C’est une étude observationnelle qui soulève bien des interrogations. Elle vient d’être publiée dans BJOG An International Journal of Obstetrics and Gynaecology1 par un groupe de chercheurs français dirigé par Jennifer Zeitlin et ses collaborateurs (Unité Inserm 1153, équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique). Ce travail porte sur le dépistage du retard de croissance intra-utérin (RCIU) – un terme générique qui regroupe les altérations et cassures de la courbe de croissance intra-utérine.
Le RCIU est une complication de la grossesse définie par une croissance insuffisante du fœtus (il est défini par une croissance inférieure au 10e percentile, soit un fœtus appartenant aux 10% des fœtus les plus petits à âge gestationnel égal). On sait qu’il existe deux grands types de RCIU.
Dans ce domaine, la terminologie n’est pas toujours une affaire simple. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cngof)2 propose celle-ci, à utiliser en anténatal comme en postnatal :
Le petit poids pour l’âge gestationnel ou PAG (équivalent français de Small for Gestational Age ou SGA) est défini par un poids isolé (estimation pondérale in utero ou poids de naissance) inférieur au 10e percentile. Le PAG sévère correspond à un PAG inférieur au 3e percentile.
Le RCIU (équivalent français de fetal growth restriction (FGR) ou intra-uterine growth retardation IUGR) correspond le plus souvent à un PAG associé à des arguments en faveur d’un défaut de croissance pathologique : arrêt ou infléchissement de la croissance de manière longitudinale (au moins deux mesures à trois semaines d’intervalle).
Ce RCIU est aussi et surtout une pathologie obstétricale responsable d’une morbidité et d’une mortalité périnatale importante. Cette altération de la croissance fœtale peut être dépistée pendant la grossesse, principalement par l’estimation du poids fœtal mesurée à l’échographie. En France, l’échographie du troisième trimestre est recommandée chez toutes les femmes enceintes. Elle sert notamment à surveiller la croissance fœtale et à identifier les fœtus avec un RCIU. En théorie, le dépistage anténatal du RCIU permet d’adapter la surveillance de la grossesse pour prévenir les risques de décès in utero et néonataux, ainsi que les risques de séquelles neurologiques pour l’enfant. Voilà pour la théorie. Quelle est la réalité ?
L’étude observationnelle française a été conduite auprès de 14 000 femmes. Elle conclut que 21% (seulement) des enfants porteurs d’un RCIU avaient été suspectés pendant la grossesse – et ce malgré les recommandations nationales françaises qui invitent les femmes à réaliser une échographie au troisième trimestre de la grossesse. Cette étude montre aussi que près de la moitié des enfants présentant une suspicion de RCIU avaient un poids normal à la naissance. Ce qui laisse entendre que près de la moitié des diagnostics seraient en réalité des faux positifs. Il y a là, pour le moins, matière à interrogation. Comment pourrait-on continuer à accepter un tel flou – avec toutes les conséquences pratiques d’interventions médicales injustifiées ?
On ne comptait, jusqu’ici, que peu d’études ayant cherché à évaluer la performance et l’impact du dépistage du RCIU en population générale. L’objectif des chercheurs français visait à estimer le pourcentage d’enfants pour lesquels un RCIU avait été suspecté en anténatal et à mesurer l’effet de cette suspicion sur les décisions médicales prises – et ce à partir d’analyses menées sur un échantillon représentatif de naissances survenues en France en 2010. Pour cela, ils ont estimé le nombre d’enfants nés avec un faible poids à la naissance (inférieur au 10e percentile pour l’âge gestationnel) et, parmi eux, la proportion d’enfants ayant eu un RCIU suspecté en anténatal.
L’étude a donc, au final, montré que seulement 21% des enfants nés avec un faible poids de naissance avaient été suspectés pendant la grossesse. De plus, la moitié des enfants suspectés d’avoir un RCIU pendant la grossesse avaient un poids normal à la naissance (≥ 10e percentile). La suspicion anténatale était associée à une augmentation de la probabilité d’avoir une césarienne programmée avant travail et un déclenchement du travail, indépendamment de l’existence ou non d’un faible poids à la naissance. Des résultats similaires ont été retrouvés dans le sous-groupe des femmes ne présentant aucune complication pendant la grossesse.
Pour Jennifer Zeitlin et son équipe, on ne saurait en rester à ce constat. «Les résultats de cette étude soulignent la nécessité de mener une réflexion autour des raisons de la faible performance du dépistage du RCIU en France, explique-t-elle. Ces résultats questionnent également sur le risque de réaliser des interventions médicales non justifiées, dans le cas où une suspicion de RCIU pendant la grossesse n’a pas été confirmée à la naissance».
Dans l’attente d’une correction de la situation, il n’est pas inutile de rappeler quelques certitudes quant à la prévention du RCIU telles que les détaille le Cngof. Avant une première grossesse, et du fait des facteurs de risque, il est fortement recommandé : d’encourager les femmes ayant un projet de grossesse à avoir un objectif d’IMC préconceptionnel < 30 kg/m2 et > 18 kg/m2 ; d’inciter autant que faire se peut à l’arrêt du tabac, et donc de proposer des aides au sevrage. Il en va de même de l’alcool et des drogues illicites ; de limiter les grossesses multiples en cas de procréation médicalement assistée.
Au cours de la grossesse afin d’éviter la survenue d’un RCIU, en dehors d’une maladie chronique maternelle, il est recommandé de respecter les objectifs de poids, et ce en fonction de l’IMC pré-conceptionnel. S’il n’a pas été obtenu auparavant, l’arrêt de la consommation du tabac et des autres toxiques doit être encouragé le plus tôt possible dans la grossesse. «Il n’y a pas d’argument pour recommander le repos dans la prévention du RCIU et la supplémentation systématique en fer ne diminue pas le risque» précise enfin le Cngof.
L’importance du poids de la future mère sur la santé de l’enfant qu’elle porte et auquel elle va donner naissance est par ailleurs au centre de la publication des derniers résultats d’une étude menée dans le cadre du programme européen Dorian (Developmental ORIgins of healthy and unhealthy AgeiNg).3 Les auteurs de cette recherche estiment que des stratégies doivent de toute urgence être mises en œuvre pour prévenir le surpoids et l’obésité chez les jeunes filles ainsi que chez les femmes en âge de procréer. De nouveaux éléments de nature chromosomique (taille des télomères) viennent aujourd’hui mettre en lumière et confirmer les liens étroits existant entre les équilibres biologiques maternels et ceux, présents et à venir, de l’enfant.