La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est fréquente avec une incidence de 0,75-2,69/1000 personnes et de 2-7/1000 au-delà de 70 ans. La thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP) représentent deux facettes de la MTEV. La démarche diagnostique d’une TVP des membres inférieurs (MI) repose sur l’estimation de la probabilité prétest, une utilisation judicieuse des D-dimères et une échographie en fonction de la probabilité. Le traitement consiste principalement en une anticoagulation, dont la durée dépend du risque de récidive et d’hémorragie. Les nouveaux anticoagulants oraux directs et des données récentes sur le traitement interventionnel chez certains patients ont élargi le spectre thérapeutique. L’objectif de cet article est d’informer le médecin de premier recours d’une prise en charge optimale de la TVP des MI.
La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) regroupe la thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP). C’est une maladie vasculaire fréquente, source majeure de morbidité dans le monde, tant en médecine ambulatoire qu’en pratique hospitalière. L’incidence annuelle de la MTEV est estimée de 0,75-2,69/1000 personnes et de 2-7/1000 au-delà de 70 ans.1 Dans sa phase aiguë, la TVP des membres inférieurs (MI) peut se présenter sous forme de douleurs et d’un œdème. Dans de rares cas, elle peut représenter une menace pour la survie du membre affecté (phlegmasia).2 Le risque d’une EP potentiellement fatale est toujours présent en l’absence de traitement approprié. Le développement d’un syndrome post-thrombotique (SPT) limitant la qualité de vie et les récidives thromboemboliques constituent les risques de la TVP à moyen et long termes.2 Ces dernières années, plusieurs études sur la stratégie diagnostique et le traitement de la TVP ont été publiées. Cet article a pour objectif de résumer pour le médecin de premier recours les avancées récentes dans le domaine de la prise en charge de la TVP des MI.
La présentation clinique n’étant pas spécifique, le diagnostic de TVP peut ne pas être posé uniquement sur la base de l’anamnèse et de l’examen clinique. La prévalence d’une TVP en cas de suspicion clinique étant relativement faible (autour de 20%),3 une imagerie serait indiquée chez un trop grand nombre de personnes. Par conséquent, l’utilisation d’algorithmes diagnostiques, incluant l’évaluation de la probabilité prétest et le dosage des D-dimères, permet de déterminer quels patients avec suspicion de TVP nécessitent une imagerie de confirmation.
La détermination de la probabilité prétest d’une TVP des MI se base sur l’utilisation du score clinique de Wells (score le plus utilisé dans ce contexte), lequel tient compte à la fois de l’anamnèse, des symptômes et des facteurs de risque.2 Le score de Wells permet de stratifier les patients sur la base d’une probabilité faible (prévalence de TVP autour de 5%), intermédiaire (17%) ou élevée (53%) d’avoir une TVP.4
En cas de probabilité faible ou intermédiaire, le dosage des D-dimères plasmatiques (produits de dégradation de la fibrine stabilisée) est préconisé.2,4 En cas de D-dimères négatifs (< cut-off spécifique selon la méthode), ce qui est le cas d’environ 40% des patients, une TVP peut être exclue avec une valeur prédictive négative de 95%.4 Chez les patients avec D-dimères positifs, une TVP ne peut être formellement exclue et il est impératif de compléter la démarche diagnostique par la réalisation d’un écho-doppler veineux de compression (EDC) effectué par un angiologue. L’utilisation des D-dimères comme seul moyen d’évaluation du risque de TVP est à éviter en raison de leur faible spécificité. En revanche, pour les patients avec suspicion clinique élevée de TVP, le dosage des D-dimères n’est pas indiqué,2 ces patients étant directement envoyés chez l’angiologue pour une imagerie diagnostique ; dans ce dernier contexte, en fonction du risque hémorragique du patient, une anticoagulation thérapeutique peut déjà être débutée dans l’attente de l’examen EDC confirmatif.5 Le schéma de prise en charge du patient en cas de suspicion de TVP est présenté dans la figure 1
L’EDC est aujourd’hui l’examen de référence pour le diagnostic de TVP à condition d’être effectué par un spécialiste expérimenté. Il permet non seulement de poser un diagnostic et d’obtenir des informations anatomiques et hémodynamiques mais aussi d’évoquer des diagnostics différentiels tels qu’hématome, rupture de kyste poplité, etc. Sa sensibilité/spécificité est de 95% en cas de TVP symptomatique. En cas de localisation iliaque de la TVP, cette sensibilité/spécificité est cependant moindre et peut nécessiter, de ce fait, la réalisation d’un phlébo-CT avec contraste pour confirmer le diagnostic.2,6 Il en est de même en cas de suspicion de thrombose de la veine cave avec EDC négatif.
