En Suisse, toutes les transplantations hépatiques pédiatriques sont réalisées aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) depuis 1989. Environ 150 enfants ont été transplantés du foie depuis et leur survie est à plus de 90% – un des pourcentages les plus hauts d’Europe. Pour augmenter les chances de réussite à long terme, les patients doivent avoir une bonne observance thérapeutique. Celle-ci se base sur une bonne compréhension de leur état de santé. Le projet KidsETransplant vise à aider l’enfant – et sa famille – à mieux comprendre sa situation médicale en lui proposant un accès aisé et didactique à ses données médicales. Ainsi, l’enfant peut s’autonomiser dans la gestion de ses problèmes médicaux et développer une meilleure communication avec les professionnels de la santé. Le but de cet article est de résumer l’état actuel de cet outil.
Les enfants atteints de maladies chroniques se heurtent à plusieurs défis : un suivi médical régulier et souvent intensif, des problèmes d’autonomisation souvent liés à des parents protecteurs, et des difficultés pour trouver le juste équilibre entre leur vie normale d’enfant et les contraintes liées à leur état de santé. Ceci amène à un risque de décompensation au moment de la transition à la médecine adulte. En effet, on sait que les jeunes adultes greffés du rein ont un risque accru de rejet du greffon au moment de la transition entre une prise en charge pédiatrique et une prise en charge par des néphrologues internistes.1 Il s’agit également d’une période vulnérable pour les patients greffés du foie.2,3 Presque 150 enfants ont été transplantés du foie depuis 1989 aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), centre suisse exclusif des transplantations de foie chez l’enfant (Centre suisse des maladies du foie de l’enfant, CSMFE), reconnus officiellement depuis 2011 par la Commission nationale suisse de la médecine hautement spécialisée. Si la survie des enfants durant l’âge pédiatrique n’est plus remise en cause, on s’intéresse de plus en plus à leurs espérance et qualité de vie à long terme. Notre hypothèse est que celles-ci dépendent de la compréhension de leur état de santé, de leur capacité de s’autonomiser et de leur observance thérapeutique. Seulement, le modèle médico-hospitalier actuel ne permet pas une transmission optimale des informations ou une responsabilisation du patient et de sa famille. Le but du projet KidsETransplant est de donner à l’enfant avec une maladie hépatique accès à son dossier médical par des outils ludiques et éducatifs afin d’améliorer son autonomisation, sa transition vers la médecine adulte et donc, son devenir à long terme. Ce projet s’intègre dans le travail quotidien avec nos patients ; il fait partie intégrante de la mission du CSMFE et s’associe à sa vision d’excellence et de qualité des soins.
Le projet KidsETransplant a été initié conjointement par le CSMFE et le Service de cybersanté et télémédecine des HUG, avec le soutien de la direction des HUG ainsi que de multiples sponsors privés. Plusieurs parents ont participé à un groupe de réflexion au début du projet. Ils ont reconnu la nécessité et l’utilité de l’outil.
KidsETransplant est une plateforme informatique de type «serious game». Cet outil donne aux enfants et à leur famille accès aux informations médicales essentielles au suivi médical. Cette plateforme se présente sous forme d’un espace virtuel ludique, didactique et interactif, où l’enfant (et ses parents) navigue dans un univers en trois dimensions (3D). Il trouve ses données médicales en navigant parmi les jeux et objets d’une chambre virtuelle (figure 1) dont l’accès est sécurisé par un mot de passe et un code personnel. Les données de la plateforme permettent de s’identifier au moyen d’un «passeport» avec les informations les plus importantes de l’enfant et de ses parents (opérations, allergies, numéros de téléphones urgents, etc.). Elles permettent aussi de s’informer au moyen des documents médicaux : lettres de sortie des hospitalisations internes et externes, rapports des différentes consultations, résultats sanguins, rapports radiologiques, statut vaccinologique, courbes de croissance (figure 2). Elles participent au développement de l’autonomie et à l’amélioration de l’observance thérapeutique grâce au calendrier des visites médicales et d’une liste à jour des médicaments (possibilité de programmer un rappel par sms).
L’espace virtuel 3D de la plateforme est conçu pour y attirer l’enfant. Il est conçu à la fois pour une utilisation web et une utilisation en format tablette. L’espace se présente comme une chambre d’enfant, dont certains paramètres sont personnalisables (posters). Des «snack-games» (figure 3) font partie intégrante de l’environnement didactique, afin d’y attirer l’enfant pour encourager l’utilisation. Les scores de ces jeux sont affichés, et des trophées virtuels octroyés pour des hauts scores qui devraient servir de renforcement positif pour inciter l’enfant à revenir dans l’espace virtuel (et donc à s’instruire). A l’avenir, les différentes valeurs de laboratoire seront accompagnées «d’info-bulles» à des fins didactiques. A certains points fixes dans le temps (avant la première utilisation et après un an d’utilisation), l’enfant devra répondre à un quiz pour tester, au fur et à mesure, ses connaissances médicales. D’année en année, les quiz deviendront plus difficiles, permettant ainsi de mesurer l’impact de l’outil sur les connaissances médicales du jeune patient.
