Il est connu de longue date que les reins sont impliqués dans l’homéostasie glycémique bien que leur rôle précis et les mécanismes tubulaires sous-jacents n’aient été identifiés que récemment suite à l’étude de patients avec une glucosurie rénale familiale. Ces développements ont mené à la récente commercialisation d’une nouvelle classe d’antidiabétiques oraux, les gliflozines. Les gliflozines provoquent une glucosurie rénale en bloquant le cotransporteur Na-glucose SGLT2 présent dans le tubule proximal et permettent une baisse de 0,5 à 1% de l’hémoglobine glyquée. Elles diminuent également la réabsorption proximale de Na et réduisent l’hyperfiltration glomérulaire qui est souvent constatée dans les premiers stades du diabète. Des études préliminaires suggèrent que ces médicaments diminuent la pression artérielle et ont un effet néphroprotecteur. Cet article passe en revue le rôle des reins dans l’homéostasie du glucose et détaille les effets rénaux des inhibiteurs de SGLT2.
Historiquement, la glucosurie était l’élément pathognomonique du diabète et lui a donné son nom : diabetes mellitus, en latin, décrit étymologiquement la polyurie sucrée. Le rein a été longtemps considéré comme responsable de cette maladie et ce n’est que bien plus tard qu’il a été reconnu comme cible de ce désordre métabolique. Aujourd’hui, il reste avant tout l’un des organes subissant les complications du diabète, une néphropathie se développant chez environ 30% des patients diabétiques, et une épuration extrarénale (par hémodialyse, dialyse péritonéale ou transplantation rénale) devenant nécessaire chez 1-2/1000 patients diabétiques.
Mais ironiquement, le rein joue bel et bien un rôle, moins connu, dans l’homéostasie glycémique. Ce rôle a été mis en lumière au cours des deux dernières décennies, notamment grâce à l’étude de patients atteints d’une maladie génétique rare, nommée la glucosurie rénale familiale, causée par des mutations du cotransporteur Na-glucose SGLT2.
Dans cette revue, nous ferons un rappel des mécanismes de transport du glucose dans le rein et des changements hémodynamiques rénaux induits par le diabète ; nous aborderons la glucosurie rénale familiale et les mutations du cotransporteur SGLT2, et résumerons les effets rénaux et systémiques des inhibiteurs du cotransporteur SGLT2.
Le rein participe au métabolisme du glucose de plusieurs façons. D’une part, il contribue à la gluconéogenèse pour 10 à 20%, les 80 à 90% restants étant assurés par le foie. La gluconéogenèse a lieu au niveau cortical, et sert principalement à couvrir les besoins énergétiques du transport actif tubulaire médullaire. En cas d’insuffisance rénale chronique, la gluconéogenèse diminue, ce qui explique en partie le risque plus élevé d’hypoglycémie chez ces patients, les autres raisons étant l’accumulation de métabolites actifs hypoglycémiants et la diminution de la clairance de l’insuline.
D’autre part, le rein joue un rôle encore plus fondamental dans le métabolisme du glucose via son activité constante, à chaque minute, de filtration et de réabsorption du glucose. Le glucose, petite molécule de 180 Da, de taille légèrement supérieure à la créatinine (113 Da), est en effet librement filtré par le glomérule rénal. En situation physiologique, il est ensuite réabsorbé dans sa quasi-totalité par le tubule proximal. Le débit plasmatique rénal est d’environ 600 ml par minute, correspondant à 864 litres par jour. Au total, 20% de ce volume est filtré par les glomérules, ce qui représente 180 litres par jour. La concentration plasmatique moyenne de glucose est d’environ 5,5 mmol/l, ce qui correspond à 1 g/l. Ainsi, 180 g de glucose sont filtrés et réabsorbés quotidiennement par les reins. Le cotransporteur Na-glucose SGLT2 a un rôle déterminant dans cette réabsorption du glucose.
Le transport du glucose à travers les cellules est contrôlé par deux types de molécules :
Dans le rein, le glucose est librement filtré puis est réabsorbé à 90% via le cotransporteur Na-glucose SGLT2 (affinité basse/capacité haute) localisé dans les deux premières parties du tubule proximal (S1 et S2) et à 10% via le cotransporteur Na-glucose SGLT1 (affinité haute/capacité basse) situé dans la troisième partie du tubule proximal (S3) (figure 1).
Le cotransporteur SGLT2 fait entrer une molécule de Na alors que SGLT1 fait entrer deux molécules de Na pour chaque molécule de glucose (figure 2). Le glucose diffuse ensuite passivement selon son gradient de concentration via GLUT2 dans les deux premières parties du tubule proximal et via GLUT1 dans la troisième partie du tubule proximal.
