Durant l’année 2014, plusieurs articles de la littérature médicale ont fait état de résultats pouvant avoir un impact sur la pratique clinique des médecins de famille, principalement dans les domaines de la pharmacologie clinique (rôles des statines dans les ulcères veineux, des antibiotiques dans la bronchite aiguë, du paracétamol dans les lombalgies aiguës et de l’anticoagulation prophylactique lors de fractures des membres inférieurs) et de l’orthopédie (traitements pour les atteintes de la coiffe des rotateurs et pour les déchirures non traumatiques du ménisque interne). Parmi les autres thématiques sélectionnées par les chefs de clinique et médecins cadres de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne figurent également de nouvelles acquisitions concernant le rôle protecteur des repas en famille chez les adolescents et l’indication au dépistage du cancer colorectal chez les personnes > 75 ans.
Les statines sont connues pour leur effet hypolipémiant mais également pour leurs propriétés vasoactives et anti-inflammatoires (études expérimentales). De 2012 à 2013, une étude randomisée en double aveugle, contrôlée par placebo, a évalué l’efficacité et la sécurité de la simvastatine (40 mg/j) dans la cicatrisation de l’ulcère veineux en combinaison avec le traitement standard2 (rinçage avec solution saline, compression et surrélevation du membre).
Les 66 patients inclus, âgés de 18 à 85 ans, avaient un ou plusieurs ulcères veineux < 10 cm de diamètre depuis ≥ 3 mois et ne présentaient pas de contre-indication à la prise de statines. Après dix semaines, la cicatrisation complète de l’ulcère a été obtenue plus souvent dans le groupe simvastatine par rapport au groupe placebo (90% vs 34% ; RR : 0,158 ; IC 95% : 0,053-0,474 ; NNT = 2). Dans le sous-groupe des patients avec ulcères < 5 cm, 100% ont cicatrisé dans le groupe simvastatine comparés à 50% dans le groupe placebo (RR : 0,1 ; IC 95% : 0,0141-0,707). Dans ce sous-groupe, le temps de guérison dans le groupe simvastatine a été plus rapide (6,9 vs 8,4 semaines ; p < 0,001). Globalement, une amélioration de la qualité de vie a été notée dans les deux groupes mais elle était significativement plus marquée dans le groupe simvastatine (p < 0,001). Aucun effet secondaire significatif n’a été constaté dans le groupe simvastatine.
Grâce aux propriétés vasoactives et anti-inflammatoires des statines, la prise en charge d’un ulcère veineux pourrait associer la prise de simvastatine au traitement standard habituel. Toutefois, les données chez l’humain restent limitées et nécessiteraient d’autres essais cliniques avant une implémentation courante dans la pratique.
La place de l’antibiothérapie dans la prise en charge de la bronchite aiguë est et reste depuis de nombreuses années un sujet débattu en médecine de famille malgré des recommandations internationales claires qui prônent un usage modéré des antibiotiques.4–7 En pratique, leur taux de prescriptions est de l’ordre de 75%, ce qui favorise le développement de souches bactériennes multirésistantes.8 De nouveaux essais cliniques parus ces dernières années ont rendu nécessaire la mise à jour des méta-analyses. La dernière en date a été effectuée par la Collaboration Cochrane et publiée en 2014.3 Celle-ci confirme l’utilité marginale des antibiotiques dans cette indication puisque la durée moyenne de la toux ne diminue que de 0,46 jour comparativement au placebo (IC 95% : 0,87-0,04). En moyenne, il faut traiter six patients pour un bénéfice additionnel sur les symptômes, sans que l’état clinique général ne puisse être amélioré (RR : 1,07 ; IC 95% : 0,99-1,15 ; tableau 1).
