Il faut parfois savoir se répéter, au risque de lasser : la consommation de tabac est la première cause de mortalité prématurée évitable. Et la cigarette électronique bouleverse les termes de cette vieille équation sanitaire faite d’addiction massive et de fiscalisation de cette addiction. On trouvera ci-après quelques échos, enregistrés au cours du mois de février 2015, en provenance de ce paysage tourmenté en pleine e-révolution.
Entre deux maux, le journaliste choisit généralement le pire. En voici une nouvelle et triste illustration avec une dépêche de l’Agence France-Presse datée du 14 février et mandée de San José, Californie. «La cigarette électronique, un risque d’accoutumance des jeunes à la nicotine». San José où se tient la conférence annuelle de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS). «Les cigarettes électroniques sont très prometteuses comme outil pour aider les fumeurs qui ne parviennent pas à cesser de fumer», y a déclaré, le vendredi 13 février, Wilson Compton, du National Institute on Drug Abuse. Et l’on a redit, à San José, tout ce que l’on peut dire de sensé (ou pas) sur la cigarette électronique comparée au tabagisme. A commencer avec la recherche la plus récente menée sur ce thème par une structure indépendante, la Cochrane Collaboration, dont les résultats ont été publiés en décembre1 – résultats qui concluent que les cigarettes électroniques ont un rôle important à jouer pour aider les fumeurs à réduire leur consommation de tabac ou à cesser de fumer.
A San José, le Pr Roy Harrison, (Université de Birmingham), spécialiste de santé environnementale : «Il y a probablement des bienfaits de santé publique des cigarettes électroniques si elles offrent un moyen aux fumeurs de ne plus consommer de tabac. Et il y a des indications que cela soit le cas. Il y a peu de doute que les cigarettes électroniques soient moins nocives pour le fumeur». Et le Pr Harrison d’ajouter : «si des adolescents qui n’ont jamais fumé de tabac se mettent à utiliser des cigarettes électroniques, cela est profondément préoccupant car ils s’exposent délibérément à la nicotine, une substance provoquant une puissante accoutumance».
Avec des si et quelques conditionnels, on mettrait sans doute Birmingham et San José dans la même bouteille. Et Wilson Compton d’évoquer une récente enquête menée aux Etats-Unis, portant sur plus de 40 000 lycéens, montrant que 8,7% de ceux de 14 ans avaient fumé des cigarettes électroniques le mois précédent. La proportion atteignait 16,2% et 17,1% chez les 16 et 18 ans respectivement. En comparaison, 4% des 14 ans, 7% des 16 ans et 14% parmi les 18 ans avaient fumé des cigarettes de tabac.
Entre deux maux, on peut aussi choisir le moindre. C’est, à San José, ce qu’a fait la pragmatique Deborah Arnott, dirigeante d’Action on Smoking and Health, une solide association antitabac britannique. Mme Arnott a ainsi déclaré : «la nicotine peut effectivement être néfaste pour le cerveau des adolescents et il est préférable qu’ils évitent les cigarettes électroniques. Mais si les adolescents veulent vraiment essayer de fumer, il vaut mieux qu’ils utilisent des cigarettes électroniques, beaucoup moins dangereuses et moins addictives que le tabac. Et elle a ajouté : «Jusqu’à présent au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les taux de tabagisme diminuent plus vite que l’usage des cigarettes électroniques, ce qui ne serait pas le cas si ces dernières étaient vraiment une incitation à fumer du tabac».
C’est le vieux jeu du chat et de la souris. Avec un vrai chat, méchant car affamé : Imperial Tobacco-Seita. Et des petites souris, consommatrices de tabac, mais qui voudraient lui échapper. Soit Imperial Tobacco-Seita qui lance JAI (prononcez Jâaille..) – une cigarette électronique qui sera strictement réservée aux buralistes français.
Et c’est un vieux sage qui connaît la fin de l’histoire, un sage pneumologue qui connaît la fin de l’histoire qui aura eu le mot juste. Le Pr Bertrand Dautzenberg vient de déclarer sur une radio privée : «ce produit a été conçu pour rester fumeur».
