La prévention des maladies cardiovasculaires (CV) reste un objectif prioritaire dans nos sociétés industrialisées. Elles représentent, en effet, une des premières causes de mortalité. Parmi les facteurs de risque CV, les dyslipidémies jouent un rôle majeur, notamment en ce qui concerne la maladie coronarienne. Le cholestérol LDL (LDL-C) est désigné comme la lipoprotéine la plus athérogène,1 mais un taux abaissé de cholestérol HDL (HDL-C) et une hypertriglycéridémie (souvent observés dans le syndrome métabolique) sont également considérés comme des facteurs de risque CV.2 Il est admis que la correction du profil lipidique constitue un élément capital de la prévention CV. Il ne faut cependant pas oublier l’importance de prendre en charge l’ensemble des facteurs de risque en proposant une approche multifactorielle.
Le clinicien devra donc évaluer le risque CV du patient pour juger s’il importe ou non de proposer une pharmacothérapie hypolipémiante en plus des mesures hygiéno-diététiques, qui doivent rester le socle de la prise en charge.
Pour ce faire, différentes sociétés scientifiques ont établi des recommandations. Le présent article aborde les recommandations européennes en les comparant aux américaines, plus récentes.
Les dernières recommandations du traitement des dyslipidémies de l’European Atherosclerosis Society (EAS) et l’European Society of Cardiology (ESC) ont été publiées en 2011.3
Dans le traitement des altérations du profil lipidique, la stratégie préventive peut se diviser en quatre étapes. Dans chacune d’elles, les recommandations ont apporté des nouveautés par rapport à celles des précédentes «Joint European Societies’ Task Force guidelines on the prevention of CVD in clinical practice» de 2007.4,5 Elles sont résumées dans le tableau 1.
La première étape consiste en la stratification du risque CV en quatre catégories. Pour pallier les lacunes des anciennes recommandations, les nouvelles proposent quatre niveaux de risque. D’une part, l’ancienne catégorie «risque élevé» est maintenant subdivisée en «risque très élevé» et «risque élevé». Ainsi, il est recommandé de séparer, chez les patients diabétiques, ceux plus âgés (> 40 ans) avec au moins un autre facteur de risque ou portant des marqueurs d’une atteinte des organes-cibles, comme par exemple la présence d’une microalbuminurie (considérés maintenant comme à risque très élevé) des autres personnes diabétiques (restant en risque élevé). En prévention primaire, les nouvelles recommandations dissocient aussi, chez les patients au SCORE ≥ 5%, ceux dont le risque est ≥ 10% (risque très élevé) des autres (risque entre 5 et 10% = risque élevé). Les patients en insuffisance rénale modérée à sévère (filtration glomérulaire < 60 ml/min/1,73 m2) ont été incorporés dans la catégorie de patients à risque très élevé. D’autre part, l’ancienne catégorie «risque bas», qui correspondait aux patients avec un SCORE < 5% , est subdivisée, dorénavant, en deux sous-catégories, celle regroupant les patients dont le risque est entre 1 et 5% (risque modéré) et celle incluant les autres (risque < 1% = risque bas). Deux nouvelles catégories de risque se sont donc ajoutées (tableau 2) (risque très élevé et risque modéré). L’ancienne catégorie de risque élevé inclut, maintenant, les patients en prévention primaire avec SCORE entre 5 et 10%, ou avec diabète mais non classés comme risque très élevé, ainsi que les patients présentant un facteur de risque particulièrement extrême telle une hypertension sévère (valeur supérieure à 180 mmHg de pression systolique, par exemple) ou une hypercholestérolémie sévère isolée, avec un taux de cholestérol supérieur à 7,8 mmol/l (300 mg/dl) ou associée à d’autres anomalies lipidiques. Enfin, la catégorie de risque bas inclut les personnes en prévention primaire avec SCORE de moins de 1%.
Chez les patients en pré, l’estimation du risque se fait toujours au moyen de la table SCORE, qui permet le calcul du risque de mortalité CV à dix ans en fonction des cinq facteurs classiques de risque (sexe, âge, habitude tabagique, pression artérielle systolique et taux de cholestérol total).6 Ce SCORE prédit le risque de développer un accident CV fatal dans les dix années chez des sujets asymptomatiques.
