Les myopathies inflammatoires et la sclérose systémique sont des maladies auto-immunes rares. Elles résultent d’une activation soutenue du système immunitaire inné et adaptatif, qui peut endommager vaisseaux sanguins, musculature, tissus conjonctifs et organes internes. Une majorité des malades expriment des auto-anticorps. Les immuno-dots permettent de déceler un large panel d’anticorps, dont certains spécifiques et d’autres associés à ces pathologies. Un résultat positif au dot doit être corrélé à l’immunofluorescence indirecte du dépistage des facteurs antinucléaires. Certains anticorps sont associés à une atteinte d’organe spécifique, d’autres peuvent indiquer une néoplasie sous-jacente. Cette revue s’intéresse à la valeur diagnostique et pronostique des nouveaux anticorps dans les myopathies inflammatoires et la sclérose systémique.
La recherche de ces dernières années a permis de caractériser de nouveaux anticorps dans les myopathies inflammatoires et la sclérose systémique. Certains de ces anticorps semblent associés à un tableau clinique particulier. D’autres suggèrent la présence de néoplasies sous-jacentes. Ces nouveaux anticorps permettent d’améliorer le diagnostic, d’orienter l’évaluation d’atteintes d’organes spécifiques, d’approfondir la recherche d’un cancer sous-jacent ou encore de guider le traitement (tableau 1).
Il existe des différences considérables entre études par rapport à la fréquence de ces anticorps. Ceci est dû au type de test utilisé pour la détection des anticorps, mais également à l’échantillonnage utilisé dans l’étude de ces maladies rares. La fréquence des anticorps varie également en fonction de l’ethnie, ce qui suggère une influence de facteurs génétiques et en particulier du génotype HLA dans la pathogenèse du processus auto-immun.1
Cet article vise à familiariser le lecteur avec ces entités émergentes dans le domaine des myopathies inflammatoires et de la sclérodermie systémique, en insistant sur la valeur d’une sérologie approfondie.
On distingue aujourd’hui quatre groupes de myopathie inflammatoire : la dermatomyosite (DM), la polymyosite, les myosites à inclusion et les myosites nécrosantes immunomédiées. La distinction entre les différentes formes n’est pas toujours aisée, car de nombreux chevauchements existent (figure 1).
La DM se distingue par l’atteinte fréquente de la peau (parfois sans atteinte manifeste du muscle) et une physiopathologie de vasculopathie. La polymyosite est rare en tant que pathologie limitée au muscle et est principalement observée dans des syndromes de chevauchements tels que le syndrome des antisynthétases et les myosites associées à la sclérose systémique et à d’autres maladies du tissu conjonctif. Les myosites à inclusion peuvent montrer quelques rares éléments histopathologiques de polymyosite, mais ressemblent plus à une pathologie dégénérative. Le quatrième groupe, récemment distingué, comprend les myosites nécrosantes immunomédiées. Comme le nom l’indique, l’histologie est caractérisée par des fibres musculaires en nécrose qui contrastent avec la pauvreté de l’infiltrat inflammatoire.
Les facteurs antinucléaires (FAN) sont positifs jusqu’à 80% des DM. Des auto-anticorps spécifiques sont présents chez environ 50% des cas. Leur implication dans la pathogenèse demeure incertaine.
Ils sont les premiers à avoir été décrits et les plus fréquents dans la DM de l’adulte. Ils sont rares chez l’enfant. Leur fréquence varie selon les études (3-60% des cas de DM) et semble augmenter dans les contrées à forte exposition aux rayons UV. Les fibres musculaires en régénérescence et les kératinocytes exposés aux rayons UV semblent exprimer l’antigène Mi-2, ce qui pourrait expliquer la nature soutenue du processus inflammatoire. La présence d’anticorps anti-Mi-2 est associée avec plus d’atteintes cutanées, des CK (créatines kinases) plus élevées, une meilleure réponse au traitement, moins de pneumopathies interstitielles et moins de cancers.
