La prévalence de l’insuffisance rénale terminale nécessitant le recours à une technique de remplacement de la fonction rénale ne cesse de croître, en lien notamment avec le vieillissement de la population. Trois méthodes de substitution sont proposables aujourd’hui, chacune ayant ses propres avantages et faiblesses : la transplantation rénale, l’hémodialyse et la dialyse péritonéale. Face à l’incidence élevée de complications associées aux techniques actuelles, à une population toujours moins sédentaire et à un désir croissant de respecter l’environnement, des méthodes alternatives doivent voir le jour. Des nouvelles techniques visant à éviter ces écueils font actuellement l’objet d’une recherche active. L’objectif de cet article est de passer en revue les nouveautés dans ce domaine.
L’insuffisance rénale chronique (IRC) concerne 8-16% de la population mondiale. Chaque année, 0,15-0,2% de celle-ci atteint le stade d’insuffisance rénale terminale (IRT) nécessitant une thérapie de substitution. On compte actuellement environ 2 millions de personnes en dialyse dans le monde, ce qui ne représente que 10% des personnes qui en ont besoin.1 Ce nombre ne cesse de croître avec le vieillissement de la population.
Les techniques d’épuration extrarénale actuellement à disposition sont associées à une morbidité importante, sont contraignantes et perturbent fortement la vie quotidienne. En outre, la quantité de dialyse délivrée reste faible, raison pour laquelle la mortalité des dialysés chroniques reste élevée (environ 10% par année). La méthode de dialyse idéale serait une technique à faible risque de complications, de plus longue durée, laissant toutefois le patient indépendant, écologique, et accessible aux populations rurales et en voie de développement à moindre coût.
La durée du traitement d’hémodialyse n’est malheureusement pas compressible et devrait même être prolongée. Des études récentes ont montré en effet qu’une réduction de celle-ci s’associe à une morbidité et une mortalité supérieures.2
En termes d’écologie, la dialyse est l’un des traitements les plus polluants par les quantités d’eau utilisées, de matériel non recyclable et d’énergie. Le recyclage et les sources d’énergie renouvelables appartiennent aux défis des prochaines années, comme discuté en détail récemment dans cette revue.3
Si la dialyse péritonéale (DP) permet d’optimiser l’indépendance des patients dialysés jusque dans des zones géographiques reculées, celle-ci reste une méthode très contraignante qui nécessite de fréquentes manipulations sous forme d’échanges liquidiens par un cathéter intrapéritonéal.4 Cette méthode génère de plus une quantité considérable de déchets non recyclables.
Si la transplantation rénale représente aujourd’hui la méthode de substitution optimale, elle n’est malheureusement de loin pas accessible à tous. Elle n’est pas non plus épargnée par les complications relatives à la nécessité d’un traitement immunosuppresseur.
Les recherches actuelles se concentrent donc sur une amélioration des techniques existantes, mais aussi et surtout sur une dialyse plus mobile, plus écologique et économique. Dans cet article non exhaustif, nous abordons les thèmes des techniques émergentes, relatives aux accès vasculaires, à de nouvelles méthodes d’épuration. Nous faisons aussi une incursion sur les avancées de la recherche dans le domaine de la bio-ingénierie tissulaire rénale dont l’objectif ambitieux est de construire un rein à partir de cellules souches.
Techniquement, l’hémodialyse consiste à prélever le sang par ponction d’un accès vasculaire, à le dériver par un circuit extracorporel dans un filtre de dialyse où il entre en contact avec un dialysat au travers d’une membrane semi-perméable. Celle-ci permet l’ultrafiltration d’excès d’eau et de sel ainsi que le transfert vers le dialysat, selon le principe de diffusion, des molécules de petit poids moléculaire comme l’urée, la créatinine, le potassium et le phosphore. Le bicarbonate, présent en forte concentration dans le dialysat, diffuse du dialysat vers le sang. Le sang est ensuite restitué au patient (figure 1).