En ce début 2015, il est important de souligner à nouveau l’appel à la retenue en matière de prescription antibiotique tout en gardant à l’esprit qu’un tel traitement doit se discuter chez certains patients, les plus âgés et fragiles, ainsi que dans les groupes à risque, par exemple, en cas de BPCO.9 Dans le doute, il est recommandé de partager l’incertitude avec le patient et, si nécessaire, de discuter d’une prescription différée.10–12
Pour la grande majorité des patients, les antibiotiques n’ont qu’une utilité symptomatique marginale dans la bronchite aiguë.
La lombalgie aiguë simple est généralement traitée d’abord par prescription de paracétamol,14,15 malgré l’absence d’efficacité prouvée jusqu’ici pour ce traitement.16 Une étude australienne multicentrique en double aveugle a comparé l’effet du paracétamol par rapport au placebo sur le temps de guérison chez des patients avec lombalgie simple. L’amélioration de la douleur, la fonctionnalité et la qualité de vie ont aussi été évaluées. Entre 2011 et 2013, 1652 patients, âgés en moyenne de 45 ans, ont été randomisés dans trois groupes : 1) paracétamol 3990 mg/j répartis en trois doses + placebo à la demande ; 2) placebo d’office + paracétamol en réserve et 3) placebo d’office plus placebo à la demande. Le traitement a été pris jusqu’à la guérison ou au maximum pendant quatre semaines. Les patients ont été évalués à 1, 2, 4 et 12 semaines sur la base de l’auto-évaluation de leur douleur quotidienne sur une échelle de 0 à 10. Le temps de guérison a été similaire dans les trois groupes : 1) 17 jours (IC 95% : 14-19) ; 2) 17 jours (IC 95% : 15-20) et 3) 16 jours (IC 95% : 14-20) ainsi que la qualité de vie, le degré de satisfaction et le taux d’effets secondaires (figure 1).
Malgré la limitation relative liée aux doses non maximales de paracétamol effectivement prises par les patients, ce résultat remet en question la prescription systématique de paracétamol en cas de lombalgie simple aiguë.
Il semble nécessaire de reconsidérer la prescription systématique non basée sur des preuves de paracétamol en cas de lombalgie aiguë simple, puisqu’aucune différence n’est notée en termes de temps de guérison ou de gain de fonctionnalité entre ce traitement et un placebo. La physiothérapie passive puis active à domicile, le maintien d’une activité normale et l’accompagnement du médecin de famille semblent dès lors essentiels.
La fracture isolée en dessous du genou est fréquente en médecine de premier recours.18 Une thrombose veineuse profonde (TVP) y est souvent associée (prévalence de 10 à 40% dans les semaines suivant l’immobilisation) mais elle est le plus souvent distale, localisée, asymptomatique et de signification clinique inconnue. C’est pourtant sur cette base que la pratique d’une anticoagulation prophylactique pour plusieurs semaines (en général jusqu’à la remise en charge complète) est devenue un standard.19,20
Afin de déterminer les cas de thromboembolies cliniquement significatifs, une étude observationnelle multicentrique a été menée. Les patients avec fracture du tibia, du péroné ou de la cheville (traitement conservateur) ainsi que de la rotule et du pied (traitement conservateur ou chirurgical) ont été recrutés successivement dans cinq hôpitaux de l’Ontario. Ils n’ont pas reçu de prophylaxie thromboembolique et ont été suivis par téléphone à 2, 6 et 12 semaines. Les patients ont reçu un enseignement et des brochures d’informations au sujet de la TVP et de l’embolie pulmonaire (EP).
Parmi les 1200 patients enrôlés, 98% ont complété le suivi à trois mois avec une durée moyenne d’immobilisation de six semaines. Seuls sept patients (0,6% ; IC 95% : 0,2-1,2) ont présenté un événement thromboembolique symptomatique et objectivé par imagerie (2 TVP proximales, 2 TVP localisées au mollet et 3 EP). Il n’y a pas eu de décès par EP.