Les anticorps anti-TIF-1 (transcription intermediary factor 1) dirigés contre des protéines du noyau de 155/140kD sont retrouvés chez 16-23% des patients atteints de DM juvénile ou adulte. Chez les adultes d’âge mûr, la présence d’anticorps anti-TIF-1 est associée à des néoplasies, tandis que ce n’est pas le cas chez les enfants et les jeunes adultes.2,3
Les anticorps anti-MDA5 (melanoma differentiation-associated gene 5) ont été décrits dans une cohorte asiatique de patients atteints de DM amyopathique et de pneumopathie interstitielle.4 Ils ont été confirmés dans d’autres groupes ethniques et semblent associés à des formes cutanées plus sévères et des arthrites, un tableau qui ressemble à celui des anticorps antisynthétases.5 Ils sont retrouvés dans moins de 10% des cas de DM.
Les anticorps anti-NXP-2 (nuclear matrix protein 2) sont retrouvés jusque dans 25% des cas de DM juvéniles. Ils sont associés à une atteinte musculaire plus sévère, des calcinoses, des contractions articulaires et une atteinte vasculitique de l’intestin.6 Plus récemment, les anticorps anti-NXP-2 ont également été décrits dans la DM de l’adulte, particulièrement chez les sujets jeunes et présentant des calcinoses. Ils semblent associés à la présence d’une néoplasie chez les hommes.7
La polymyosite se manifeste généralement dans le cadre de manifestations inflammatoires systémiques. Il ne s’agit que rarement d’une maladie limitée au muscle. On distingue aujourd’hui trois grands groupes de chevauchements, principalement sur la base des anticorps qui les caractérisent : 1) la myosite de la connectivite mixte, associée aux anticorps anti-U1-RNP ; 2) la myosite de chevauchement avec la sclérodermie associée aux anticorps anti-PmScl et 3) le syndrome des antisynthétases, caractérisé par les anticorps du même nom.
Ces anticorps sont caractéristiques de la connectivite mixte et constituent un critère majeur dans la classification. Ils donnent un aspect moucheté des FAN en immunofluorescence indirecte. Ils sont également retrouvés dans le lupus érythémateux systémique et d’autres pathologies inflammatoires systémiques, sans qu’il n’y ait de myosite apparente. L’atteinte musculaire de la connectivite mixte répond habituellement bien au traitement immunosuppresseur. L’hypertension artérielle pulmonaire est une complication rare mais redoutée. Le tableau peut également se compliquer d’une pneumopathie interstitielle. Il est donc recommandé d’être particulièrement attentif face à des plaintes respiratoires chez les patients exprimant des anticorps anti-U1-RNP.
Ils sont présents chez moins de 10% des patients présentant un chevauchement de sclérose systémique et de myosite. On les retrouve occasionnellement chez des patients sans éléments sclérodermiques. Ces anticorps sont associés à un aspect nucléolaire du FAN. Le syndrome Pm-Scl (scléromyosite) est souvent accompagné d’une pneumopathie interstitielle. L’atteinte pulmonaire associée aux anticorps anti-Pm-Scl est de pronostic plus favorable que celle associée aux anti-Scl70 (antitopoisomérase I).8
L’anticorps anti-Jo-1 est le premier anticorps antisynthétase décrit et le plus fréquent. Comme pour les sept autres membres de sa famille, cet anticorps doit son nom aux initiales du patient princeps chez qui il a été découvert, en 1981. L’anticorps anti-Jo-1 est présent dans près de 20% des cas de DM et de polymyosite. Les autres anticorps antisynthétases sont retrouvés jusque dans 5% des myopathies inflammatoires. A ce jour, seuls les anti-PL-7, PL-12, -EJ (et -OJ) sont disponibles en kit commercial. Outre la myosite, les manifestations classiques du syndrome des antisynthétases comprennent une pneumopathie interstitielle, des arthrites, un syndrome de Raynaud et une altération caractéristique des doigts, appelée mains de mécanicien. Occasionnellement, la pneumopathie interstitielle précède les autres manifestations. Par ailleurs, des myosites nécrosantes associées aux anticorps antisynthétases sont décrites. Le syndrome des anticorps antisynthétases est notoirement difficile à traiter. Les anticorps antisynthétases sont associés à une immunofluorescence cytoplasmique. Le noyau cellulaire peut rester obscur lors du dépistage des FAN. Il est donc important de ne pas se limiter au seul dépistage du FAN en cas de myosite manifeste ou de pneumopathie interstitielle, mais ajouter un dosage des anticorps anti-Jo-1 ou, en cas de négativité de ces derniers, de rechercher d’autres anticorps antisynthétases par immuno-dot (figure 2).
