Le diabète de type 2 (DT2) est classiquement considéré comme une maladie complexe, avec une composante génétique et environnementale.1 Il est généralement associé à un excès de poids, avec deux déficits principaux : un déficit partiel de l’insulinosécrétion, en aggravation progressive avec le temps, et une insulinorésistance.2,3 Dès lors, les thérapeutiques qui ont été proposées pour améliorer le contrôle glycémique des patients DT2 ont tenté de corriger ces deux anomalies, par des médicaments insulinosécréteurs (principalement les sulfamides et, plus rarement, les glinides) ou des agents insulinosensibilisateurs (metformine et thiazolidinediones ou glitazones).2,4 Force est, cependant, de constater que ces options thérapeutiques ne permettent pas d’obtenir, et surtout de maintenir, un bon contrôle glycémique chez une majorité de patients DT2 et qu’elles peuvent être, par ailleurs, associées à des manifestations indésirables dont les hypoglycémies et la prise de poids.
Plus récemment, un déficit du système incrétine a été mis en évidence dans la physiopathologie du DT2 et de nouvelles approches pharmacologiques ciblant notamment le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) ont été développées et commercialisées.5,6 Elles comprennent soit des incrétinopotentiateurs (gliptines), en inhibant l’enzyme dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4) qui dégrade rapidement l’hormone incrétine, soit des incrétinomimétiques (agonistes des récepteurs du GLP-1).7 Par comparaison aux gliptines, les agonistes des récepteurs du GLP-1 offrent l’avantage d’un effet plus important sur la réduction des taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), d’un certain amaigrissement, bienvenu chez le patient DT2 (alors que les gliptines sont considérées comme neutres sur le plan pondéral) et d’une baisse modérée de la pression artérielle.8 Par contre, ils doivent être administrés en injection sous-cutanée et sont plus coûteux.
Compte tenu de la multitude des déficits contribuant à la physiopathologie du DT2, des combinaisons thérapeutiques paraissent devoir, tôt ou tard, s’imposer pour une prise en charge optimale des patients.2 Dans les dernières recommandations pour le traitement de l’hyperglycémie du DT2, les associations insuline basale-agoniste des récepteurs du GLP-1 sont envisagées dans les diverses combinaisons thérapeutiques proposées après l’échec d’une monothérapie par metformine ou, comme c’est le plus souvent le cas en pratique clinique, en cas d’échappement à une bithérapie ou une trithérapie orale.4 Le but de cet article est, d’abord, d’analyser le rationnel d’un traitement combiné par insuline et agonistes des récepteurs du GLP-1,9 puis de rapporter les premiers résultats obtenus avec ce type de combinaison dans les essais cliniques contrôlés publiés à ce jour,10,11 pour finir par les perspectives offertes par des combinaisons fixes «insuline basale-agoniste des récepteurs du GLP-1» actuellement en cours de développement.
La dysfonction de la cellule β est déjà perceptible aux premiers stades de la maladie, dès la présence d’une diminution de la tolérance au glucose. Au moment du diagnostic de DT2, la capacité insulinosécrétoire serait déjà amputée d’environ 50%. Par la suite, la défaillance de la cellule β s’aggrave avec le temps et est considérée comme le facteur principal de la détérioration du contrôle glycémique imposant une intensification du traitement pharmacologique.2 Aussi, tôt ou tard, l’instauration d’une insulinothérapie devra être décidée (stade de l’insulinorequérance), avec diverses modalités possibles et le recours de plus en plus fréquent aux analogues de l’insuline.12 Dans les recommandations récentes,4 il est proposé d’ajouter préférentiellement une insuline basale dont le but principal est de contrôler la glycémie en dehors des périodes couvrant les repas, c’est-à-dire essentiellement la période nocturne. L’ajustement de la posologie se fait d’ailleurs habituellement en titrant progressivement la dose d’insuline basale en fonction des résultats de la glycémie mesurée à jeun, en fin de nuit. Plusieurs insulines basales sont actuellement disponibles, d’action plus ou moins prolongée avec, en allant de la plus courte à la plus longue, les insulines NPH, détémir, glargine et dégludec. Une autre possibilité est de recourir à l’injection d’une insuline prémixée (en une ou deux administrations par jour). Dans ce cas, la composante lente du mélange vise à contrôler les glycémies en dehors des repas, tandis que la composante rapide a pour but de maîtriser au mieux l’hyperglycémie postprandiale.4
Le patient avec un DT2 se caractérise par une diminution de l’effet incrétine, c’est-à-dire de l’amplification de la réponse insulinique lorsque l’hyperglycémie provoquée est induite par une absorption des glucides par l’intestin. Les raisons de ce déficit de la réponse incrétine dans le DT2 sont encore mal connues. Il semble cependant qu’il s’agisse d’un déficit secondaire plutôt qu’intrinsèque (primaire). Les premières études avaient suggéré que le déficit de la réponse incrétine du patient DT2 était dû à une carence de sécrétion du GLP-1. Il semble maintenant que la sécrétion de GLP-1 ne soit pas systématiquement diminuée dans le DT2 (réponse variable selon les patients), mais qu’il existe aussi une certaine résistance à l’action de cette hormone. Quoi qu’il en soit, l’effet incrétine peut être, au moins partiellement, rétabli en augmentant les taux circulants du GLP-1. Dans cet article, nous n’envisagerons que les agonistes des récepteurs du GLP-1, bien que des résultats intéressants aient également été rapportés avec les combinaisons insuline-gliptine.9
Les agonistes des récepteurs du GLP-1 se distinguent par une durée d’action différente et par un impact plus ou moins prononcé sur la vidange gastrique et donc sur le contrôle de l’hyperglycémie postprandiale (tableau 1).13,14 L’exénatide dans sa formulation classique (deux injections par jour)15 et le lixisénatide (une injection par jour)16 paraissent avoir la meilleure action de contrôle de l’hyperglycémie postprandiale, notamment par un effet plus marqué sur le ralentissement de la vidange gastrique. Cet effet est parfois tellement marqué que la réduction de l’hyperglycémie postprandiale qui en découle fait en sorte que l’insulinosécrétion postprandiale correspondante apparaît diminuée en valeur absolue, ce qui peut paraître paradoxal pour un médicament à effet incrétine. Par contre, des agonistes à plus longue durée d’action comme le liraglutide, en une injection par jour, ou l’exénatide à libération prolongée, en une injection hebdomadaire, et sans doute aussi d’autres molécules en développement pour une injection par semaine (dulaglutide, albiglutide, sémaglutide), exercent peu d’effets sur la vidange gastrique (et donc moins d’effets sur l’hyperglycémie postprandiale), mais un effet plus prononcé sur la glycémie à jeun.13,14
Outre les effets sur la vidange gastrique et la sécrétion d’insuline, tous les agonistes des récepteurs du GLP-1 réduisent la sécrétion de glucagon, à jeun et en phase postprandiale (tableau 1). Compte tenu des effets bien connus du glucagon sur l’homéostasie de la concentration plasmatique de glucose,17 cette action contribue à améliorer le contrôle de la glycémie, aussi bien à l’état basal qu’après un repas. Les deux types d’agonistes des récepteurs du GLP-1 ont été testés en combinaison à l’insuline dans le but d’obtenir un effet synergique sur le contrôle glycémique.
Les complications diabétiques dépendent de l’exposition à la charge glycémique, elle-même fonction de la durée et de l’ampleur de l’hyperglycémie. L’hyperglycémie a deux composantes : la glycémie à jeun (basale) et la glycémie postprandiale. Toutes deux contribuent à l’augmentation du taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) dont on connaît la forte relation avec la survenue des complications, en particulier microangiopathiques, chez le patient diabétique. Comme déjà discuté antérieurement, l’injection d’une insuline basale, à action lente, est particulièrement utile pour contrôler la glycémie à jeun tandis que l’administration d’un médicament à effet incrétine cible bien l’hyperglycémie postprandiale. La complémentarité des deux approches thérapeutiques apparaît, dès lors, assez évidente et elle se traduit par un meilleur contrôle du taux d’HbA1c (figure 1).11,18
Il existe d’autres avantages à une thérapie combinée insuline-incrétine.11,18 L’insulinothérapie chez le patient DT2 a comme inconvénient de favoriser un gain de poids, dommageable chez une personne qui présente généralement déjà un excès pondéral. Par ailleurs, l’insulinothérapie expose le patient DT2 à un risque accru d’hypoglycémies et ce, d’autant plus que de fortes doses d’insuline doivent être utilisées pour surmonter l’insulinorésistance. Les médications ciblant le GLP-1 offrent, de ce point de vue, deux avantages non négligeables.5 Tout d’abord, les agonistes des récepteurs du GLP-1 provoquent un certain amaigrissement.19 Ensuite, ces médicaments n’occasionnent pas d’hypoglycémies par eux-mêmes puisqu’ils stimulent la sécrétion d’insuline (et inhibent la sécrétion de glucagon) de façon gluco-dépendante. En combinaison à l’insulinothérapie, une baisse du risque d’hypoglycémie est même envisageable au moins chez certains patients chez lesquels la combinaison permettrait de réduire les doses d’insuline. Le rationnel d’une combinaison insuline basale-médicament incrétine apparaît donc assez évident d’un point de vue physiopathologique et clinique.11
Plusieurs essais cliniques contrôlés versus placebo ont étudié les effets de l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 chez des patients DT2 traités par insuline (le plus souvent insuline glargine). Ils ont fait l’objet de plusieurs revues systématiques récentes.18,20–22
Dans une étude princeps de 30 semaines, l’ajout d’exénatide 2 × 10 μg par jour (Byetta) chez des patients DT2 traités par insuline glargine dont la dose était titrée pour atteindre une glycémie à jeun optimale, a entraîné une plus grande réduction du taux d’HbA1c, de 1,7%, qu’avec l’ajout d’une injection placebo (-1%), malgré une moindre augmentation des doses d’insuline (+13 versus +20 U/jour). La glycémie postprandiale était significativement réduite avec l’exénatide et pas avec le placebo tandis que les glycémies à jeun étaient comparables dans les deux groupes. Le poids corporel a diminué de 1,8 kg sous exénatide alors qu’il a augmenté de 1 kg sous placebo. L’incidence des hypoglycémies a été assez comparable avec les deux modalités thérapeutiques.23
Le lixisénatide (Lyxumia), en ajout à l’insuline glargine, a d’abord été analysé chez des patients DT2 asiatiques dans l’étude GetGoal-L-Asia (tableau 1).24 Ensuite, les résultats favorables ont été confirmés chez des patients caucasiens dans deux protocoles complémentaires, soit en addition à l’insuline basale selon un protocole classique contrôlé versus placebo (GetGoal-L),25 soit après une première période de titration avec l’insuline glargine seule (GetGoal-Duo 1).26 L’ajout d’un analogue du GLP-1 entraîne une réduction du taux d’HbA1c de 0,3-0,88%, une diminution du poids corporel de 0,5 à 3 kg et une légère réduction des besoins en insuline (de -1 à -7 U/jour), mais avec une augmentation modérée des épisodes d’hypoglycémie (sans gravité cependant) (tableau 2). Une analyse post-hoc des résultats des trois études GetGoal susmentionnées a montré que l’ajout du lixisénatide à une insuline basale permettait de réduire significativement les indices de la variabilité glycémique.27 Une partie de l’effet positif obtenu provient de la réduction de la production du glucagon en phase postprandiale, comme cela a bien été montré dans une méta-analyse récente.28
Les études réalisées avec le liraglutide (Victoza) ont adopté un protocole sensiblement différent. Dans une première étude, l’insuline basale détémir a été ajoutée à un traitement par metformine plus liraglutide et non l’agoniste des récepteurs GLP-1 à un traitement préalable par insuline basale.29 Dans une deuxième étude, de plus courte durée (douze semaines) et de moindre envergure, l’ajout du liraglutide a été comparé à une titration forcée de l’insulinothérapie chez des patients DT2 chinois avec une obésité abdominale et mal équilibrés.30 Enfin, une troisième étude, également sur un échantillon relativement faible mais portant sur une durée de six mois, a montré que l’ajout de liraglutide (1,2 ou 1,8 mg par jour) chez des patients DT2 obèses requérant des doses élevées d’insuline (plus de 100 UI/jour) selon un schéma basal-bolus permettait, après six mois, de réduire significativement le taux d’HbA1c, le poids corporel, la dose d’insuline et la variabilité glycémique (vérifiée par un monitoring continu du glucose interstitiel) par rapport à un groupe traité uniquement par un traitement insulinique intensif.31 Il est sans doute malaisé de comparer stricto sensu les résultats de ces études avec ceux des autres essais dans lesquels l’insulinothérapie consistait en l’administration d’une insuline basale (de type glargine).32 Le fait que l’ajout du liraglutide ait surtout été testé chez des patients DT2 traités par un schéma insulinique intensif de type basal-prandial s’explique sans doute par le fait que cet agoniste des récepteurs du GLP-1 exerce une action moins prononcée sur la glycémie postprandiale que l’exénatide ou le lixisénatide, comme déjà mentionné.13,14 Néanmoins, une étude ouverte, réalisée sur un effectif réduit de patients DT2 obèses, a comparé les effets de l’ajout de l’exénatide deux fois par jour et du liraglutide une fois par jour à un traitement par insuline basale. Les résultats ont été sensiblement comparables avec les deux agonistes des récepteurs du GLP-1. Ils montraient une réduction de 1% du taux d’HbA1c en sept mois, une perte de poids d’environ 7 kg, une réduction marquée des besoins en insuline, peu d’hypoglycémies et un niveau élevé de satisfaction de la part des patients.33 Cette étude est cependant trop limitée pour pouvoir tirer des conclusions définitives.