Les nouvelles recommandations européennes proposent maintenant de nuancer aussi le risque SCORE selon le taux de HDL-C mais permettent aussi de tenir compte d’autres facteurs de risque, tant quantitativement (présence d’antécédents familiaux) que semi-quantitativement (taux élevés de triglycérides ou TG, obésité, précarité sociale…).
La deuxième étape consiste en la fixation de valeurs-cibles de LDL-C et les moyens pour y parvenir. Les conseils hygiéno-diététiques sont évidemment nécessaires pour tous. L’abaissement du taux de LDL-C reste l’objectif thérapeutique principal. En ce qui concerne les recommandations européennes, les valeurs cibles du LDL-C ont été abaissées et varient en fonction du niveau de risque estimé : taux de LDL-C en dessous de 1,8 mmol/l (70 mg/dl) pour les patients à risque très élevé ; en dessous de 2,6 mmol/l (100 mg/dl) pour les patients à risque élevé ; en dessous de 3 mmol/l (115 mg/dl) pour les patients à risque modéré. Pour certains patients à risque très élevé, où la cible de 1,8 mmol/l (70 mg/dl) ne peut être atteinte, on recommandera de réduire le taux de LDL-C d’au moins 50%. Le choix du traitement s’orientera préférentiellement vers une statine et le choix de celle-ci devrait dépendre de la réduction du taux de LDL-C escomptée. Cependant, les recommandations européennes n’excluent pas d’autres classes pharmacologiques dans certaines situations ou populations particulières.
Les dernières recommandations américaines concernant la prise en charge des dyslipidémies en prévention cardiovasculaire, développées par l’American College of Cardiology (ACC) et l’American Heart Association (AHA), en collaboration avec le National Heart, Lung, and Blood Institute (NHLBI), ont étonné et soulevé de nombreuses questions par leurs différences par rapport aux recommandations européennes de l’EAS/ESC de 2011.7
Quatre groupes de patients prédéfinis pour lesquels les essais cliniques disponibles ont confirmé qu’une amélioration du profil lipidique (dont une baisse du LDL-C) apporte un véritable bénéfice en termes de réduction du risque cardiovasculaire et non plus sur le seul taux de LDL-C. Fin du dogme the lower, the better et des contrôles sanguins incessants avec escalade thérapeutique à la clé si besoin, au profit d’une intensification du traitement et de cibles de LDL-C à atteindre, variables selon le groupe auquel se réfère le patient. Pour les investigateurs, le but de ces changements radicaux est d’augmenter le nombre de patients pour qui un traitement hypolipémiant est réellement bénéfique et de réduire celui des patients pour lesquels il est inutile.
Un des points importants de ces nouvelles directives américaines est le fait qu’il n’existe plus de recommandation de «cible» de LDL-C ou de cholestérol non HDL. Plutôt que de préciser des cibles de taux de LDL-C à atteindre, ces recommandations donnent des indications sur l’intensité de réduction du LDL-C selon une partition des statines (et leurs dosages) en deux classes : les statines de grande puissance capables d’atteindre au moins 50% de réduction de LDL-C (rosuvastatine 20-40 mg ou atorvastatine 80 mg) et les statines de puissance modérée capables d’atteindre 30 à 49% de réduction du LDL-C. Selon la réduction escomptée, le clinicien devrait utiliser la statine nécessaire pour y arriver.
Focalisation du traitement sur les seules statines, lesquelles constituent, selon les experts, le seul hypolipémiant qui allie meilleurs bénéfices cliniques et sécurité d’emploi après examen attentif des données scientifiques disponibles.
Les mesures hygiéno-diététiques classiques demeurent incontournables, mais seules, elles sont souvent insuffisantes et doivent donc toujours être complétées par le traitement par statines.
Une nouvelle équation, marquée par l’inclusion du risque d’accidents vasculaires cérébraux (AVC), est proposée pour mieux évaluer le risque CV individuel et donc la nécessité ou non de traiter. Cette équation (appelée Pooled Cohort Equations) a été formulée à partir des données épidémiologiques de quatre grandes cohortes américaines : Framingham Heart Study (FHS), Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC) study, Coronary Artery Risk Development in Young Adults (CARDIA) et Cardiovascular Health Study (CHS).
Elle calcule spécifiquement, selon le sexe et la race (de 40 à 79 ans), le risque à dix ans de «maladies athérosclérotiques cardiovasculaires» ou «MASCV» (incluant donc aussi les AVC d’origine ischémique) à partir des six variables : âge, cholestérol total et HDL, pression artérielle systolique (incluant un statut traité ou non traité), présence d’un diabète et tabagisme.
Les caractéristiques respectives et la comparaison des recommandations européennes de l’EAS/ESC et américaines de l’ACC/AHA sont reprises dans le tableau 2.8
Les recommandations européennes et américaines partagent fort heureusement deux importants principes qui fondent actuellement toute prise en charge médicamenteuse en matière de dyslipidémies dans la prévention CV. En effet, tout en insistant sur l’importance de l’amélioration des habitudes hygiéno-diététiques, ces recommandations soulignent de manière commune :
l’importance de donner la priorité aux interventions médicamenteuses pour les patients qui présentent les plus hauts risques CV.
L’importance de réduire prioritairement le taux de LDL-C, tant en prévention primaire que secondaire, par la prescription en première ligne des statines.
Bien que les nouvelles recommandations américaines puissent soulever certaines réflexions intéressantes, il nous semble important de continuer à suivre les recommandations européennes pour différentes raisons.
En effet, il faut garder à l’esprit que, pour être précis, l’équation d’estimation du risque que doit utiliser le clinicien doit être dérivée d’une population aussi semblable que possible à la population qui est vue par le clinicien. Les recommandations européennes permettent de stratifier le risque à l’aide de la grille SCORE adaptée, si besoin, à chaque pays.
En outre, fixer un taux-cible est un élément important dans l’approche thérapeutique. Ces cibles sont élaborées sur la base de l’épidémiologie et de la théorie mécanistique du rôle pathogène des LDL dans la formation des plaques d’athérome et de leurs complications. Ne pas fixer de cible ferait courir le risque qu’une fois le traitement pharmacologique choisi et prescrit, le médecin ne contrôle plus régulièrement le taux de cholestérol chez son patient. Comment s’assurer alors de l’observance thérapeutique quand on sait que près de 50% des patients peuvent ne pas être observants, spécifiquement dans le cas de la prise au long cours de thérapeutiques visant à réduire un facteur de risque CV asymptomatique ? 9 Par ailleurs, dans le cadre de suivi à long terme comme celui du traitement d’un facteur de risque CV, on peut aussi imaginer qu’après un certain laps de temps, le taux de LDL-C initial ne soit plus connu. Dès lors, il deviendrait difficile de décider la diminution de LDL-C souhaitée (50% de la valeur de base, par ailleurs méconnue), comme préconisée par les recommandations américaines, à l’inverse des recommandations européennes qui fixent un taux-cible à atteindre.
Enfin, il nous semble réducteur de ne proposer que les statines comme unique traitement. En effet, on connaît, par exemple, l’efficacité des fibrates dans la population diabétique dont les taux de triglycérides sont trop élevés et les taux de HDL-C trop bas. Ces mêmes fibrates, dans la population diabétique de type 2, sont également efficaces pour réduire certaines complications (rétinopathie et amputation).10 De même, l’ézétimibe, un médicament qui diminue spécifiquement l’absorption intestinale de cholestérol,11 combiné à une statine, qui réduit la synthèse hépatique de cholestérol, permet d’abaisser considérablement le taux de LDL-C pour obtenir des réductions de plus de 50% et donc d’atteindre plus facilement les taux-cibles dans certaines situations difficiles comme dans l’hypercholestérolémie familiale ou l’intolérance aux statines.
L’auteur est membre du bureau du Belgian Atherosclerosis Society/Belgian Lipid Club.
Dans la prise en charge des dyslipidémies, il convient :
> De toujours favoriser l’adhérence aux mesures hygiénodiététiques optimales
> D’évaluer le niveau de risque CV du patient en se basant sur les recommandations européennes (grille SCORE adaptée)
> De fixer une cible de LDL-C à atteindre en fonction du niveau de risque
> S’il existe la nécessité de débuter un traitement pharmacologique, privilégier l’utilisation de statines sans oublier de tenir compte de l’observance, des éventuelles contre-indications à celles-ci, et de la tolérance, auquel cas des pharmacopées alternatives ou additionnelles peuvent être envisagées