La recherche des facteurs de risque thromboemboliques fait partie de la prise en charge de la TVP. La distinction entre TVP idiopathique ou non provoquée et TVP secondaire ou provoquée est importante pour le pronostic, les investigations ultérieures et la durée de l‘anticoagulation. Sur le plan physiopathologique, les facteurs de risque de TVP peuvent être classifiés selon la triade du pathologue Rudolf Virchow : ralentissement du flux et stase veineuse, dysfonctionnement ou lésion endothéliale et hypercoagulabilité du sang. Sur le plan pratique, la distinction entre facteurs de risque transitoires et permanents est également pertinente (tableau 1).
En fonction de l’âge, de l’anamnèse et de l’examen clinique, une TVP idiopathique peut constituer une indication à la recherche d’une néoplasie sous-jacente ou d’une thrombophilie.2 Toutefois, le bilan étiologique n’a d’utilité que si les résultats sont susceptibles de modifier la prise en charge du patient. Il n’y a, à ce jour, pas de standard quant au type d’examens à effectuer pour le dépistage de cancer et, en l’absence d’éléments cliniques, la rentabilité de ces examens complémentaires est médiocre. La probabilité de diagnostiquer une néoplasie dans l’année suivant le diagnostic de TVP est d’environ 10%.7
Dans la phase aiguë, les objectifs du traitement sont, à court terme, la prévention de l’EP et de l’extension de la thrombose ainsi que la diminution des symptômes aigus et, à plus long terme, la prévention de récidives thromboemboliques et du syndrome post-thrombotique.2,5,8 Le traitement des TVP repose sur des mesures thérapeutiques pharmacologiques et non pharmacologiques. Trois phases de traitement peuvent être distinguées : la phase aiguë durant les cinq à dix premiers jours, la phase intermédiaire pendant les trois premiers mois, et une phase au long terme au-delà de ces trois mois.2,5,8
Le traitement de base de la TVP est l’anticoagulation.2,5,8 En phase aiguë, le traitement consiste en une anticoagulation parentérale par héparine non fractionnée (HNF) ou sous-cutanée par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) ou encore fondaparinux avec initiation précoce d’une anticoagulation per os par antagonistes de la vitamine K (AVK). Les AVK peuvent être utilisés dès le premier jour mais, en raison d’une période d’hypercoagulabilité (essentiellement secondaire à la baisse rapide des anticoagulants vitamino-K dépendant PC et PS), l’association avec l’HNF, les HBPM ou le fondaparinux est préconisée, pour une durée minimale de cinq jours et jusqu’à ce que la valeur cible de l’INR (entre 2-3) soit atteinte pendant au moins 24 heures d’intervalle.2,5,8
Récemment, l’arrivée sur le marché d’anticoagulants oraux directs (AOD)9 propose une alternative à la thérapie anticoagulante par héparine et AVK. L’efficacité et la sécurité de plusieurs AOD dans le traitement de la MTEV ont été prouvées par de grandes études.8 Toutefois, à l’heure actuelle en Suisse, seul le rivaroxaban est admis par Swissmedic pour le traitement de la TVP, de l’EP et la prévention des récidives thromboemboliques. Par rapport aux AVK, les avantages principaux de ces AOD sont une réponse dose-effet prédictible, une interaction moindre avec les médicaments concomitants et la nourriture et une administration à doses fixes sans nécessité d’un monitoring de laboratoire de surveillance.8,9