La capacité maximale de transport du glucose varie d’un individu à l’autre. En moyenne, la capacité de réabsorption de SGLT1 et 2 est dépassée lorsque la glycémie plasmatique dépasse 11 mmol/l, avec apparition d’une glucosurie.
L’hyperfiltration glomérulaire, définie par un débit de filtration glomérulaire (DFG) >135 ml/min/1,73 m2, est fréquente dans le diabète de types 1 et 2 et dans le syndrome métabolique.2 Elle est en général considérée comme un facteur de risque du développement d’une néphropathie diabétique,3,4 bien que cela soit débattu. Deux hypothèses, non exclusives mutuellement, permettent d’expliquer cette hyperfiltration. La première, l’hypothèse vasculaire ou hémodynamique, explique l’hyperfiltration par des facteurs neurohormonaux et vasculaires dont l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Cela a comme conséquence une vasoconstriction artériolaire, localisée principalement au niveau de l’artériole efférente avec augmentation de la pression hydrostatique intraglomérulaire. Dans la seconde, l’hypothèse tubulaire ou feedback tubuloglomérulaire,5 il y a, en raison de l’hyperglycémie, une augmentation de l’activité et du nombre de cotransporteurs SGLT2 et ainsi une augmentation de la réabsorption de Na au niveau du tube proximal. Cela a comme conséquence une diminution de la quantité de Na arrivant au niveau de la macula densa (tubule distal), ce qui est interprété comme une diminution du volume circulant efficace. Une vasodilatation de l’artériole afférente survient alors, entraînant une augmentation du DFG. De plus, la réabsorption exagérée du Na dans le tubule proximal induit une rétention hydrosodée, qui est l’un des mécanismes responsables de l’hypertension artérielle chez les patients diabétiques.2,6
La glucosurie rénale familiale, une maladie tubulaire rénale très rare, est caractérisée par une glucosurie répétée et stable sans autre trouble de la réabsorption tubulaire, un test de tolérance au glucose normal, des taux d’insuline plasmatique normaux et une absorption intestinale normale du glucose.7 Elle est connue depuis près de 100 ans, mais ses mécanismes sous-jacents ont seulement été élucidés au cours des deux dernières décennies. Au début des années 2000, le lien la reliant aux mutations du cotransporteur SGLT2 (identifié dans les années 19901) a été établi.8
Une seule mutation de SGLT2 induit le plus souvent une glucosurie modérée, inférieure à 4 à 10 g/j. En cas de double mutation (homozygote ou hétérozygote double), l’excrétion urinaire de glucose est plus importante, allant de 10 à 180 g/j, et peut être très différente selon le type de mutation.9,10 A ce jour, plus d’une cinquantaine de mutations de SGLT2 ont été identifiées, dont la plupart sont des mutations uniques se retrouvant au sein d’une même famille.10,11
La découverte d’une glucosurie rénale familiale est en général fortuite, les porteurs de mutations de SGLT2 étant souvent asymptomatiques. Bien que la glucosurie induise une perte calorique conséquente (1 g de glucose correspond à 4 kcal), ces personnes ne sont pas plus maigres que la population générale, indiquant que la perte calorique est compensée au niveau alimentaire. Une polyphagie a en effet été mentionnée.12 Quelques cas de retard de croissance et de puberté ont été rapportés.12,13 Le symptôme le plus souvent rencontré est une augmentation de l’incidence des infections urinaires. D’autres symptômes liés à la diurèse osmotique et natriurétique comme l’hypovolémie symptomatique, l’énurésie, la polyurie, et la polydipsie ont été décrits.12
La glucosurie persistante associée à cette maladie ne semble pas avoir d’effet délétère sur la fonction rénale et ne crée pas d’hyperfiltration ni d’albuminurie.12 Cependant, au vu de la rareté de cette maladie et du très faible nombre de rapports de cas faisant état du suivi de ces patients, il est difficile d’être formel quant au pronostic tout à fait bénin.
La description de cette maladie génétique a permis d’imaginer qu’une molécule capable d’inhiber le cotransporteur SGLT2 serait un apport dans le traitement du diabète, en permettant une diminution de l’hyperglycémie tout en favorisant une perte pondérale.