La fistule artério-veineuse est depuis les années 50 la voie d’accès privilégiée pour l’hémodialyse chronique. Lorsque le capital vasculaire ne permet pas sa confection, l’alternative consiste à mettre en place une prothèse artificielle. Cette dernière a l’avantage d’être plus rapidement utilisable. Néanmoins, elle est sujette à des complications fréquentes (sténoses limitant le débit, thromboses, infections) pouvant nécessiter plusieurs reprises chirurgicales ou la rendant parfois non fonctionnelle à long terme.5 Le «syndrome de vol» résultant d’une diminution du flux artériel dans l’extrémité du membre porteur d’une fistule peut parfois survenir. Un vol significatif peut être responsable de douleurs, voire même d’une ischémie critique pouvant conduire dans des rares cas à l’amputation. Enfin, le débit sanguin important dans la fistule (500-3000 ml/min !) induit une augmentation du débit cardiaque pouvant conduire à une cardiopathie dilatée, voire à une décompensation chez des patients souffrant d’une cardiopathie sous-jacente. Une solution intéressante pourrait consister à ne dériver le flux sanguin dans la fistule que durant les séances de dialyse, et de fermer la fistule entre les séances. L’Hemoaccess valve system (Creativasc), actuellement en voie de développement, pourrait remplir ces critères.6 Un système de valve sous forme de deux ballonnets insérés dans la prothèse au niveau des deux anastomoses vasculaires occlut la fistule durant la période inter-dialytique. L’occlusion intervient lorsque les ballonnets sont gonflés par une solution saline, injectée dans un dispositif sous-cutané (figure 2A). Lorsque les ballonnets sont dégonflés, la circulation du sang dans la prothèse permet le piquage pour la dialyse (figure 2B). Une solution d’héparine prévient la thrombose dans la prothèse entre les dialyses. Ce système permettrait donc de diminuer le risque de thrombose et de saignement interdialytique. Ces deux «outcomes» sont actuellement évalués dans une étude pilote.7 Le risque d’infection lié à la présence d’un tel matériel prothétique et celui de sténose liée au traumatisme de la paroi induit par les ballonnets devront aussi être évalués.
Dans les années 60, les chercheurs de la NASA se sont penchés sur une technique permettant la purification de l’eau usée et des effluents humains lors des voyages dans l’espace pour réduire la quantité d’eau à transporter.8 C’est le début du filtre à «sorbents». Cette technique intéresse rapidement les chercheurs en dialyse qui y voient une technique limitant les besoins en eau et augmentant la mobilité des patients en IRT. En effet, l’hémodialyse conventionnelle requiert une importante quantité d’eau, de l’ordre de 500 litres/patient/séance et nécessite un accès à l’eau pendant toute la séance.3 La dialyse par «sorbents» n’a besoin que d’un maximum de 6 litres d’eau en circuit fermé.
L’absorption par sorbents consiste en un processus par lequel une substance liquide ou gazeuse est mise en contact avec un matériau solide et y adhère à sa surface (adsorption) ou pénètre dans la totalité de son volume (absorption). Pour ce qui est de la dialyse à sorbents, le principe est de faire passer le dialysat usé à travers un filtre constitué de quatre couches rapprochées afin d’obtenir une solution purifiée retournant vers le patient (figure 3).8
La première couche est faite de charbon activé. Celui-ci a la propriété d’être très poreux avec une grande surface d’absorption. Les métaux lourds, les oxydants, les chloramines, la créatinine, l’acide urique et d’autres particules organiques y sont absorbés. La deuxième couche est composée d’uréase, enzyme ayant le rôle de catalyser la transformation d’urée ((NH2)2CO) en dioxyde de carbone (CO2) et ammonium (NH3). La troisième couche consiste en du zirconium de phosphate contenant à sa surface du sodium (Na+) et de l’hydrogène (H+) qui sont échangés contre du potassium (K+), du calcium (Ca++), du magnésium (Mg++), des métaux lourds et de l’ammonium (NH3). Enfin, la quatrième couche contient du carbonate et de l’oxyde de zirconium qui adsorbent le phosphate (PO4-), le fluor et les métaux lourds en échange de sodium (Na+), bicarbonate (HCO3-) et d’une petite quantité d’acétate. Le dialysat purifié ainsi obtenu contenant du Na+, H+ et HCO3- est mis en contact avec un bain de dialyse contenant du K+, Ca++, Mg++ et est remis en circulation vers le patient pour un nouveau cycle. Le filtre contient également la capacité de filtrer les bactéries et les cytokines. Cela permet l’obtention d’une eau ultra-pure. Le filtre à sorbents doit être utilisé conjointement avec un filtre d’hémodialyse semi-perméable classique : ainsi, le filtre semi-perméable épurera le sang, et le filtre à sorbents permettra de recycler le dialysat.
