L’histoire de la lutte contre les infections par le virus des hépatites B et C fournit aujourd’hui une double leçon exemplaire. La première est celle des avancées thérapeutiques réalisées depuis quatre décennies dans les champs de la virologie et de la vaccinologie/pharmacologie. La seconde réside dans la prise de conscience des réalités après des périodes d’enthousiasme au cours desquelles la perspective de l’éradication semblait à portée de main. La publication, en France, du dernier rapport officiel de recommandations concernant ces deux infections permet de prendre la mesure du chemin parcouru concernant ces avancées thérapeutiques. Elle permet aussi de prendre celle des nouvelles difficultés, à la fois économiques, sociales et éthiques qui émergent dans ce domaine.
Une série de raisons hétérogènes font qu’en France les hépatites liées aux virus de l’hépatite B et de l’hépatite C sont reconnues de longue date comme une priorité de santé publique. Elles ont ainsi fait l’objet, depuis 1999, de trois plans nationaux concernant aussi bien la prévention que la prise en charge et la recherche. Début 2013, le gouvernement français a souhaité que les experts dans ce domaine lui fournissent des recommandations sur les hépatites B ou C «dans les domaines sanitaires, sociaux, éthiques et organisationnels en tenant compte notamment du contexte épidémiologique actuel, des avancées scientifiques, thérapeutiques, et des évolutions concernant la prévention et le dépistage».
La réalisation de ce rapport a été confiée à l’Association française pour l’étude du foie (AFEF) et le Pr Daniel Dhumeaux (CHU Henri Mondor, Créteil) en a assuré la coordination. Ce document vient d’être rendu public sous le titre «Rapport sur la prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B ou de l’hépatite C».1
On estime à environ 500 000 le nombre de personnes infectées en France par les virus de l’hépatite B (VHB) et/ou de l’hépatite C (VHC). «Transmis par le sang, et également pour le VHB, par voie sexuelle et de la mère à l’enfant, ces virus sont responsables d’environ 4000 décès par an dans notre pays. Lorsque ces infections ne sont pas dépistées ou traitées, elles risquent d’évoluer vers la cirrhose ou le cancer du foie, résument les auteurs du rapport. La France s’est mobilisée très tôt contre ces infections et elle est aujourd’hui une référence en matière de dépistage et de prise en charge thérapeutique. L’amélioration des précautions d’hygiène en milieu médical et communautaire et la sécurité transfusionnelle ont contribué à ce que la prévalence et l’incidence diminuent au cours du temps en population générale.»
Pour autant, les spécialistes français soulignent la nécessité d’une mise en œuvre rapide de mesures permettant un renforcement de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des personnes infectées. Sur la base des dernières données épidémiologiques disponibles, on estime en France qu’environ la moitié des 300 000 personnes atteintes d’hépatite B et un tiers des 200 000 personnes atteintes d’hépatite C ignorent encore leur statut sérologique.
Or, ce qui pouvait hier encore être considéré (à tort) comme acceptable ne l’est désormais plus : les importantes avancées thérapeutiques dans ce domaine font que les insuffisances dans le dépistage conduisent à une perte de chance inacceptable pour les personnes atteintes qui accèdent avec retard (ou pas du tout si elles sont maintenues dans l’ignorance de leur statut) aux nouveaux traitements. Qui plus est, ces personnes sont également des sources potentielles et aveugles de nouvelles contaminations.
«La part élevée de personnes ignorant, en France, qu’elles sont infectées par une hépatite B ou C nécessite de poursuivre la stratégie de dépistage ciblé en fonction des facteurs de risque de contamination» recommandent les spécialistes. Mieux : ils préconisent d’élargir le dépistage aux hommes âgés de 18 à 60 ans et aux femmes enceintes dès la première consultation prénatale, en couplant le dépistage du VHB et du VHC à celui du VIH.