Dans l’idée de responsabiliser l’utilisateur, celui-ci peut bénéficier des différents outils qui vont lui donner la possibilité de programmer des sms vers son téléphone portable pour rappeler l’heure de prise des médicaments, cet outil ayant déjà fait ses preuves dans les maladies chroniques de l’adolescent.4 Il pourra utiliser des Post-it virtuels pour lui servir de pense-bête. Il aura aussi la possibilité de créer un pilulier virtuel afin d’apprendre à mieux connaître ses médicaments et à planifier le renouvellement de ses ordonnances.
D’un point de vue logistique, la mise à jour des informations médicales se fait en partie automatiquement depuis le dossier informatisé du CSMFE à Genève, et en partie manuellement au moyen de formulaires structurés de saisie.
Le public visé est les enfants entre 7-16 ans. En dehors de cette fourchette d’âge, les moyens risquent d’être soit trop compliqués, soit au contraire trop infantiles. Cependant, pour l’adolescent ou le jeune adulte, un accès illimité (ad vitam) à la plateforme offrira une mémoire médicale accessible en tout temps. Pour les enfants en très bas âge (50% des patients sont transplantés dans leur première année de vie), les parents peuvent jouir de la plateforme pour leur propre information et pour montrer les dernières valeurs de laboratoire à un médecin extérieur aux HUG, ou encore lorsqu’ils sont en déplacement (augmentation de la qualité de vie par augmentation de la mobilité).
Les informations sont seulement accessibles à travers le login/mot de passe du patient et de son code d’activation reçu par sms à chaque connexion, ce qui assure la sécurité de l’information et l’accès à la plateforme. Il lui appartient de partager celui-ci avec des tiers si tel est son désir. Les médecins extérieurs n’y ont accès qu’à travers le patient et l’accès par le team du CSMFE est limité à quelques utilisateurs. L’outil est conçu pour le patient et ne remplace pas la bonne tenue d’un dossier médical.
Les outcomes attendus et l’impact social de KidsETransplant sont considérables. Nous visons à ce que cette innovation augmente la compréhension de la maladie et améliore ainsi le suivi des enfants ayant bénéficié d’une transplantation hépatique. KidsETransplant devrait conduire le patient et sa famille à une autonomisation par rapport aux problèmes médicaux et donc par la suite, à une amélioration de l’observance thérapeutique chez les adolescents. A terme, une diminution des complications médicales (notamment du rejet) à l’adolescence devrait être observée. En outre, et ceci comme «bénéfice secondaire», une amélioration de la transmission d’informations entre les professionnels de la santé, les patients et leur famille est attendue, en passant par le patient qui constitue la pierre angulaire du réseau.
KidsETransplant est une innovation technique importante au niveau suisse et international. Si le principe de dossier personnel électronique existe déjà à la fois en Europe et en Amérique du Nord, il n’y a pas, à notre connaissance, de modèle utilisant le principe du «serious gaming» en 3D. Si les résultats continuent d’être concluants, l’outil pourra intéresser d’autres sous-spécialités en pédiatrie traitant des affections chroniques de l’enfant, comme par exemple l’endocrinologie pour la prise en charge du diabète de l’enfant, ou l’oncologie pédiatrique pour le suivi à long terme.
La version une de KidsETransplant est au service des familles depuis maintenant dix-huit mois. Les familles/patients montrent un grand intérêt pour cet outil et sont heureux d’avoir accès au dossier médical de façon indépendante et autonome. Nous avons déjà constaté un changement d’attitude se traduisant par une implication plus importante chez certains patients, ce qui permet une optimalisation de la prise en charge. Les familles nous font part de leurs suggestions pour améliorer l’outil, témoignant de leur intérêt et de leur implication. Dans un premier temps, un accompagnement par un professionnel de la santé qualifié est essentiel pour profiter pleinement des opportunités d’apprentissage qu’offre cette application et pour permettre aux utilisateurs d’appréhender et gérer sereinement les informations à disposition. Grâce à une évaluation régulière de la plateforme, par ses coordinateurs et par les retours des utilisateurs, nous assurons son développement afin de continuer à offrir aux familles cet outil avant-gardiste qui nous paraît essentiel à la transition de l’enfant vers l’âge adulte.
Ce projet conjugue l’expérience médicale du CSMFE avec celle du Service de cybersanté. KidsETransplant participe à un changement culturel fondamental dans la relation entre les professionnels de la santé et les patients atteints d’affections chroniques : l’éducation et l’autonomisation de ces derniers dans la gestion à long terme de leur propre santé. La plateforme, pierre angulaire de ce changement de paradigme, constitue également une innovation technologique importante et inédite en Suisse et en Europe. A terme, il est très probable que cet outil puisse intéresser d’autres groupes travaillant avec des enfants atteints d’une maladie chronique.
Les auteurs remercient les nombreux donateurs qui ont permis la réalisation de ce projet.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
In Switzerland all children’s liver transplants are centralized at the University Hospitals of Geneva (HUG) since 1989. Approximately 150 children have received transplants since then, and their survival rate is higher than 90% – one of the highest in Europe. Maximizing the chances of long-term success requires that patients comply with follow-up treatment, something which mandates a sound understanding of their medical condition. The KidsETransplant project aims to help the child – and his family – to understand better his state of health. To this end, our tool offers secured, unrestricted access to the patient’s medical record, with a view to both increase patient autonomy and improve communication with healthcare professionals. This paper describes KidsETransplant, as well as its implemented evaluation process.