La dialyse par sorbents avait été abandonnée au début des années 90 principalement en raison des coûts élevés de la technique, de la libération d’aluminium et de l’augmentation de l’acidité sanguine. Ces deux derniers problèmes sont maintenant contrôlés par l’abandon de l’aluminium et l’équilibre acide-base est mieux contrôlé par l’adaptation de la taille du filtre. Le défi actuel est de trouver un modèle ergonomique, autogéré par le patient, sécuritaire et équivalent en termes d’efficacité avec la dialyse conventionnelle pour l’appliquer à large échelle et à moindre coût.9 Deux dispositifs portables AWAK (automated wearable artificial kidney) sont en cours d’étude, l’un utilisant la technique de la dialyse péritonéale et l’autre de l’hémodialyse ; d’autres approches sont en développement.
Les études actuelles se penchent sur la réalisation d’une ceinture à porter 24 h/24 contenant un filtre plasmatique et un filtre à sorbents avec une pompe permettant de faire circuler et purifier le sang en continu (figure 4). Cette méthode s’expose à un certain nombre de facteurs limitants. Les principaux sont la gestion de l’anticoagulation pour éviter une obstruction du circuit, le risque d’embolie gazeuse, celui d’hémorragie en cas de déconnexion du circuit et la gestion de l’ultrafiltration.4 A ce jour, des études n’ont concerné que des petits collectifs de patients durant des périodes de 8 h. Des études à plus large échelle et sur 24 h devront être réalisées pour évaluer au mieux l’efficacité, les risques et la gestion de tels dispositifs. En effet, on s’attend à ce qu’une telle méthode, si elle est applicable un jour, nécessite un apprentissage minutieux du patient et sa préparation à la gestion des complications. Plus récemment, certains groupes de recherche s’orientent plutôt vers la dialyse transportable qui permet des dialyses longues à domicile plutôt que des systèmes portés en permanence.
Un modèle actuellement en cours d’étude consiste également en une ceinture portable constituée de deux chambres. La première chambre est connectée au patient par un cathéter abdominal et contient le filtre, la pompe et les batteries. La deuxième contient le filtre à sorbents, une chambre de stockage et un espace pour récupérer l’ultrafiltrat nécessitant un changement quotidien. En présence d’un seul cathéter, le liquide est soit filtré, soit réinjecté au patient, en alternance. Le volume de liquide circulant et recyclé est de 500-1000 ml. Les batteries doivent être rechargées toutes les 24 h. L’un des principaux facteurs déterminant le succès de cette méthode est la taille du filtre à sorbents nécessaire et, en conséquence, le poids (entre 1 et 3 kg), ainsi que la capacité d’absorption avant saturation définitive.10 Tant que ces caractéristiques ne seront pas optimisées, cette méthode ne montrera pas d’avantage face aux techniques de DP conventionnelles. Des essais ont été réalisés chez l’humain et les résultats préliminaires devraient être publiés cette année.