Ces anticorps s’associent volontiers au syndrome des antisynthétases et à d’autres formes de myosite. Leur présence semble dénoter un risque augmenté de pneumopathie interstitielle sévère et de néoplasie, mais plus d’études sont nécessaires à ce sujet.9
Parmi les myopathies inflammatoires, on différencie nouvellement les myopathies nécrosantes immunomédiées.10 Il s’agit d’un groupe hétérogène de myopathies acquises. Les présentations subaiguës peuvent être confondues avec des dystrophies musculaires. La biopsie musculaire montre des fibres musculaires en nécrose et d’autres en régénération, ce qui contraste avec la pauvreté ou même l’absence complète d’infiltrat inflammatoire. Pourtant, ces myopathies semblent répondre à un traitement immunosuppresseur et certaines formes sont associées à des anticorps spécifiques, potentiellement impliqués dans la pathogenèse.
Les anticorps anti-SRP (signal recognition particle) ciblent un complexe cytoplasmique de ribonucléoprotéines. La myosite associée à ces anticorps se manifeste par une faiblesse musculaire le plus souvent rapidement progressive, associée à une élévation importante des CK. A la biopsie musculaire, l’infiltrat inflammatoire est pauvre et constitué majoritairement de macrophages.11 On peut retrouver quelques éléments suggestifs d’une cytotoxicité médiée par anticorps et complément. Le taux d’anticorps anti-SRP semble corrélé avec celui des CK. La myopathie répond par ailleurs aux échanges plasmatiques. Ceci laisse à penser que les anticorps anti-SRP exercent un rôle pathogénique direct.
L’anticorps anti-HMGCR (hydroxyméthylglutaryl-coenzyme A réductase) a été décrit récemment chez des patients exposés à des statines (inhibiteurs de la HMGCR) et ayant développé une myopathie nécrosante persistante malgré l’arrêt du traitement de statines. Il a par la suite également été retrouvé chez des patients sans exposition préalable aux statines.12 Il n’est donc pas un marqueur d’exposition aux statines mais spécifiquement associé à une forme de myosite nécrosante immunomédiée, qui partage les caractéristiques histologiques de la myosite à anticorps anti-SRP. Le taux d’anticorps anti-HMGCR semble également corrélé avec l’activité de la maladie, laissant supposer qu’il joue un rôle pathogénique. Cet anticorps n’est pas encore accessible au dépistage de routine. En cas de suspicion, il faut envoyer du sérum au laboratoire du Pr Olivier Boyer, au CHU de Rouen.
D’autres formes de myosite nécrosante pauci-immune sont également associées aux anticorps antisynthétases et anti-PmScl.
On retrouve occasionnellement des anticorps anti-Ro52 et 60kD, ainsi que anti-La (SSB) dans les myopathies à inclusion. De récents travaux indiquent qu’il pourrait également y avoir des auto-anticorps dirigés contre des éléments musculaires dans ce type de pathologie, considérée jusqu’à présent comme un processus dégénératif.13
Il s’agit d’un groupe de maladies inflammatoires caractérisées par un processus auto-immun chronique affectant principalement la microvasculature et entraînant une déposition excessive de collagène dans les tissus. Les ANA sont positifs dans plus de 90% des cas.
On distingue grossièrement deux types de présentation clinique, sur la base de l’étendue de l’atteinte cutanée.
La forme avec atteinte cutanée limitée touche les extrémités et le visage et est habituellement associée à une évolution insidieuse dans laquelle dominent le syndrome de Raynaud et la dysmotilité œsophagienne. Cette forme est préférentiellement associée aux anticorps anticentromères, aux anti-PmScl et aux anti-U1-RNP. Les anticorps anticentromères sont retrouvés dans un tiers des cas de sclérose systémique, les anti-Pm-Scl et anti-U1RNP dans environ 5% des cas chacun. Les anti-Ku sont des anticorps rares retrouvés dans des syndromes de chevauchements entre sclérose systémique et myosite, mais également dans d’autres pathologies auto-immunes comme le lupus érythémateux systémique. Les anticorps anti-Th/T0 sont retrouvés dans un faible pourcentage de cas de sclérose systémique avec atteinte cutanée limitée.
La forme de sclérose systémique avec atteinte cutanée diffuse évolue rapidement, avec une atteinte d’organes internes, en particulier une pneumopathie interstitielle. Les anticorps retrouvés dans cette forme sont classiquement les anti-Scl70 (antitopoisomérase I), mais aussi les anti-ARN polymérase III, plus récemment décrits. Environ un tiers des patients avec sclérose systémique expriment les anticorps anti-Scl70 et jusqu’à 10% les anti-ARN polymérase III.
Les anti-ARN polymérase III ont été adoptés dans les nouveaux critères de classification de la sclérose systémique.14 Ils sont associés à un risque accru de crise rénale hypertensive. Etant donné que les corticostéroïdes systémiques sont également associés à cette complication redoutée, il faut éviter de les prescrire dans ce sous-type de sclérose systémique. Il faut par ailleurs considérer le recours à un inhibiteur de l’enzyme de conversion chez ces patients, afin de prévenir une crise rénale. Une autre complication associée à ces anticorps est l’ectasie vasculaire antrale (GAVE). Finalement, une récente étude indique un risque accru de néoplasie chez les patients exprimant les anticorps anti-RNP polymérase III.15 Parmi les anticorps plus rares associés à la forme cutanée diffuse, on notera les anti-fibrillarine (anti-U3-RNP) qui sont associés à un risque accru d’hypertension artérielle pulmonaire.
La sérologie immunologique s’avère précieuse pour le diagnostic et le suivi des myopathies inflammatoires et de la sclérose systémique. La recherche récente a permis de caractériser de nouveaux auto-anticorps, dont certains peuvent aujourd’hui être dosés de routine. Des immuno-dots «myosites» et «sclérodermie» sont proposés par les principaux laboratoires d’immunologie. Il est recommandé de rechercher ces anticorps en cas de suspicion de myopathie acquise, de phénomène de Raynaud secondaire, de pneumopathie interstitielle ou de lésions cutanées évoquant une myopathie inflammatoire (rash, ulcères, mains de mécanicien) ou une sclérodermie, en particulier si le dépistage immunologique de base (FAN, dépistage des antinucléoprotéines) s’avère peu concluant.
> La sérologie immunologique est d’une grande aide dans le diagnostic des myopathies inflammatoires et de la sclérose systémique
> Les myosites de chevauchement sont principalement associées aux anticorps antisynthétases, anti-U1-RNP, anti-PmScl et anti-Ku
> Chez un patient avec suspicion de sclérose systémique et ne présentant ni anticorps anticentromères ni anti-Scl-70, il faut rechercher activement des spécificités plus rares par immuno-dot (anti-ARN polymérase III, anti-U3-RNP et PmScl en particulier, du fait de leur valeur pronostique)
> Les anticorps anti-ARN polymérase III sont associés à un risque accru de crise rénale hypertensive
> Les anticorps anti-SRP et anti-HMGCR sont retrouvés dans le cadre de myopathies nécrosantes immunomédiées, une entité émergente de myopathies acquises
Acquired inflammatory myopathies and systemic sclerosis are chronic autoimmune conditions. These diseases arise from sustained activation of the innate and adaptive immune system, resulting in damage to blood vessels, muscles, connective tissues and internal organs. Auto-antibodies are found in a majority of cases, which makes the immune serology an important diagnostic tool. The immuno-dot assays detect a variety of disease-specific or -associated antibodies. A positive result should be correlated with the indirect immunofluorescence pattern of the antinuclear antibody screen. Some antibodies are associated with specific organ involvement, other may indicated an underlying neoplastic condition. The scope of this article is to review the diagnostic and prognostic value of antibodies in inflammatory myopathies and systemic sclerosis.