La période de l’adolescence retient de plus en plus l’attention des pédiatres, et pour cause ! Plus on s’intéresse aux affections des adolescents, plus on découvre des aspects fascinants sur le plan biosocial et importants sur le plan médical. L’adolescence est une phase-clé de la vie d’un individu, et les développements au cours de l’adolescence peuvent avoir des conséquences majeures sur la santé, comme sur la scolarité, de même que sur la vie sociale et professionnelle.
L’adolescence coïncide avec un pic de mortalité, événement dramatique qui reste dans la majorité des cas potentiellement évitable. Les spécialistes de l’adolescence, pédiatres, pédopsychiatres, épidémiologues et autres reconnaissent plusieurs facteurs à la base de cette vulnérabilité au cours de l’adolescence. Si les comportements à risque sont responsables d’une bonne partie de la mortalité, d’autres événements, comme, par exemple, les grossesses non planifiées ou l’addiction au tabac, à l’alcool ou aux drogues, déterminent la morbidité. Des interventions ciblées à cet âge sont indiquées avec à la clé un haut potentiel de succès pour réduire cette mortalité et cette morbidité.
«… le succès du travail thérapeutique risque de s’effondrer parfois dans un délai très court …»
Dans le domaine médical, cette vulnérabilité liée à l’adolescence se retrouve dans la majorité des études qui ont analysé des parcours d’enfants et d’adolescents avec une maladie chronique. Il est fréquent, voire même presque la règle, d’observer une aggravation des indicateurs de la maladie – l’hémoglobine glyquée chez les diabétiques remonte, le taux de phénylalanine chez les phénylcétonuriques augmente, la fonction rénale chez les enfants transplantés baisse, les fonctions pulmonaires chez les enfants atteints de mucoviscidose chutent. Les pédiatres ont pour but d’amener l’enfant à l’âge adulte avec le meilleur capital santé, mais le succès du travail thérapeutique, fait sur plusieurs années par l’équipe patient-parents-soignants, risque de s’effondrer parfois dans un délai très court.
Même quand une maladie est identifiée tardivement durant l’adolescence, la question suivante se pose fréquemment : faut-il opter pour une prise en charge primaire en pédiatrie ou proposer une prise en charge «précoce» par les collègues de la médecine adulte ; ou faut-il évoquer une coordination mixte par une équipe aux compétences complémentaires ? Les nombreux travaux en cours qui se penchent sur cette question témoignent de son actualité.
Le but qui s’impose donc est d’accompagner l’adolescence dans ses aspects médicaux et d’assurer le passage de l’équipe pédiatrique à l’équipe adulte, par une «transition». Mais, comment réaliser au mieux cette transition ? Comment assurer la stabilité du traitement pendant cette période où tout est bousculé ? Comment réconcilier la maturation psycho-émotionnelle de l’adolescent et sa prise d’indépendance avec le besoin de poursuivre des traitements importants ? Comment accompagner les enfants atteints de maladies chroniques pour leur permettre d’arriver à la phase adulte de leur vie avec un capital de santé le plus grand possible ? Finalement, comment prendre en charge au mieux une maladie qui se manifeste à l’âge de 16 ou 17 ans ?
Il n’y a pas une seule réponse, ou un seul modèle : il y en a plusieurs, souvent dictés par les particularités d’une discipline, mais toujours avec la flexibilité nécessaire pour s’adapter au patient et à sa famille. Les parties prenantes dans la transition sont multiples : les équipes médico-infirmières pédiatriques, avec leur souhait de pouvoir accompagner l’enfant devenu adolescent puis adulte, vers sa maturité ; les parents, pour lesquels l’adolescence de leur(s) enfant(s) est toujours un défi, mais encore plus compliqué lorsque l’adolescent a une maladie chronique ; et en dernier lieu, l’équipe médico-infirmière de l’adulte, qui doit reprendre l’adolescent ou le jeune adulte avec le bagage de sa maladie et de ses complications, ses vécus, et ses espoirs pour une vie adulte normale et productive. La difficulté peut être d’autant plus marquée si la transition touche non seulement un enfant suivi par un pédiatre vers un interniste-généraliste, mais surtout si la transition implique des pathologies rares suivies par un pédiatre spécialiste qui devra trouver un interlocuteur spécifique pour le suivi à l’âge adulte. On comprend l’importance des équipes de transition.
«… Le problème de la transition n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’adolescence mais bel et bien un problème en général …»
Ce numéro de la Revue Médicale Suisse a pour but d’illustrer cette problématique et de proposer des modèles qui peuvent être une source d’inspiration. Il faut souligner que, même avec les modèles proposés, il subsiste bon nombre de difficultés : il n’y a que peu de données basées sur l’évidence, il s’agit de projets en cours dont les preuves scientifiques prendront encore du temps avant de les faire considérer comme des recommandations solides. Toutefois, ces modèles doivent être testés et défiés. Le problème de la transition n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’adolescence mais bel et bien un problème en général pour tous nos patients. La transition du pré au posthospitalier est par exemple un sujet très attentivement étudié dans la médecine adulte. Ces moments de vulnérabilité accrue sont particulièrement riches pour permettre des investigations, des programmes de recherche et d’interventions. Seule certitude : il y a place pour nous améliorer ensemble sur ce thème de la transition. Nous avons donc porté une attention particulière aux besoins légitimes de nos collègues de la médecine adulte et leur avons demandé de s’impliquer dans la rédaction de ces articles ; nous les remercions de l’enthousiasme avec lequel ils ont accepté. Si toute transition pose un risque, il faut aussi y relever l’opportunité d’ouvrir un nouveau chapitre avec de nouveaux horizons et des nouvelles motivations.