Au vu de ces résultats, avec un si faible taux d’événements thromboemboliques symptomatiques, les auteurs concluent que les rapports bénéfice-risque et coût-efficacité d’une anticoagulation prophylactique ont peu de chances d’être favorables dans cette indication. Les conclusions de cette étude rejoignent les ACCP Guidelines 2012 qui suggèrent de ne pas faire de prophylaxie antithrombotique en cas de traumatisme de la jambe isolé et distal au genou.21 Cette attitude semble donc appropriée mais il est impératif de l’individualiser selon les facteurs de risque thromboemboliques du patient.20
Les atteintes de la coiffe des rotateurs, d’origine traumatique ou non, sont une cause fréquente de douleur et de dysfonction de l’articulation de l’épaule.23 La prévalence des déchirures du tendon du sus-épineux est estimée entre 20 à 30% dans la population âgée de 60 à 80 ans.24
Une étude finlandaise randomisée et contrôlée a inclus 167 patients âgés de > 55 ans qui ont été répartis de manière égale dans trois groupes différents de traitement de lésions atraumatiques et symptomatiques de la coiffe des rotateurs (muscle sus-épineux) : 1) physiothérapie seule ; 2) acromioplastie et physiothérapie et 3) réparation du tendon, acromioplastie et physiothérapie. Le score fonctionnel de Constant, qui comprend une évaluation de la mobilité, de la douleur, de la fonctionnalité et de la puissance, a été utilisé pour mesurer l’outcome primaire.
A une année de suivi, les scores de Constant25,26 mesurés n’ont pas révélé de différence statistiquement significative entre les trois groupes de traitement (p = 0,34).
Cette étude conclut que la prise en charge chirurgicale des lésions atraumatiques de la coiffe des rotateurs chez les personnes de > 55 ans n’est pas supérieure à la prise en charge conservatrice à une année d’évolution, suggérant que le traitement de choix devrait être conservateur.
La méniscectomie partielle par arthroscopie est coûteuse et fréquente.28,29 Pourtant, les études n’ont pas démontré d’impact significatif de cette chirurgie (± associée à de la physiothérapie) lors de gonarthrose avec ou sans déchirure méniscale associée.
Une étude finlandaise s’est interrogée sur l’efficacité de cette intervention lors d’une déchirure méniscale non traumatique sans gonarthrose majeure associée. Dans cet essai clinique randomisé multicentrique (cinq cliniques orthopédiques) en double aveugle, des patients de 35 à 65 ans avaient une gonalgie de plus de trois mois et une symptomatologie évocatrice d’une déchirure du ménisque interne confirmée par IRM puis arthroscopie, sans réponse à un traitement conventionnel. La méniscectomie partielle par arthroscopie a été comparée à une chirurgie simulée (sham surgery). Les outcomes suivis pendant douze mois étaient les symptômes et la fonctionnalité dans l’activité quotidienne (score de Lysholm), la capacité lors d’activités physiques récréationnelles, les émotions associées (score de WOMET) et les gonalgies postactivité physique.
Pour les deux collectifs de 70 et 76 patients, égaux socio-démographiquement ainsi qu’à l’examen clinique et radiologique, il n’y pas eu de différence significative entre la méniscectomie partielle par arthroscopie et une chirurgie simulée dans cette indication à douze mois malgré une amélioration pour les trois outcomes à court terme (figure 2). La satisfaction, l’amélioration perçue et le souhait de reconduite éventuelle de la chirurgie étaient superposables.
Cette étude souligne l’importance d’éviter un geste chirurgical sans réel impact sur la douleur, la fonctionnalité et le vécu du patient. Le traitement conventionnel demeure important (antalgie, physiothérapie active adaptée) et le rôle du médecin de famille incontournable.
