Près de quarante plus tard, c’est une première. Jamais, depuis 1976 (année de son identification en République démocratique du Congo), le virus Ebola n’était apparu sous une forme épidémique dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Une trentaine de flambées avaient certes été observées mais il s’agissait le plus souvent d’épidémies localisées touchant des villages isolés d’Afrique centrale (RDC, Ouganda, Soudan, Gabon). Aujourd’hui, le virus sévit à grande échelle à l’ouest du continent (Guinée puis Liberia Sierra Leone et Nigéria) où il est apparu en mars.
On sait que ce virus fait partie du genre Ebolavirus, l’un des trois genres appartenant à la famille des filoviridés (filovirus), avec le genre Marburgvirus et le Cuevavirus. Il compte cinq espèces distinctes: «Zaïre» – la souche qui touche actuellement l’Afrique de l’Ouest –, «Soudan», «Bundibugyo», «Reston» et «Forêt de Taï». On sait aussi qu’il n’existe pour l’heure aucune possibilité thérapeutique spécifique, curative ou vaccinale à visée préventive.
L’épidémie actuelle, fortement médiatisée, conduit à une situation inédite : la multiplication des annonces concernant de possibles essais cliniques à partir de candidats-médicaments ou de candidats-vaccins qui en sont à divers stades de leur développement expérimental. Une situation d’autant plus confuse que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné son aval à l’utilisation, sur le terrain africain, de médications non homologuées. Et ce, après avis demandé à un comité d’éthique qui semble bien avoir été réuni à cette fin. Tout comme la FDA (Food and Drug Administration) l’OMS envisage des procédures accélérées, voire de «sauter des étapes dans le développement du produit» pour faciliter l’accès aux médicaments et aux vaccins. Compte-tenu du contexte d’urgence, quels seront les garde-fous qui résisteront ? C’est l’une des questions éthique et sanitaire essentielle que soulève la situation actuelle.
Plusieurs stratégies vaccinales ont été élaborées et différents candidats-vaccins sont à l’essai. Le postulat de départ a été que des particules virales inactivées faisaient courir le risque de mutations virales – un risque nettement trop grand pour pouvoir être pris avec ce pathogène à haut pouvoir létal. Le recours à l’utilisation de vecteurs viraux recombinants (non pathogènes ou non réplicatifs) exprimant une ou plusieurs protéines du virus Ebola a donc été préféré.
Pour sa part, l’OMS fait grand cas d’un vaccin préventif développé par GlaxoSmith-Kline (GSK). Elle estime que les premiers essais cliniques pourraient probablement démarrer dans les mois qui viennent, avec une mise à disposition courant 2015 dans le meilleur des cas. Les essais de vaccination ayant montré des résultats prometteurs chez des primates, il devrait entrer très prochainement en phase I si l’on en croit le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID).1
L’OMS est aujourd’hui pleinement en phase avec GSK et les autorités américaines comme en témoignent les récentes déclarations publiques (sur Radio France Internationale) du Dr Jean-Marie Okwo Bélé, directeur du Département des vaccins et immunisations de l’OMS. Les premiers essais pourraient commencer dès septembre aux Etats-Unis et dans un pays africain. Le représentant de l’OMS a évoqué la possibilité de «mettre en place des processus d’urgence (…) pour que, dans le courant de l’année 2015, on puisse disposer d’un vaccin», ceci étant bien sûr conditionné par «ce qu’on a comme résultats au cours des essais».
