Ces dernières années ont été caractérisées par une compréhension de plus en plus pointue de la pathologie athéromateuse, non seulement coronarienne ou cérébrovasculaire, mais aussi artérielle périphérique. La considération accrue pour la pathologie athéromateuse ne doit néanmoins pas amener à sous-estimer d’autres atteintes, plus rares, à l’origine d’une compromission de la vascularisation artérielle des membres inférieurs.
Nous renonçons, au vue de leur hétérogénéité, à une description détaillée du contexte propre à chacune de ces pathologies. Sans être exhaustifs, soulignons que, en général, elles se différencient de l’atteinte athéromateuse par l’absence de facteurs de risque cardiovasculaires classiques, l’âge précoce de survenue de la symptomatologie, le contexte inflammatoire et la pratique de certaines activités sportives.
Le clinicien doit donc se poser la question d’une possible atteinte artérielle, même en situation autre que celle classiquement liée à l’athérosclérose, afin de ne pas méconnaître un diagnostic vasculaire, pouvant conduire à des complications parfois majeures.
Le tableau 1 propose un résumé, non exhaustif, de différentes pathologies vasculaires non athéromateuses, dont certaines seront discutées dans cet article.
Le syndrome de l’artère poplitée piégée est dû à la compression de l’artère par les structures musculo-tendineuses adjacentes. Nous ne traiterons pas en détail cette pathologie, un article concernant ce syndrome ayant été récemment publié dans cette revue.1 Bien que la claudication intermittente en soit la manifestation la plus fréquente, des cas d’ischémie aiguë ont aussi été rapportés. Une atteinte bilatérale a été décrite, motivant la recherche du piège artériel du côté du membre inférieur asymptomatique. Un traitement chirurgical est généralement indiqué.
Responsable d’une claudication dans 1 cas sur 1200, le kyste adventitiel (KA) est une pathologie rare. Bien que l’artère poplitée soit concernée dans la majorité des cas, une atteinte des artères iliaque, fémorale, radiale et cubitale a été décrite. Si le KA est généralement unilatéral, une atteinte bilatérale n’est pas exclue.2,3
L’examen histologique révèle une atteinte adventitielle avec présence de kystes mucineux.3,4
Parmi les différentes théories concernant l’origine de cette pathologie, l’étiologie articulaire (synoviale) est retenue, en raison d’une possible connexion entre le KA et l’articulation.
Le KA se manifeste, à l’âge moyen (40-50 ans), généralement sous forme d’une claudication intermittente. Des cas d’ischémie aiguë ont cependant été rapportés.
Si les pouls périphériques sont présents au repos, une disparition du pouls pédieux est possible lors de la flexion du genou (signe d’Ishikawa).2,3
Le bilan angiologique doit être idéalement complété par une IRM, afin de permettre la détection d’une éventuelle connexion entre le KA et l’articulation adjacente. Cette constatation est importante en vue du traitement, en principe chirurgical. La persistance de cette connexion serait une des causes de récidive du kyste. L’alternative thérapeutique par aspiration percutanée présente un taux de récidives plus élevé.2,3 La résection du kyste est complétée par un geste de revascularisation. La résolution spontanée du kyste, bien que rapportée, est rare.3
La dysplasie fibromusculaire (DF) est une pathologie idiopathique, segmentaire, non inflammatoire et non athéromateuse des artères de moyen et petit calibres, caractérisée par la prolifération de cellules musculaires lisses et du tissu fibreux. La DF peut concerner toutes les couches de l’artère, la plus fréquente étant l’atteinte de la media.5–7 Son étiologie exacte n’est pas connue.6,7 La DF se manifeste surtout aux niveaux des artères rénales et des axes carotido-vertébraux. D’autres territoires vasculaires peuvent être concernés : vaisseaux digestifs, artères des membres supérieurs et inférieurs. Sténoses, occlusions, dissections et anévrismes peuvent compliquer l’atteinte artérielle.6–8
Si sa prévalence exacte n’est pas connue dans la population générale, la prévalence de la DF symptomatique est estimée à 4 cas sur 1000, la localisation cervico-céphalique étant deux fois plus rare que la localisation rénale.6–8
De prédominance féminine, la DF se manifeste surtout à l’âge adulte entre 20 et 60 ans.8
Le diagnostic se base essentiellement sur la clinique, l’exclusion d’autres causes d’artériopathie et l’imagerie.