Aujourd’hui, ces nouveaux anticoagulants oraux représentent une bonne alternative au schéma classique héparine/fondaparinux-AVK chez les patients avec une fonction rénale conservée et sans néoplasie active.8,9 En raison de leur élimination essentiellement par voie rénale, l’utilisation des AOD chez les patients insuffisants rénaux sévères reste proscrite. En cas de néoplasie active, les études montrent une efficacité et un profil de sécurité des AOD similaires à ceux des AVK. Toutefois, le nombre de patients atteints d’un cancer inclus dans les études est réduit et aucune comparaison directe avec les HBPM n’est disponible.10,11
Durant la phase intermédiaire d’au moins trois mois et si nécessaire à plus long terme, l’anticoagulation repose sur un traitement oral par AVK ou par rivaroxaban dans la majorité des cas. Chez les patients atteints de néoplasie active, un traitement avec l’HBPM seule est proposé 5,12 étant donné que l’efficacité des AVK est diminuée dans cette population.13
Le traitement des TVP distales isolées est plus controversé. Dans l’attente des résultats d’études plus spécifiques, les recommandations internationales suggèrent en général le même prise en charge que lors d’une TVP proximale.5
Les différentes classes d’anticoagulants, leurs avantages et inconvénients sont résumés dans le tableau 2. Les substances enregistrées en Suisse et leur posologie sont reprises dans le tableau 3.
Le nombre de patients sous traitement concomitant par antiagrégants est en augmentation, ce qui complique la situation en cas de TVP en raison d’une augmentation du risque hémorragique. La décision de stopper l’antiagrégant doit cependant être individualisée en consensus avec les spécialistes concernés (angiologues, cardiologues, chirurgiens vasculaires, neurologues).
En cas de contre-indication à l’anticoagulation, l’implantation transitoire d’un filtre dans la veine cave inférieure est à prendre en considération chez des patients avec EP ou TVP proximale. Dès que la situation permet l’anticoagulation, le filtre cave doit être retiré, puisque le taux de succès de son retrait diminue avec le temps. Les filtres peuvent aussi augmenter le risque de thrombose et de syndrome post-thrombotique.14
Dans certaines situations, en particulier en cas de TVP ilio-fémorale, lorsque le risque de syndrome post-thrombotique est particulièrement élevé, une attitude thérapeutique plus agressive peut se justifier, associant une thrombolyse à l’anticoagulation afin de reperméabiliser rapidement le segment veineux atteint.15,16 Vous trouverez dans ce même numéro de la Revue Médicale Suisse un article plus détaillé concernant le traitement interventionnel des TVP.
En plus du traitement anticoagulant, le traitement non médicamenteux d’une TVP comporte une compression élastique dégressive du membre atteint, le plus souvent sous forme d’un bas de contention de classe 2 ou par bandages élastiques.5 Avant prescription de toute compression, il est nécessaire d’exclure une artériopathie oblitérante sous-jacente des MI. La compliance des patients au traitement compressif est souvent limitée et diminue dans le temps. Le traitement compressif a été remis en question par la publication d’une grande étude prospective contrôlée parue dans le Lancet en 2013.17 Néanmoins, ces résultats sont à interpréter avec réserve en raison d’une mauvaise compliance des patients inclus et de l’absence d’un vrai groupe contrôle (le groupe placebo portait une contention élastique). Ces résultats restent en contradiction avec ceux d’études antérieures ayant démontré un effet bénéfique de la compression.18 Par ailleurs, un récent scientific statement de l’American Heart Association recommande l’utilisation de bas de compression dans la prévention et le traitement du SPT.19
La prise en charge d’un patient atteint de TVP implique son éducation thérapeutique sous différents aspects. Le tableau 4 liste les points importants pour l’information du patient.
