelles et/ou détection de lésions synchrones présentes dans 10% des cas), les endoscopistes peuvent s’aider de chromoendoscopies chimiques (coloration à l’indigo-carmin à 0,2% et/ou à l’acide acétique à 1,5%) et virtuelles (NBI pour Narrow Band Imaging ou FICE pour Fuji Intelligent Chromo Endoscopy ou i-scan) (figure 2). En combinant l’une ou l’autre de ces techniques avec un «zoom optique», on améliore l’observation de la microvascularisation, des modifications structurelles de l’épithélium et des limites lésionnelles, permettant de réaliser des «biopsies optiques».12
Le bilan d’extension doit permettre d’évaluer avec précision la profondeur de l’envahissement pariétal tumoral. Grâce à une description anatomique précise de la paroi gastrique, on peut schématiquement diviser la muqueuse gastrique en trois couches qui correspondent respectivement à: l’épithélium (m1), la lamina propria (m2), et la muscularis mucosae (m3). La sous-muqueuse est également divisée en trois couches (sm1, sm2, sm3) (figure 3).10 Il a été démontré par plusieurs études que le risque d’invasion ganglionnaire était corrélé à la profondeur de l’envahissement tumoral (figure 3). L’échoendoscopie est l’examen clé qui permet de définir cet envahissement pariétal et de distinguer les lésions T1 des lésions plus profondes nécessitant un traitement chirurgical d’emblée.13 C’est un examen opérateur-dépendant qui nécessite une grande expertise afin d’évaluer précisément la profondeur d’envahissement.14 Pour l’évaluation de l’envahissement ganglionnaire, critère pronostique majeur, l’échoendoscopie reste aussi l’examen incontournable. Une large étude coréenne (448 patients avec un cancer superficiel gastrique) a montré que l’échoendoscopie avait une valeur prédictive négative (probabilité qu’un ganglion ne soit pas infiltré si l’examen est négatif) de 93% contre 91% pour le scanner. Mais, avec une profondeur d’exploration maximale de 5-6 cm, elle est inadaptée pour analyser la région para-aortique et cœliaque.15 Le scanner est l’examen de référence pour étudier l’extension aux organes adjacents et métastatiques à distance.16 Aucune étude ne recommande actuellement le PET-scan dans le bilan d’extension d’un cancer superficiel de l’estomac, ni le dosage des biomarqueurs tumoraux (augmentation du CA19-9 et du CEA dans seulement 9% et 14% des cas).17
Le traitement de référence du cancer superficiel de l’estomac reste actuellement la chirurgie. Grâce aux nombreux travaux asiatiques surtout japonais, le traitement endoscopique à visée curative semble être une excellente alternative thérapeutique pour les lésions de meilleur pronostic. L’exérèse endoscopique permet d’éviter une chirurgie invasive qui est associée à des suites opératoires plus lourdes et plus longues. Le recours à une résection endoscopique dépend principalement de l’existence d’une invasion ganglionnaire synchrone ou d’un risque élevé d’invasion ganglionnaire, prédite à partir des caractéristiques morphologiques de la tumeur gastrique (tableau 1).18,19 Il a également été démontré que les tumeurs non différenciées ou d’histologie diffuse (ou mixte) présentaient plus souvent une invasion ganglionnaire associée.19 En cas de résection endoscopique, le diagnostic d’emboles lymphatiques sur la pièce opératoire majore logiquement le risque d’envahissement ganglionnaire synchrone (tableau 1). Ce risque d’invasion ganglionnaire nécessite, au préalable, d’être estimé précisément car la résection endoscopique ne permet pas de curage ganglionnaire.
La chirurgie du cancer superficiel de l’estomac est réalisée aujourd’hui préférentiellement, voire exclusivement, par voie laparoscopique dans les centres experts. Elle permet une exérèse complète de la tumeur en marges saines et surtout un curage ganglionnaire permettant une analyse pathologique tumorale complète. Cette chirurgie est associée à des taux de complications postopératoires immédiates d’environ 10%, à une mortalité postopératoire aujourd’hui proche de 0% et à une survie sans récidive à cinq ans de 99,8%.20 Les principales complications liées au montage chirurgical sont les sténoses anastomotiques (10-15%) et les troubles de la motricité gastrique (ou de l’anse jéjunale en Y en cas de gastrectomie totale). Il faut reconnaître que les complications fonctionnelles (dumping syndrome, reflux, diarrhée, dysphagie, syndrome de l’anse en Y) sont fréquentes et responsables d’une dénutrition et d’une détérioration de la qualité de vie à long terme, d’où l’intérêt de la résection endoscopique quand celle-ci est raisonnablement indiquée.