En France, la politique vaccinale en vigueur depuis 1994 consiste à proposer/recommander la vaccination contre le VHB aux personnes à risque élevé d’exposition (soignants, personnes ayant de «multipartenaires sexuels», usagers de drogues, personnes venant de zones d’endémicité élevée…) ainsi qu’aux nourrissons et aux adolescents jusqu’à l’âge de quinze ans. Or, les objectifs sont loin d’être atteints. Le taux de couverture est inférieur à 50% chez les usagers de drogues ; il est compris entre 58 et 63% chez les homosexuels. Chiffre remarquable : seuls 88% des médecins généralistes se déclarent vaccinés, alors que cette vaccination leur est obligatoire. Si la couverture vaccinale des nourrissons est en nette augmentation depuis 2008 (en raison de la modification des présentations vaccinales), celle des adolescents est gravement insuffisante depuis l’arrêt des vaccinations en milieu scolaire.
C’est là un tableau hautement préjudiciable qui trouve pour une large part son origine dans des polémiques franco-françaises médiatiques récurrentes quant à un lien jamais démontré entre cette vaccination et la survenue de sclérose en plaques – polémiques qui ont conduit à l’arrêt des campagnes de vaccination chez les enfants depuis 1998. Dans ce groupe d’âge, la couverture vaccinale est ainsi passée de 62% en 2000-2001 à 43% en 2008-2009. La très grande efficacité de ce vaccin n’a rien changé à cette situation pas plus que la démonstration de l’absence de lien de causalité entre cette vaccination et la survenue de maladies démyélinisantes.
L’usage de drogues par voie injectable est aujourd’hui à l’origine de la majorité des nouvelles contaminations par le VHC. Les usagers de drogues sont ainsi le groupe social le plus lourdement touché et le principal «réservoir» de l’infection. Dans cette population, certains sont plus exposés au risque : les personnes en situation de précarité, les jeunes, les femmes, les migrants et les personnes détenues. L’objectif global est, d’une part de mettre en place des mesures qui soient bénéfiques aux usagers eux-mêmes et, d’autre part de «casser» la chaîne de transmission des virus à l’entourage et au-delà.
Grâce à des combinaisons de nouvelles molécules à activité antivirale directe (et maintenant sans interféron), des taux très élevés de guérison de l’infection par le VHC sont obtenus, avec des durées de traitement courtes (trois mois) et très peu d’effets indésirables. «Ces traitements conduisent à une éradication du virus et préviennent l’évolution vers la cirrhose. Chez les malades qui ont une cirrhose, ces nouveaux traitements permettent de diminuer le risque de cancer du foie et le recours à la transplantation hépatique» soulignent les auteurs. Or, l’obstacle majeur est aujourd’hui financier (le coût unitaire du traitement approche les 100 000 euros).
Compte tenu des avancées thérapeutiques, l’objectif à terme pourrait être de traiter l’ensemble des personnes atteintes d’hépatite C, en visant l’éradication virale. Pour l’heure, le pragmatisme fait que les modélisations et les études coût-efficacité conduisent aujourd’hui les cliniciens à privilégier le traitement chez les patients ayant le risque le plus élevé de progression de leur infection. Il est ainsi suggéré de traiter en priorité les patients ayant au moins une fibrose significative et, quel que soit le stade de fibrose, les patients ayant des manifestations extrahépatiques ou en attente de transplantation, les femmes ayant un désir de grossesse, les usagers de drogues et les personnes détenues. Rien ne dit que cet objectif pourra être atteint.
Il apparaît enfin que les populations aujourd’hui frappées lourdement par les hépatites B et C se caractérisent par des difficultés sociales ou des particularités régionales : pauvreté, précarité, logement, migration, détention, France d’outre-mer. «Leur prise en charge ne peut se restreindre à la seule composante médicale, concluent les auteurs des recommandations. Elle doit être accompagnée de mesures sociales qui, pour être efficaces, doivent être pluridisciplinaires et adaptées : amélioration de la couverture médicale complémentaire de santé, droit au séjour pour raisons médicales, lutte contre les refus de soins, etc.»
C’est dire, au-delà des progrès biologiques, vaccinaux et médicamenteux, à quel point le politique demeure l’une des clés de voûte des avancées thérapeutiques de notre temps.