La durée du traitement anticoagulant après un épisode de TVP est d’au moins trois mois, la poursuite ou l’arrêt de l’anticoagulation au-delà de trois mois doivent être évalués en fonction de la balance risques/bénéfices.5
En règle générale, un risque de récidive de MTEV d’environ 5% la première année et 15% à cinq ans est considéré acceptable et permet d’arrêter l’anticoagulation.20 Après un premier épisode de MTEV secondaire, provoqué par un facteur de risque transitoire, le risque de récidive est faible (< 5% la première année et < 15% à cinq ans).20,21 A noter que ce risque est trois fois plus faible si la TVP survient dans les suites d’une intervention chirurgicale.21 En revanche, chez les patients avec MTEV idiopathique, le risque de récidive est d’environ 10% la première année et 5% pour les années suivantes, ce qui justifie la discussion de la poursuite d’une anticoagulation au long terme.5 En cas de risque hémorragique élevé, la poursuite du traitement avec l’acide acétylsalicylique peut être proposée mais doit être discutée avec les spécialistes. Toutefois, ce traitement ne doit pas être considéré comme une alternative au traitement anticoagulant, lequel demeure le traitement de choix de la MTEV.22 L’étude Dulcis, récemment publiée, propose l’utilisation des D-dimères pour identifier les patients chez lesquels une anticoagulation peut être arrêtée avec sécurité après la durée minimale de traitement de trois mois.23 L’étude montre, sur un large échantillon de patients, un risque de récidive faible estimé à environ 3% année-patients lorsque les D-dimères plasmatiques sont négatifs à 15, 30, 60, 90 jours après l’arrêt de l’anticoagulation.20,23 Cette stratégie permet d’arrêter avec sécurité l’anticoagulation chez environ 50% des patients.23
D’autres facteurs comme la réponse au traitement, la présence d’un thrombus résiduel, le souhait du patient, sa profession et ses activités influencent également la décision thérapeutique soulignant l’importance d’un contrôle angiologique à trois mois du diagnostic afin de vérifier la recanalisation du thrombus, évaluer la présence d’un SPT, discuter de toutes les options thérapeutiques sur la base de la balance risques/bénéfices, et poursuivre les démarches étiologiques en fonction de la situation propre à chaque individu.
Les progrès dans la prise en charge de la maladie thromboembolique se poursuivent. Le traitement principal reste l’anticoagulation et le médecin dispose aujourd’hui d’un vaste choix d’anticoagulants avec, comme dernière innovation importante, le développement d’AOD. Une minorité de patients bien sélectionnés peut aussi bénéficier d’un traitement interventionnel de recanalisation en période aiguë.
Tandis que la durée d’anticoagulation de trois mois est bien établie pour les TVP secondaires avec facteur de risque transitoire, la question de la durée de l’anticoagulation reste plus délicate en cas de TVP idiopathique et nécessite une évaluation détaillée des risques et bénéfices d’un traitement prolongé.
> La démarche diagnostique de la thrombose veineuse profonde (TVP) des membres inférieurs (MI) consiste en une évaluation de la probabilité prétest à l’aide du score de Wells, suivie en cas de probabilité faible ou intermédiaire par un dosage des D-dimères et/ou d’un écho-doppler veineux de compression (EDC) en cas de risque élevé ou de D-dimères positifs
> La majorité des TVP peuvent être traitées en ambulatoire. Un suivi du patient avec TVP est essentiel afin de détecter d’éventuelles complications et de les traiter
> L’information du patient sur les aspects importants de la maladie thromboembolique est indispensable
Venous thromboembolism is a frequent disease with an annual incidence of 0.75-2.69/1000 reaching 2-7/1000 > 70 years. Deep vein thrombosis (DVT) and pulmonary embolism are two manifestations of the same underlying disease. Most frequent localization of DVT is at lower limbs. The diagnostic workup begins with an estimation of DVT risk, a judicious use of D-Dimers, and compression venous ultrasound depending on DVT probability. The development of direct oral anticoagulants and recent data on interventional DVT treatment, in selected cases, have widened the therapeutic spectrum of DVT. The present article aims at informing the primary care physician of the optimized workup of patients with lower limb suspicion of DVT.