Le candidat-vaccin GSK n’est pas le seul. L’OMS en évoque ainsi «quatre ou cinq autres qui ne sont pas au stade où on peut commencer maintenant les essais cliniques». Le NIAID révèle, quant à lui, l’existence d’un vaccin multivalent Ebola/Marburg qui utilise un adénovirus recombinant comme vecteur. Une phase I semble ici prévue pour fin 2015 ou début 2016. En outre, le NIH et l’Université Thomas Jefferson collaborent à la mise au point de vaccins anti-Ebola sur la base d’un vaccin contre la rage, qui pourrait servir à prévenir ces deux maladies à la fois ; une version sous forme de «virus inactivé» est à l’étude chez l’humain et pour un usage vétérinaire, une forme «virus vivant» est étudiée pour protéger la faune africaine et prévenir le passage du virus de l’animal à l’homme. Des essais devraient démarrer chez les primates.2
Couverture médiatique aidant elles semblent dominées par le ZMapp.3 Il s’agit ici d’une association expérimentale de trois anticorps humanisés élaborée par Mapp Biopharmaceuticals, une firme de San Diego. Elle a été développée dans le cadre d’un programme de recherche soutenu notamment depuis par l’armée américaine. Le ZMapp n’avait jusqu’à présent été testé que sur des animaux de laboratoire (publication de 2011 et publication de 2012) avant de l’être, au Liberia. D’abord, sur deux soignants américains infectés par le virus Ebola qui ont ensuite été rapatriés aux Etats-Unis et hospitalisés à l’Hôpital Emory d’Atlanta. Ils semblent aujourd’hui hors de dangers. Un prêtre espagnol, également contaminé au Liberia, a également reçu du ZMapp avant de mourir des suites de son infection. Des essais sont en cours sur trois soignants libériens.
Des procédures accélérées d’autorisation sont en cours au sein de la FDA américaine. Par ailleurs, la FDA a partiellement levé les restrictions qui portaient sur un autre traitement expérimental, le TKM-Ebola (un ARN interférant avec le matériel génétique du virus) de la société canadienne Tekmira. Après des essais concluants sur des singes, un essai clinique chez des volontaires sains avait été en effet stoppé par la FDA en juillet en raison d’effets secondaires. Contexte d’urgence aidant le FDA s’est ravisée et le TKM-Ebola redevient d’actualité, du moins sur le terrain africain.
Il faut encore aussi citer le favipiravir (ou «T-705»), un antiviral contre les virus gripaux de Toyama Chemical, filiale de FujiFilm. Ou encore, au registre de la sérothérapie, ce que le Dr Okwo-Bele nomme le «sérum de convalescence» : des anticorps issus du sang d’une personne préalablement infectée par le virus Ebola mais désormais guérie et que l’on transfère au patient. Or, c’est là une voie dénoncée par plusieurs spécialistes français de virologie, spécialistes de l’infection par Ebola. Ils font valoir que cette piste a été explorée par le passé et qu’elle n’a rien donné, les anticorps n’ayant aucune propriété neutralisante.
Les résultats d’un essai de phase I viennent d’être publiés dans The Lancet.4 Il s’agit ici d’un nouveau vaccin développé en n’utilisant que des «Virus-Like-Particles» non infectieuses (VLP). Ces particules imitent les effets de la stimulation immunitaire de particules virales réelles sans provoquer d’infection (car privées du matériel génétique viral).
Cet essai a été mené aux Etats-Unis sur 25 volontaires sains âgés de 18 à 50 ans. Ils ont reçu une des trois doses (10, 20, ou 40 μg) testées du candidat-vaccin – et ce par injection, aux semaines 0, 4, et 20. Les taux sanguins d’anticorps ont été mesurés à intervalles réguliers chez les participants. L’essai montre l’absence d’effets indésirables graves et une réponse immunitaire sous la forme d’anticorps neutralisants détectée chez la majorité des receveurs après une première vaccination – même avec la dose la plus faible.
Après la seconde vaccination, tous les participants (quelle que soit la dose testée) présentent des niveaux élevés d’anticorps. Ces anticorps sont détectés chez tous les participants six mois après la dernière vaccination. Après onze mois, les niveaux d’anticorps sont comparables à ceux observés chez des patients ayant récupéré après infection au chikungunya via les piqûres de moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus.