Monsieur D., 68 ans, est connu pour une hypertension artérielle traitée, une allergie à la pénicilline, une BPCO sévère (VEMS (volume expiratoire maximal par seconde) 35%) et un adénocarcinome pulmonaire métastatique ; il vit à domicile avec son épouse. Il a présenté, il y a quatre jours, une probable surinfection pulmonaire pour laquelle vous avez introduit une antibiothérapie de lévofloxacine.
Ce matin, sa femme vous appelle pour signaler qu’il s’est réveillé à quatre reprises la nuit passée ; lors des réveils, il a déambulé dans l’appartement et a chuté, sans conséquence. Elle le trouve ce matin beaucoup plus ralenti que ces derniers jours. Elle est très fatiguée car elle a peu dormi et est très inquiète par rapport à la situation.
Les infirmières à domicile passent une fois par semaine pour contrôle des signes vitaux et des symptômes ainsi que pour préparer le semainier.
Traitement actuel : lévofloxacine 500 mg cp 1 x/j, lorazépam cp 0,5 mg 2 x/j per os et 2 x/j (max) per os en réserve, salbutamol + ipratropium inhalation 1 dose 6 x/j, macrogol + électrolytes poudre orale 1 sachet 1 x/j, paracétamol cp 1000 mg 3 x/j (max) per os en réserve.
Que faites-vous ?
Le delirium est l’un des symptômes les plus fréquents chez les patients atteints d’une maladie évolutive avancée. Il est encore mal connu, bien qu’il soit grevé d’une morbidité et d’une mortalité importantes et qu’il soit un facteur élevé de stress pour les soignants et la famille.
Deux tiers des delirium ne sont pas diagnostiqués en raison de leur fluctuation au cours de la journée, de l’absence de troubles du comportement ou de delirium hypoactif (tableau 1). Une autre difficulté est que le delirium est un problème somatique, mais les critères diagnostiques sont psychiatriques. Finalement, il manque toujours un outil de dépistage simple à utiliser dans la vie clinique quotidienne.
Le delirium peut mettre en échec le maintien à domicile d’un patient, mais en même temps, un changement de lieu de soins est aussi un facteur important d’aggravation du delirium. D’où l’importance de le dépister de façon précoce.
Le delirium est souvent précédé par des prodromes : difficultés à penser clairement, irritabilité, somnolence ou insomnie et hallucinations. La perturbation se développe généralement sur un temps court et tend à avoir une évolution fluctuante tout au long de la journée. Il faut être attentif à cette période afin de dépister précocement les patients.
Un des outils simples à disposition à l’heure actuelle est la Confusion Assessment Method (CAM) (tableau 2). Sa critique principale est que les soignants doivent être formés à son utilisation.
La fluctuation du score du Mini Mental Status Examination (MMSE) peut être utile à condition de disposer d’une valeur de base. Il faut se rappeler que le MMSE ne tient compte que de l’aspect des troubles cognitifs du delirium, mais pas de la fluctuation et de la rapidité d’installation des symptômes, des troubles du sommeil ou psychomoteurs. Il n’est par ailleurs souvent pas faisable chez un patient atteint de delirium en raison de son agitation, ni chez un patient cancéreux asthénique au lit qui a de la peine à tenir un crayon.
Chez le patient âgé et/ou polymorbide, le diagnostic différentiel ou la superposition des différents diagnostics peuvent être compliqués (tableau 3). Néanmoins, l’avantage est qu’à domicile, le patient est en principe suivi depuis un temps plus ou moins long et les modifications des fonctions cognitives ou l’apparition de troubles du comportement par exemple sont donc plus faciles à diagnostiquer.
Les étiologies sont souvent multifactorielles et complexes (tableau 4). Environ un delirium sur deux est réversible. Par conséquent, les étiologies réversibles sont particulièrement importantes à diagnostiquer pour la suite de la prise en charge des patients. Les facteurs associés à la réversibilité sont : les opiacés et la déshydratation, et ceux associés à la non-réversibilité: l’encéphalopathie hypoxique, les troubles métaboliques et une atteinte tumorale centrale.
Quelques éléments simples permettent souvent de poser le diagnostic et de trouver l’étiologie : une anamnèse avec l’équipe infirmière, l’entourage et le patient, un status, l’établissement d’une liste détaillée des médicaments, des examens de sang simples (formule sanguine, électrolytes, fonctions rénale et hépatique). D’autres examens plus invasifs doivent être envisagés seulement si les bénéfices escomptés sont plus importants que les inconvénients (imagerie cérébrale par exemple).
Les principaux éléments du traitement sont la suppression de tous les médicaments non indispensables, la rotation d’opiacés, l’hydratation des patients, la correction des troubles métaboliques, d’un globe vésical ou d’un fécalome. Les mesures non médicamenteuses (tableau 5) ne doivent pas être sous-estimées, car elles ont montré leur efficacité dans plusieurs études. La famille doit également être rassurée sur le fait qu’il s’agit d’une complication somatique et que leur proche ne devient pas «fou». Des éléments d’enseignement sont importants afin qu’elle puisse s’impliquer dans la prise en charge de la meilleure façon possible.
Si le patient est très agité ou agressif, le traitement médicamenteux de premier choix reste l’halopéridol. Cela reste le traitement dont la preuve de l’efficacité est la plus solide. Les neuroleptiques atypiques devraient être privilégiés en présence d’un syndrome parkinsonien ou d’effets secondaires des neuroleptiques traditionnels. Le rôle des neuroleptiques dans le delirium hypoactif doit encore être précisé (tableau 6). Les benzodiazépines doivent être réservées au sevrage d’alcool ou à un delirium sévère. La place de la sédation palliative dans cette indication doit encore être évaluée.
‣ Le delirium est un problème fréquent en soins palliatifs, sous-diagnostiqué et donc sous-traité, malgré ses importantes morbidité et mortalité
‣ Aucun test de dépistage n’est idéal
‣ Le delirium est une cause fréquente d’hospitalisation en urgence. Le dépister précocement peut l’éviter
‣ Ce n’est que grâce à la collaboration et à la sensibilisation au delirium de toute l’équipe soignante que le diagnostic peut être posé
‣ Il est important de rechercher les étiologies réversibles afin de pouvoir corriger le delirium et améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs et de leur famille