Les décisions médicales relèvent parfois du juste et du faux mais souvent plusieurs solutions sont adéquates, plusieurs possibilités existent. En oncologie, si vous souhaitez travailler en accord avec les recommandations des sociétés internationales et des associations de patients, vous devez inclure dans votre algorithme décisionnel le choix du patient. Même si cette formule est en apparence adéquate (nous ne sommes plus à l’ère où le médecin impose sa décision sans explication), elle ouvre la porte à des malentendus, à des dérives. Je n’aime pas cette formulation…
Comment prenons-nous une décision ? Lorsqu’un problème surgit, on cherche à le cerner, à le comprendre, puis dans un deuxième temps on évoque des solutions. La mise en pratique de nos apprentissages théoriques et le fruit de notre expérience nous permettent de rationaliser et d’avancer dans des domaines complexes, parfois très techniques. Comment le patient peut-il choisir alors même que des confrères, atteints d’une néoplasie, semblent parfois loin de maîtriser les cartes que nous leur donnons pour décider ? Donner le choix au patient peut dériver vers une attitude de Ponce Pilate : «Je vous donne les termes de l’équation et vous décidez», sous-entendu «c’est votre problème». Pour choisir, le patient doit être informé, il doit apprivoiser des concepts, du vocabulaire. Il doit sentir qu’on s’approprie son problème, qu’on adhère avec lui aux solutions. La manière de présenter les solutions varie d’un médecin à l’autre, alors que nous avons suivi les mêmes formations. Elle débouche, pour le patient, sur des perceptions parfois opposées. Ces différences résultent en partie de notre niveau d’angoisse personnel, de l’inquiétude que nous projetons sur nos malades.
Le Professeur Jean Fabre a mesuré l’insécurité des médecins d’une manière très élégante lors de sa leçon d’adieu. Surpris par les différences de coûts engendrés pour une même pathologie auprès de ses assistants, il avait enquêté, comparé, recherché pour comprendre. Les années de formation, l’âge, le sexe, le profil académique, rien n’expliquait ces différences. Il a alors enregistré les consultations et trouvé la clé ! Lorsque le discours était émaillé de : «Je pense peut-être que…», «Il est possible que…» «il semble…» etc. les examens se multipliaient, la facture augmentait. De même, la crainte de mal faire, peut conduire à conseiller à nos patients de «faire plus», et par là même à les «surtraiter». Si le sentiment qui dicte cette conduite est louable au départ, il peut déboucher sur des effets délétères, en particulier en oncologie. L’histoire des tumeurs fourmille d’exemples dans lesquels l’aphorisme «plus c’est mieux» a été battu en brèche par les études scientifiques. Les traitements intensifs avec autogreffe de moelle osseuse dans les cancers du sein en sont un exemple.
Si nous ne gérons pas l’insécurité constante que représentent les diagnostics et les décisions médicales, nous risquons de reporter le poids de la responsabilité thérapeutique sur les épaules de nos patients, alors que le médecin, celui qui a la connaissance, celui qui doit avoir le recul, c’est nous. Le partage des décisions, le débat théorique se façonnent avec des collègues lors de réunion collégiale. Les choix ne doivent pas résulter de l’émotion, du sentiment, ils doivent être le fruit d’une réflexion éclairée, nourrie par nos connaissances dans lesquelles le patient prend sa dimension par sa philosophie de vie. Le patient peut marquer des préférences, les choix sont de notre responsabilité.