Quels parents ne sont pas préoccupés par l’utilisation que font leurs enfants d’internet, avec le risque qu’ils y soient exposés à diverses formes de menaces ? Ainsi, en Finlande, un adolescent sur cinq a été l’objet d’intimidations sur internet durant les douze derniers mois, augmentant le risque de développer des troubles psychiques ou comportementaux chez les victimes.31
Après ajustement pour l’intimidation verbale et/ou physique, une étude transversale observationnelle a évalué la victimisation induite par la cyber-intimidation seule, en mesurant la prévalence de divers troubles psychiques (anxiété, dépression, automutilation, suicidalité), comportementaux (bagarres, vandalisme) ou liés à l’abus de substances (alcool et médicaments). Parmi les 18 800 étudiants américains âgés de 12 à 18 ans inclus dans l’étude, 18,6% ont déclaré avoir été victimes de cyber-intimidation durant l’année écoulée. Celle-ci était associée à tous les troubles cités précédemment (odds ratio (OR) entre 2,6 ; (IC 95% : 1,7-3,8) et 4,5 (IC 95% : 3-6,6)).
L’étude s’est également intéressée au rôle protecteur de l’environnement familial.32 La fréquence des repas du soir pris en famille (moyenne 4,4 (DS: 2,3)) a servi d’indicateur de cohésion familiale et de soutien parental.33 En plus d’être corrélé à une moindre incidence de la cyber-intimidation, le nombre de repas pris en famille diminuait significativement le risque de victimisation des étudiants dans les divers domaines de la santé mentale explorés (OR entre 0,79 (IC 95% : 0,76-0,82) et 0,95 (IC 95% : 0,92-0,98)), mais aussi l’intensité avec laquelle elle était ressentie.
En explorant à large échelle plusieurs domaines de la santé des adolescents et le rôle du cadre familial, les résultats de cette étude devraient encourager le médecin de famille à s’intéresser davantage à l’environnement familial des adolescents, favorisant les mesures de prévention ciblées sur le réseau familial.
Les recommandations actuelles de l’U.S. Preventive Services Task Force pour le dépistage du cancer colorectal (CCR) sont de le proposer pour les patients de 50 à 75 ans, alors qu’il est déconseillé pour les patients > 75 ans ayant déjà été dépistés et pour les patients > 85 ans.35 Une zone floue persiste pour les patients entre 75 et 85 ans qui n’ont jamais été dépistés.36
Une étude néerlandaise récente34 a évalué, grâce à une modélisation (basée sur 45 cohortes et 10 mio de personnes), l’efficacité d’un dépistage du CCR par colonoscopie, sigmoïdoscopie ou test immunochimique fécal (TIF) pour les patients de 76 à 90 ans jamais dépistés auparavant. Ainsi, pour des patients âgés de 80 ans, un TIF effectué une seule fois permettrait d’éviter 4,2 décès pour 1000 patients dépistés, alors que ce chiffre va jusqu’à 10,7 pour la colonoscopie. En estimant le coût d’une année de vie gagnée à US$ 100 000.–, les auteurs concluent que pour les patients sans comorbidité, la colonoscopie est coût-efficace jusqu’à 83 ans, la sigmoïdoscopie jusqu’à 84 et le TIF jusqu’à 86 ans (figure 3). Pour les patients avec une comorbidité sévère, l’âge jusqu’auquel le dépistage est coût-efficace dépasse 75 ans : 77 pour la colonoscopie, 78 pour la sigmoïdoscopie et 80 ans pour le TIF. A noter que ces résultats ont été ajustés à la qualité de vie, une sigmoïdoscopie équivalant par exemple, à un jour entier de vie, alors que des complications suite à une colonoscopie «coûtent» deux semaines de vie.
Selon cette étude, le dépistage du CCR pour les patients > 75 ans non dépistés auparavant permet de sauver des vies, avec un rapport coût-efficacité d’autant meilleur que le patient âgé est en bonne santé. Avec le vieillissement progressif de la population, le médecin de famille devrait rester attentif à la possibilité de ce dépistage à un âge avancé.
Au Pr Jacques Cornuz pour sa lecture attentive du manuscrit et son soutien au groupe émulation. Aux anciens et actuels chefs de clinique et médecins cadres de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne pour leur participation active au groupe émulation, qui a permis de sélectionner des articles utiles à notre pratique quotidienne depuis dix ans.