Le ballet du chat vient de commencer, les souris ne le savent pas encore. Elles découvriront bientôt cette cigarette électronique, petite et noire, de la taille des cigarettes classiques.2 Les boîtes de deux recharges se vendront au prix de dix euros, vapoteuse jetable, prête à l’emploi, sans le chargement de trois heures. Les souris qui le voudront sauront que le malin «joue la carte de la qualité et revendique l’estampille de la Food and Drug Administration américaine pour les composants fabriqués à Shenzhen, en Chine, ainsi que celle de la MHRA, l’agence de régulation des produits de santé britannique, pour l’assemblage et le remplissage à Liverpool». Les arômes ? Ils seraient élaborés près de la ville parfumée de Grasse et, assure-t-on, validés par les agences sanitaires françaises compétentes.
… le sevrage est aussi difficile pour le tabac que pour les médicaments an-tidépresseurs …
Quelques souris éclairées par la presse économique. Elles y apprendront, qu’en France, cinq cents marques de cigarettes électroniques s’affrontent pour séduire le consommateur. «Or aucune n’est connue» confie Heidi Theys, directeur du développement d’une filiale britannique d’Imperial Tobacco (Gauloises, Ducados, Davidoff). En lançant JAI, le groupe a l’ambition de créer la première marque à forte notoriété et d’accélérer les ventes pour compenser le recul du tabac.
JAI sera proposée au prix de 19 euros pour une boîte contenant deux recharges, deux batteries, un chargeur USB et un étui de voyage. Il n’y a pas, à ce stade, d’autres clients pour la cigarette électronique que les fumeurs de tabac. Les cigarettes électroniques n’en contiennent pas, exception faite de la Ploom de Japan Tobacco.
«Arrêter le tabac du jour au lendemain» ? Est-ce dangereux ? Et si oui, pourquoi ? Certains pensent qu’il vaudrait mieux éviter cette brutalité. C’est du moins la conclusion d’un travail mené par une équipe de chercheurs de l’Université de Copenhague, dirigée par Paul Cumming – travail dont on peut voir depuis peu le résumé dans le Journal of Cerebral Blood Flow and Metabolism.3 Travail mené auprès de douze fumeurs durant leur premier jour de sevrage. Les chercheurs ont constaté qu’après 12 heures sans tabac, l’oxygénation et le débit sanguin cérébral des participants chutaient en moyenne de 17%. «Les mêmes symptômes sont observés chez les patients atteints de démence», commente le Pr Albert Gjedde, chercheur en neurosciences à l’Université de Copenhague et co-auteur de l’étude.
«Contrairement à ce que l’on pensait, ce n’est pas pour retrouver un effet de bien-être provoqué par la cigarette que les fumeurs retombent dans leur addiction, mais simplement parce que les symptômes de manque sont insupportables, avance le Pr Gjedde. Ce qui expliquerait pourquoi le sevrage est aussi difficile pour le tabac que pour les médicaments antidépresseurs. Ces nouveaux résultats suggèrent qu’il serait plus efficace d’arrêter la cigarette de façon graduelle pour contrer les symptômes de manque.» Ce spécialiste reconnaît toutefois bien volontiers que des études supplémentaires seront nécessaires. Notamment pour déterminer le temps dont a besoin le cerveau d’un ancien fumeur pour retrouver son flux sanguin normal. Des semaines ? Des mois ? A Copenhague on ne se prononce pas. Des années ?
«Un arrêt graduel avec substituts nicotiniques ou cigarettes électroniques est généralement conseillé pour les gens très dépendants», confirme, en France, Jacques Le Houezec, conseiller en santé publique et dépendance tabagique. Il ajoute toutefois aussitôt : «les techniques à adopter pour l’arrêt du tabac se font au cas par cas. Pour certaines personnes, il est plus facile d’arrêter du jour au lendemain».
Dans tous les cas c’est briser ses chaînes. Redevenir libre. Voilà qui peut aider à réussir. Et à tenir le cerveau hors de l’eau.