Le premier inhibiteur de SGLT2 est connu depuis plus de 150 ans. Il s’agit de la phlorizine (phloridzine), un flavonoïde présent dans l’écorce de plusieurs arbres fruitiers, dont les pommiers, dont il a été isolé en 1835 par des chimistes français.14 Dans les années 1880, son effet glucosurique a été découvert et la phlorizine était alors considérée comme une molécule reproduisant les manifestations du diabète (glucosurie, polyurie, perte de poids), maladie que l’on pensait être, à l’époque, d’origine rénale.14
Cent ans plus tard, dans les années 1980, cette molécule a été étudiée chez le rat diabétique et s’est montrée efficace pour diminuer l’hyperglycémie et ainsi rétablir la sensibilité à l’insuline.15 La phlorizine, qui inhibe les cotransporteurs SGLT1 et SGLT2, a cependant été abandonnée en raison de sa biodisponibilité orale limitée et de ses effets secondaires digestifs trop importants.
A la fin des années 1990, un dérivé de la phlorizine a été développé au Japon sous le nom de T-1095. Cette substance, testée chez le rat et la souris diabétiques, s’est montrée efficace dans le traitement du diabète avec notamment une diminution de l’hémoglobine glyquée et un retard dans l’apparition de la microalbuminurie.16 Comme la phlorizine, cette substance n’est pas spécifique et inhibe SGLT1 et SGLT2. Cette double inhibition, susceptible de constituer un avantage en termes d’efficacité glucosurique, a mis en cause la sécurité de ce médicament en raison notamment de la présence de SGLT1 au niveau cardiaque.17,18 Son développement a été stoppé en raison de son absence de sélectivité et d’un profil de sécurité insuffisant.
Depuis lors, des inhibiteurs plus spécifiques de SGLT2, appelés gliflozines, ont été développés, dont certains sont commercialisés en Suisse depuis peu. Ces molécules sont des glycosides qui résistent aux bêta-glucosidases gastrointestinales et qui sont absorbés sans modification de leur structure.19 La canagliflozine, Invokana, est commercialisée depuis janvier 2014, la dapagliflozine, Forxiga, depuis août 2014 et l’empagliflozine, Jardiance, depuis novembre 2014.
Les gliflozines peuvent être utilisées en monothérapie ou en association avec d’autres antidiabétiques oraux ou l’insuline.20 Contrairement à tous les autres antidiabétiques, leur effet est indépendant de l’insuline.20
La dapagliflozine peut être utilisée jusqu’à un DFG de 60 ml/min et la canagliflozine et l’empagliflozine jusqu’à un DFG de 45 ml/min. Leur sécurité n’a pas été testée avec des DFG inférieurs. En présence d’une insuffisance rénale, tant la filtration glomérulaire de glucose que celle des gliflozines sont diminuées. L’efficacité glucosurique de ces médicaments est donc moindre puisqu’ils doivent être filtrés pour atteindre leur site d’action.21,22
Les gliflozines induisent une glucosurie de 70 à 100 g/j, ce qui représente environ 280 à 400 kcal/j. Elle permettent :
Les infections des voies génitales sont plus fréquentes, avec un risque augmenté de trois à neuf fois par rapport au groupe placebo, et concernent jusqu’à 9% des patients. L’augmentation des infections urinaires n’est que marginale et n’est pas observée avec toutes les molécules.20
Des symptômes de types polyurie et hypotension orthostatique, liés à la diurèse osmotique et à la diminution de la pression artérielle, ont été constatés.
Une augmentation du risque du cancer de la vessie et du sein a été évoquée et a retardé la commercialisation de la dapagliflozine aux Etats-Unis en 2011.25 La grande majorité des patients diagnostiqués avec un cancer de la vessie présentaient une hématurie préexistante au traitement de dapagliflozine. Le lien entre cancer et gliflozine est donc peu probable mais la prudence est de rigueur, ce d’autant plus que la glucosurie pourrait favoriser une croissance plus rapide des cellules malignes.
L’hypothèse du feedback tubuloglomérulaire pour expliquer le mécanisme de l’hyperfiltration glomérulaire des patients diabétiques permet d’imaginer que les inhibiteurs du cotransporteur SGLT2, en assurant une quantité augmentée de Na au niveau de la macula densa, puissent diminuer l’hyperfiltration secondaire à la vasodilatation de l’artériole afférente. Cherney et coll.26 ont démontré que l’empagliflozine diminue la filtration glomérulaire chez les patients avec un diabète de type 1, probablement par normalisation du feedback tubuloglomérulaire. Cet effet était uniquement présent chez les patients diabétiques avec hyperfiltration et absent chez ceux avec une filtration glomérulaire normale.26 Cet effet favorable sur le stade initial de la néphropathie diabétique doit être confirmé mais apparaît comme prometteur.