L’indication à une antiagrégation, voire une anticoagulation, dépend du contexte symptomatique, de la présence d’une dissection et du territoire concerné. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, voire les bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine II, représentent le traitement antihypertenseur de premier choix. Le recours aux statines n’est pas confirmé.6,7
La revascularisation, en principe endovasculaire, est réservée aux situations symptomatiques. La chirurgie peut toutefois s’avérer nécessaire dans certaines circonstances. Un suivi au long terme est recommandé.6,7
L’endofibrose (EF) se caractérise par un épaississement pathologique sténosant, essentiellement de l’intima, bien qu’une atteinte de la media et de l’adventice ait été décrite. L’artère iliaque externe est le vaisseau le plus fréquemment concerné. L’atteinte plus rare de l’axe iliaque commun (souvent en tant qu’extension de l’atteinte iliaque externe) et de l’axe fémoral a été rapportée.9,10
L’EF se manifeste essentiellement chez des athlètes. Associée classiquement au cyclisme, elle concerne aussi des sportifs d’autres disciplines tels que coureurs d’endurance et triathlètes.9 Sa prévalence est estimée entre 10 et 20% chez les sportifs d’élite.9
D’un point de vue étiologique, les facteurs mécaniques locaux jouent un rôle prépondérant. Ainsi, la position du cycliste, une longueur excessive du segment iliaque, le degré de fixation de l’axe iliaque, l’hypertrophie du psoas sont à l’origine de contraintes et peuvent occasionner des traumatismes de l’artère. Si le vasospasme semble jouer un rôle significatif,11 d’autres facteurs systémiques tels que des anomalies du métabolisme ou de la fonction endothéliale pourraient constituer des facteurs adjuvants.9 La symptomatologie sous forme de fatigue, crampes, douleurs et/ou paresthésies, se manifeste à l’effort presque maximal. Des dissections ou thromboses subséquentes peuvent compliquer le tableau clinique et conduire à l’ischémie.
L’examen physique au repos est en général peu contributif en dehors de l’apparition éventuelle d’un souffle lors de l’extension vs flexion de la hanche ou après effort. Une diminution de l’index de pression cheville/bras peut être dépistée à l’effort. L’écho-Doppler vasculaire permet d’analyser la situation avant et après effort et de détecter, le cas échéant, un vasospasme significatif.11 IRM, CT, angiographie, complètent le bilan,9,10 leur résultat pouvant varier en fonction de la position de la hanche (extension/flexion).
Une attitude conservatrice avec réduction de l’effort, voire changement de l’activité sportive, est proposée chez les sportifs amateurs. Cette attitude est difficilement acceptée chez les sportifs professionnels. Dans ce dernier cas, une revascularisation, généralement par intervention chirurgicale, doit être discutée.9
Les vasculites sont généralement classées selon le calibre des vaisseaux concernés par l’atteinte inflammatoire. Une révision de la nomenclature a été récemment proposée.12,13
Parmi les vasculites des gros vaisseaux, mentionnons l’artérite gigantocellulaire (AG),14 se manifestant après la cinquantaine et celle de Takayasu,15 survenant plus précocement. Ces vasculites, touchant l’aorte et ses branches principales ainsi que les axes ilio-fémoro-poplités,16 se caractérisent par la présence de sténoses, d’occlusions, de dissections, et/ou d’anévrismes. Dans l’AG, un risque augmenté d’anévrisme aortique, en particulier thoracique, persiste même après rémission.17
Les glucocorticoïdes et d’autres agents immunosuppresseurs font partie des médicaments classiquement utilisés. En raison d’un risque majeur de cécité, la confirmation du diagnostic d’AG par biopsie de l’artère temporale ne doit pas faire retarder l’instauration du traitement, la sensibilité diagnostique de la biopsie persistant au début du traitement. Une biopsie négative n’exclut toutefois pas une AG.
Les gestes de revascularisation sont en principe à éviter pendant la phase active,2,18 mais se discutent dans certaines situations particulières.19
Il s’agit d’une atteinte inflammatoire des vaisseaux de petit et moyen calibres, artériels et veineux, touchant les membres inférieurs et supérieurs, mais pouvant aussi concerner d’autres territoires vasculaires coronariens et viscéraux.20 La maladie de Buerger (MB) se manifeste chez de jeunes personnes tabagiques. En Europe occidentale, sa prévalence se situe entre 0,5 et 5,6% parmi les patients porteurs d’une artériopathie périphérique.20,21
Son étiologie n’est pas connue. L’exposition au tabac est le facteur déterminant pour l’expression de la maladie.20,21 Une infection parodontale chronique pourrait représenter un facteur de risque supplémentaire,21 hypothèse cependant non confirmée.22 Une association avec certains autoanticorps et facteurs prothrombotiques a été constatée.22
L’histopathologie décrit un thrombus occlusif inflammatoire, sans atteinte majeure de la paroi vasculaire.20,21 Les trois phases aiguë, subaiguë et chronique sont décrites avec une évolution progressive du thrombus inflammatoire en un thrombus organisé avec fibrose vasculaire.20–22
Il s’agit généralement d’un diagnostic d’exclusion, toutes autres possibilités d’atteinte artérielle distale ayant été écartées. La claudication intermittente touche initialement les pieds et/ou les mains mais peut se proximaliser progressivement. Une atteinte ischémique avancée avec douleurs de repos et présence d’ulcérations ou de nécroses amène ces patients à consulter. Des thrombophlébites superficielles migrantes font partie du tableau clinique. Une minorité des patients décrivent, avant la phase occlusive, des arthralgies.20–22
Sur le plan clinique, un test d’Allen pathologique évoque une occlusion radiale, cubitale ou de l’arcade palmaire. Si l’index de pression cheville/bras se révèle normal, la mesure de la pression artérielle aux gros orteils permet de dépister une atteinte plus distale à celle au trépied jambier.
L’imagerie radiologique montre la présence de vaisseaux en «tire-bouchon» (artères hélicines, corkscrew collaterals), qui n’en sont pas pour autant un signe pathognomique.
L’arrêt définitif du tabagisme demeure la clé de voûte de la prise en charge thérapeutique. Les substituts nicotiniques sont aussi à prohiber.
Bien qu’une revascularisation puisse exceptionnellement se discuter, elle n’est généralement pas de mise s’agissant d’une atteinte artérielle distale. Bien que toutes les études ne confirment pas ces résultats,23 l’iloprost a entraîné une diminution de la douleur, la guérison des ulcérations ainsi qu’une réduction du taux d’amputations.24 Parmi les autres vasodilatateurs, mentionnons le recours aux anticalciques, alphabloquants et inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase. D’autres modalités de traitement, telle la stimulation médullaire, ont été décrites.20–22
La TIH est une complication rare, mais grave, du traitement héparinique. Elle est provoquée par la formation des anticorps IgG activant les plaquettes (Abs-TIH), généralement ciblant le complexe facteur plaquettaire 4-héparine (PF4-Hep).25–27 La TIH est caractérisée par l’apparition brutale d’une thrombopénie et la génération anormale de thrombine aboutissant à un état d’hypercoagulabilité.25,26 Les complications thrombotiques surviennent dans plus de 50% des cas de TIH, s’agissant le plus souvent de thromboses veineuses (thrombose veineuse profonde des membres inferieurs et supérieurs, thromboses cérébrales ou à d’autres localisations atypiques). Les thromboses artérielles peuvent avoir des conséquences redoutables telles qu’occlusions périphériques, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux.
Son incidence est variable, entre 0,1 et 5%. Plusieurs facteurs en sont responsables, notamment le type d’héparine utilisée, de patients concernés (chirurgicaux, non chirurgicaux), la durée du traitement et les doses utilisées.25–27
L’utilisation d’un score clinique, notamment le 4Tscore,28 permet de déterminer la probabilité d’une TIH.28 En cas de faible probabilité, une TIH peut raisonnablement être exclue. En cas de probabilité intermédiaire/haute, la recherche des Abs-TIH est nécessaire afin de confirmer le diagnostic de TIH.25–27 Quoiqu’il en soit, en cas de suspicion de TIH, le traitement par héparine doit immédiatement être arrêté et remplacé par un anticoagulant non héparinique (argatroban, danaparoïde) sans attendre sa confirmation par les tests de laboratoire.25–27
Des cas d’atteinte aortique sont décrits. Outre l’adaptation de l’anticoagulation, une attitude interventionnelle, en principe sous forme de thromboembolectomie, peut être discutée.29 L’option endovasculaire peut être prise en considération en cas de sténose persistante après thromboembolectomie.30
Bien que rares en comparaison de l’atteinte athéromateuse, différentes pathologies peuvent être à l’origine de manifestations artérielles aux membres inférieurs. Malgré l’absence de facteurs de risque cardiovasculaires, un contexte clinique, immunologique, mécanique, médicamenteux, peut amener à discuter d’un diagnostic différentiel en faveur d’une atteinte non athéromateuse. Ainsi, même une claudication peu invalidante doit conduire à un bilan spécifique afin d’anticiper l’aggravation d’une potentielle atteinte vasculaire, pouvant aboutir à de plus graves conséquences.
La prise en charge sera en fonction de la pathologie sous-jacente et nécessitera, le cas échéant, une approche multidisciplinaire.
> Les artériopathies non athéromateuses font partie du diagnostic différentiel de l’atteinte obstructive des membres inférieurs, surtout lors d’absence de facteurs de risque cardiovasculaires classiques
> Un contexte clinique particulier, par exemple, immunologique, mécanique, médicamenteux, peut amener à évoquer une atteinte artérielle non athéromateuse