Enfin, chez des patients DT2 imparfaitement équilibrés par une insuline basale, titrée pour bien contrôler la glycémie à jeun, les effets de l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 ont été comparés à ceux de l’ajout de bolus d’insuline rapide. Il a été démontré que l’exénatide, à la dose de 2 × 10 μg par jour, permet d’obtenir une diminution du taux d’HbA1c comparable à celle observée avec l’ajout de bolus d’insuline lispro (dans les deux cas, -1,1% après 30 semaines), mais avec une perte pondérale de 2,5 kg (contrastant avec un gain pondéral de 2,1 kg dans l’autre groupe). Il y a eu moins d’hypoglycémies avec l’ajout de l’exénatide, mais davantage de manifestations indésirables digestives.34
Ainsi, l’ensemble de ces études contrôlées confirme les résultats favorables de la combinaison insuline plus analogue du GLP-1.18,20–22 Par ailleurs, ces données obtenues dans des essais cliniques (de durée limitée à un maximum de 30 semaines) ont été validées dans des études observationnelles plus prolongées (deux années) en vie réelle.18,20–22 En clinique, un des intérêts les plus appréciés de l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 à un traitement insulinique concerne l’effet favorable sur le poids corporel,19 comme encore récemment démontré dans l’étude ELEGANT avec le liraglutide.35
Compte tenu des résultats favorables obtenus dans les essais cliniques susmentionnés, les firmes pharmaceutiques sont en train de développer des combinaisons fixes insuline basale-agoniste des récepteurs GLP-1 : il s’agit, d’une part, de la combinaison insuline dégludec-liraglutide, mise au point par Novo-Nordisk (IDegLira)36 et, d’autre part, de la combinaison insuline glargine-lixisénatide, développée par Sanofi-Aventis (LixiLan). IDegLira s’est révélé efficace et sûr d’utilisation lors d’un grand essai de phase 3 (toujours publié sous forme de résumé de congrès au stade actuel) chez des patients DT2 insuffisamment équilibrés par des antidiabétiques oraux.37
Le DT2 est une maladie à la physiopathologie complexe, évolutive dans le temps essentiellement en raison de l’épuisement progressif de la fonction insulinosécrétoire. Outre préserver la cellule β, un objectif majeur, tôt ou tard dans l’histoire naturelle de la maladie, est donc d’essayer de compenser au mieux l’insulinosécrétion défaillante. Celle-ci présente déjà un déficit relatif à l’état basal, mais qui devient encore plus évident en phase postprandiale. Une façon élégante de compenser ces deux déficits est de combiner l’injection d’une insuline basale au coucher, dont la dose devra être titrée pour maîtriser la glycémie à jeun, et un agoniste des récepteurs du GLP-1 pour amplifier la réponse insulinosécrétoire résiduelle après les repas (pour les composés induisant un ralentissement marqué de la vidange gastrique, pas nécessairement en valeur absolue, mais au moins relativement par rapport au niveau d’hyperglycémie ambiante), tout en réduisant la sécrétion de glucagon, sans induire de risque notable d’hypoglycémie, et en permettant un effet plus favorable sur le poids corporel. Ces effets ont pu être validés dans divers essais cliniques contrôlés et l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 peut représenter une alternative thérapeutique intéressante par rapport à l’ajout d’insuline rapide. Des combinaisons fixes insuline dégludec-liraglutide et insuline glargine-lixisénatide sont actuellement en cours de développement et devraient être commercialisées dans un avenir relativement proche.
> Le diabète de type 2 (DT2) est une maladie évolutive qui impose un ajustement progressif du traitement antihyperglycémiant au cours du temps
> Le déficit de l’effet incrétine du patient DT2 peut être compensé par un inhibiteur de la DPP-4 (gliptine) ou l’injection d’un agoniste des récepteurs du GLP-1
> Les médicaments à effet incrétine se sont révélés efficaces non seulement au début de la maladie (en monothérapie ou en association à la metformine), mais aussi tardivement au stade de l’insulinorequérance
> L’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 à une insuline basale améliore le taux d’HbA1c, diminue le poids corporel, réduit les besoins en insuline, sans augmenter sensiblement le risque hypoglycémique
> L’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 à une insuline basale représente une alternative à l’option d’associer des bolus d’insuline rapide pour le contrôle de l’hyperglycémie postprandiale