Quelques études ont testé l’effet des gliflozines chez le patient diabétique de type 2 avec une insuffisance rénale chronique de stade 3 et ont montré une légère diminution de la protéinurie ainsi qu’une faible diminution du DFG (3 à 4 ml/min), plus importante lors des premières semaines de traitement et qui se stabilise par la suite.21,22 Des études sont en cours pour évaluer le possible effet néphroprotecteur des gliflozines sur la néphropathie diabétique (études CANVAS-R et CREDENCE).
Ces nouveaux médicaments sont très fréquemment utilisés en combinaison avec les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone, qui agissent en contrecarrant les effets neurohormonaux et vasculaires, impliqués dans l’hyperfiltration, et dont l’efficacité sur le ralentissement de la progression de la néphropathie diabétique est bien démontrée. Au vu de leurs mécanismes d’action et d’études chez le rat diabétique,27 on peut s’attendre à un effet néphroprotecteur double. Ces deux classes de médicaments diminuent en effet la pression intraglomérulaire par des mécanismes différents : les gliflozines diminuent la vasodilatation de l’artériole afférente et les bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone favorisent la vasodilatation de l’artériole efférente (figure 3).
En raison de la diminution attendue du DFG, un suivi régulier de la fonction rénale doit être effectué. Il convient d’être encore plus vigilant lors de toute association supplémentaire de médicaments hypotenseurs ou diminuant le DFG (diurétiques, AINS…) et d’événement intercurrent comme des diarrhées.
Les reins ne sont pas seulement une cible des complications du diabète, mais jouent aussi un rôle important dans l’homéostasie glycémique. La découverte des cotransporteurs Na-glucose SGLT2 au niveau tubulaire et de leur impact sur l’hémodynamique rénale a abouti au développement d’une nouvelle classe d’antidiabétiques oraux, les gliflozines. Les avantages indéniables de cette nouvelle classe d’antidiabétiques incluent leur facilité d’utilisation (prise per os d’un comprimé par jour, indépendamment des repas), leur effet bénéfique sur le poids et l’absence de risque d’hypoglycémie (excepté en combinaison avec les sulfonylurées et l’insuline). Un autre effet bénéfique potentiel réside dans la prévention et la progression de la néphropathie diabétique.
Cependant, l’enthousiasme face à ces nouveaux médicaments doit être tempéré par le faible recul dont nous disposons à l’heure actuelle sur leur sécurité. Les résultats d’études de sécurité actuellement en cours et portant notamment sur les événements cardiovasculaires seront à suivre attentivement ces prochaines années.
Un autre point important à garder en mémoire est le fait que ces médicaments permettent une diminution de l’hémoglobine glyquée de 0,5 à 1%, ce qui équivaut à de nombreux autres antidiabétiques et ce qui est inférieur à certains. Ils ne représentent donc pas un traitement unique idéal mais permettront peut-être, en association avec d’autres antidiabétiques, d’atteindre les cibles glycémiques chez une plus grande proportion de patients.
> Les nouveaux antidiabétiques oraux, appelés gliflozines, ont une action indépendante de l’insuline et permettent une diminution de 0,5 à 1% de l’hémoglobine glyquée
> Leurs effets secondaires principaux sont les infections génitales et des symptômes de types polyurie et hypotension orthostatique liés à la diurèse osmotique
> En raison de la diminution du débit de filtration glomérulaire qu’ils occasionnent, un suivi de la fonction rénale est nécessaire, en particulier lorsqu’ils sont utilisés en association avec des médicaments hypotenseurs ou diminuant la filtration glomérulaire
> Ils ont un possible effet néphroprotecteur qui est en cours d’évaluation dans plusieurs études
It has been known for centuries that the kidneys play a role in glucose homeostasis, yet the underlying tubular mechanisms have only been recently identified by studying patients with familial glucosuria. These insights have lead to the commercialization of a novel class of oral antidiabetic agents named gliflozines. Gliflozines induce renal glucosuria by blocking the Na-glucose cotransporter SGLT2, localized in the proximal tubule, and allow a reduction of 0.5 to 1% of glycated hemoglobin. They also diminish proximal sodium reabsorption, and reduce the glomerular hyperfiltration that is often seen in the early stages of diabetes. Preliminary data suggest that they may decrease blood pressure and have renoprotective effects. This article provides an overview of the role of kidneys in glucose homeostasis and the renal effects of SGLT2-inhibitors.