La mucosectomie endoscopique et la dissection endoscopique sous-muqueuse sont les deux techniques principales de résection endoscopique. La mucosectomie endoscopique a montré d’excellents résultats dans la résection de lésions non ulcérées et de petite taille (≤ 2 cm). Cependant, la dissection endoscopique sous-muqueuse lui est supérieure. En effet, une large méta-analyse comparative a montré que la dissection sous-muqueuse permettait un taux de résection «monobloc» curative plus élevé avec un risque de récidive locale plus faible. Mais ce bénéfice thérapeutique est associé à un risque de complications (saignement et perforation) plus important.21,22 Après traitement endoscopique, la survie globale et la survie spécifique à cinq ans sont respectivement de 97% et 100%.23 Les critères de qualité d’une résection endoscopique sont la résection «monobloc» avec marges tumorales négatives, sachant que l’existence d’une marge latérale positive est associée à 12% de récidive locale à cinq ans.24,25 L’examen pathologique est ensuite indispensable pour confirmer la résection complète et la négativité des marges, définir le stade pathologique précis de la lésion et déterminer la nécessité d’une chirurgie complémentaire (résection incomplète avec marges envahies, emboles vasculaire/lymphatique et/ou absence de différenciation tumorale). Le traitement endoscopique exclusif est contre-indiqué en cas de lésion ulcérée (sous-type III de la classification de Paris) avec un diamètre initial > 30 mm, d’envahissement de la sous-muqueuse avec une profondeur > 500 μm, d’absence de différenciation tumorale, de présence de cellules indépendantes et/ou d’une histologie tumorale de type diffus, ces éléments pouvant être retrouvés sur les biopsies initiales ou à l’examen de la pièce de résection endoscopique (tableau 2).26–28
Après traitement endoscopique ou gastrectomie partielle, la surveillance endoscopique est obligatoire d’autant plus qu’il existe des facteurs de risque identifiés. En effet, l’incidence cumulée de lésion métachrone est estimée à 4% à deux ans et 16% à cinq ans, certains auteurs proposent une surveillance endoscopique semestrielle pendant les cinq premières années.29 Les sociétés savantes d’oncologie (NCCN et ESMO) ou de gastro-entérologie (ACG, ASGE et AGA) n’ont pas édité de guidelines récentes et précises concernant le suivi après traitement endoscopique. L’éradication d’Helicobacter pylori est indispensable car elle permet de réduire le risque de récidive gastrique de 65%.30
Les cancers superficiels de l’estomac sont une entité rare en Europe mais leur incidence augmente en raison des progrès technologiques endoscopiques et d’un dépistage plus systématique chez les patients à risque. Le facteur pronostique majeur de ces lésions précoces est l’envahissement ganglionnaire. Cette invasion ganglionnaire nécessite d’être évaluée précisément grâce à l’échoendoscopie avant de proposer une exérèse tumorale. La résection endoscopique est aujourd’hui une alternative à la chirurgie gastrique laparoscopique, qui est connue pour être associée à des complications fonctionnelles et nutritionnelles postopératoires fréquentes. La dissection sous-muqueuse semble supérieure à la mucosectomie endoscopique. La résection endoscopique doit être réalisée dans un centre expert et suivie d’un examen pathologique de qualité, indispensable pour confirmer la résection complète, définir le stade pathologique tumoral et valider la nécessité d’une chirurgie complémentaire. Une éradication systématique d’Helicobacter pylori et une surveillance endoscopique rapprochée doivent ensuite être proposées aux patients. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> Les cancers superficiels de l’estomac sont des tumeurs rares dont l’incidence augmente grâce aux progrès technologiques endoscopiques et à un dépistage plus systématique des patients à risque
> Le pronostic est excellent et dépend de l’envahissement ganglionnaire
> Les critères associés à un risque d’invasion ganglionnaire sont connus et nécessitent d’être définis pour chaque patient pris en charge
> L’échoendoscopie est l’examen indispensable pour le bilan d’extension loco-régionale
> La chirurgie par laparoscopie est le traitement de référence
> La résection endoscopique est une alternative thérapeutique moins invasive, qui nécessite d’être réalisée dans un centre expert et chez des patients sélectionnés
> Après traitement endoscopique ou gastrectomie partielle, une surveillance endoscopique régulière et l’éradication d’Helicobacter pylori doivent être systématiquement proposées