Ces deux modèles répondent à une diminution des besoins énergétiques et des déchets liés à la dialyse mais les principaux points négatifs détaillés ci-dessus les rendent actuellement inférieurs aux techniques de dialyse conventionnelles (tableau 1). Le défi futur consiste donc à améliorer l’ergonomie, la durée des batteries, la sécurité et de tester son application à large échelle.4
La technique de référence pour le remplacement de la fonction rénale reste la transplantation. Aux Etats-Unis, on compte 18 000 transplantations/an et environ 100 000 personnes en attente de greffe. Le temps moyen d’attente est de trois ans minimum, entraînant un taux de mortalité sur liste d’attente entre 5 et 10%.11 Même si, en termes de morbidité et mortalité, la transplantation est nettement supérieure à la dialyse, l’immunosuppression au long cours nécessaire après une transplantation n’est pas sans risque et sans coût. La recherche expérimentale se tourne actuellement vers la réalisation d’un rein artificiel à partir de cellules souches injectées dans un squelette rénal fait d’une matrice décellularisée. Le rein est un organe d’architecture et de fonction complexes, constitué de plus de trente types de cellules différentes. Le défi consiste à trouver la technique permettant une injection de cellules souches se répartissant et se spécialisant afin de recréer le parenchyme et l’endothélium rénal.1 Dans les modèles animaux, un «squelette» solide offrant une niche aux cellules souches est (encore) nécessaire pour créer un rein artificiel. En comparaison, les feuilles d’un arbre ont besoin d’un tronc et des branches. Le squelette biologique utilisé consiste en une matrice extracellulaire (MEC). Celle-ci est constituée d’un réseau fibreux, composé de protéines, glycoprotéines, carbohydrates, qui offre un support structurel et un environnement indispensable pour la différenciation et la régularisation de la fonction cellulaire. La MEC est obtenue à partir d’un organe par l’injection d’un détergent anionique (par exemple : sodium dodecyl sulfate) par l’artère rénale, lequel tue les cellules. La matrice est ensuite rincée à l’eau distillée hypotonique. Les expériences sur les reins de souris et de cochons ont montré, par cette technique, l’obtention d’un squelette rénal dont l’architecture 3D glomérulaire, tubulaire et vasculaire est conservée. Enfin, des facteurs de croissance permettent d’orienter la différenciation. Les premières expériences, datant de 2009, ont consisté à injecter des cellules souches par l’artère rénale et par l’uretère.12 Ces études ont montré une colonisation essentiellement des artères et des glomérules à défaut du réseau tubulaire et veineux. Les cellules injectées montraient une différenciation adéquate correspondant au tissu colonisé. Ces résultats nous montrent que, même si nous sommes encore dans les prémices, l’hypothèse de voir un jour la transplantation d’un rein recréé à partir de cellules souches n’est pas impossible.
Bien que l’hémodialyse intermittente et la dialyse péritonéale aient démontré depuis de nombreuses années leur efficacité pour le remplacement de la fonction rénale chez les patients en IRT, elles n’en restent pas moins associées à un taux de mortalité élevé, sont des méthodes contraignantes pour le quotidien des patients et représentent un coût écologique élevé. La recherche actuelle tente de répondre à une demande croissante d’indépendance, d’économie, d’efficacité et de sécurité. La dialyse équipée d’un filtre à sorbents semble pouvoir correspondre à un tel besoin et devrait apparaître sur le marché dans les prochaines années. Le point-clé sera la réalisation d’un dispositif nécessitant peu d’énergie, ergonomique, permettant une ultrafiltration efficace et garantissant la sécurité des patients pour surpasser les techniques actuelles. Mais ce qui constitue le vrai défi face au besoin croissant d’organe, c’est l’élaboration d’un rein à partir de cellules souches. Même si les premiers essais en laboratoire sur des reins d’animaux sont plutôt encourageants, la complexité architecturale et fonctionnelle du rein lance un défi de taille aux prochaines décennies.
> Le vieillissement de la population s’accompagne d’une augmentation des cas d’insuffisance rénale terminale et donc d’une demande croissante de dialyse
> La dialyse par sorbents semble une alternative intéressante dans le sens d’une méthode moins contraignante et écologique. Elle n’en est encore qu’à un stade de développement
> Le grand défi consiste en la transplantation d’un rein élaboré à partir de cellules souches. La recherche en est actuellement à un stade très préliminaire
> Le système de fistule avec valves pourrait permettre de limiter les complications liées à la présence d’une connexion artério-veineuse permanente chez les patients dialysés
The number of people with end stage kidney failure is increasing worldwide, mainly due to aging of the population. Hence the need for renal replacement therapy is continually expanding. Kidney transplantation, haemodialysis and peritoneal dialysis are currently the gold standard of renal replacement therapy. These three techniques have all their specific advantages and shortcomings. Facing the high complication rate of actual techniques, an increasingly migrant population and the growing desire to respect the environment, alternatives are needed. New techniques that might improve some of these points are in development and will be reviewed in this article.