C’est une nouvelle étape sur le chemin de croix de la reconnaissance de la cigarette électronique comme outil pouvant aider au sevrage du servage qu’est l’addiction au tabac. L’Académie nationale française de médecine vient de s’exprimer sur le sujet. Elle le fait dans un long rapport intitulé «La cigarette électronique permet-elle de sortir la société du tabac ?», rapport signé des Drs Gérard Dubois, Jean-Pierre Goulle et Jean Costentin, membres de cette institution.
«La cigarette électronique inquiète car elle pourrait ne pas être sans danger, être un moyen d’initiation des jeunes à la nicotine, rendre impossible l’application de l’interdiction de fumer du tabac dans les lieux clos et couverts, résument les auteurs. Sa place comme moyen d’arrêt du tabac est en cours d’évaluation. Bien qu’encore partielles, les études indiquent que si la cigarette électronique doit être surveillée et réglementée, elle est aussi une opportunité nouvelle car son développement est accompagné d’une baisse notable du tabagisme en France.»
Au terme de ce rapport, l’Académie fait les recommandations suivantes à l’attention du gouvernement français :
réglementer la fabrication et la distribution de l’e-cigarette (et produits apparentés) afin d’en assurer la sûreté et la fiabilité (norme AFNOR) ;
ne pas dissuader les fumeurs qui l’utilisent et favoriser l’émergence d’une e-cigarette «médicament» pour des produits revendiquant un effet bénéfique pour la santé et mis à la disposition des fumeurs qui désirent évoluer vers l’abstinence par le circuit pharmaceutique ;
maintenir et assurer l’application de l’interdiction de vente aux mineurs, de son usage en public partout où il est interdit de fumer du tabac ;
en interdire toute publicité et promotion, sauf dans son utilisation comme méthode d’arrêt si celle-ci est reconnue.
On retiendra, pour l’heure, cette recommandation : «les e-cigarettes devraient être mises à disposition des fumeurs qui désirent évoluer vers l’abstinence». Comment mieux dire la dimension sanitaire de cet instrument aux yeux de ces sages dont la mission est de guider les autorités sanitaires et le gouvernement français ? Et au risque de ne pas être comprise par une majorité des vapoteurs, l’Académie est dans sa logique lorsqu’elle recommande de «favoriser l’émergence d’une e-cigarette "médicament"».
On sait que la cigarette électronique n’est recommandée par aucune organisation ou institution sanitaire (à commencer par l’Organisation mondiale de la santé). Pour autant, un consensus général prévaut : sa toxicité est beaucoup moins forte que celle du tabac et son utilisation chez un fumeur qui a commencé à vapoter et qui veut s’arrêter de fumer ne doit pas être découragée.
«Une incitation forte devrait être faite pour que ce dispositif soit mis au service de l’instauration de l’abstinence, estime aujourd’hui l’Académie nationale française de médecine. D’éventuelles recharges contenant des concentrations de nicotine supérieures à 20 mg/ml ou revendiquant un effet bénéfique à la santé (aucune n’est actuellement sur le marché) devraient avoir le statut de médicament et disposer d’une AMM avec procédure simplifiée. En effet, il s’agit d’une variante du spray de nicotine déjà sur le marché. Le statut de médicament permettrait à l’assurance-maladie de l’inclure dans le forfait de prise en charge du sevrage tabagique. Dans le cadre de l’éducation thérapeutique, une dispensation officinale pourrait être organisée.»
Les mesures efficaces traditionnelles contre le tabac font l’objet d’un tel consensus scientifique qu’elles sont réunies dans un traité international (la Convention Cadre de Lutte Anti Tabac ou CCLAT) ratifié par de nombreux pays – dont la France dès 2004. Cette Convention repose sur différentes mesures fortes : interdiction de la publicité, augmentation dissuasive et répétée des taxes, protection des non-fumeurs, éducation et aide à l’arrêt de la consommation.
C’est dans ce contexte que la cigarette électronique ou e-cigarette a fait une entrée remarquée en 2012. Elle a modifié et continue de modifier le paysage de la lutte contre le tabagisme. Cette e-cigarette peut-elle aider une démarche de réduction des doses vers l’abstinence nicotinique ? «Si l’usage de l’e-cigarette provoque un throat hit apprécié des fumeurs, il entretient aussi leur gestuelle et permet donc l’inhalation de nicotine, écrivent les auteurs. Avec une cigarette classique, la nicotine parvient au cerveau en 7 secondes et sa concentration plasmatique dépasse 26 ng/ml en moins de 10 minutes. L’e-cigarette conduit à un passage moins rapide de la nicotine vers le cerveau. Avec les e-cigarettes de deuxième et troisième générations, la délivrance de la nicotine se rapproche désormais de celle obtenue avec une cigarette traditionnelle mais les bouffées restent plus étalées au cours de la journée.»
Qu’en est-il de la question «cigarette électronique versus traitement par substitution nicotinique» ? Un rapport 1 remis en mai 2013 au ministre français en charge de la Santé faisait le point sur le sujet. L’accord semble général pour dire que ce produit est moins dangereux que la cigarette traditionnelle. Une méta-analyse 2 sur treize études (dont deux contrôlées et randomisées) montre que la cigarette électronique avec nicotine a deux fois plus de chance de conduire à un arrêt complet d’au moins six mois que celle sans nicotine (risque relatif, RR = 2,29 ; intervalle de confiance, IC 95% : 1,05-4,96) ; davantage de fumeurs avaient réduit d’au moins 50% leur consommation (RR = 1,31 ; IC 95% : 1,02-1,68). Sur ce dernier point, l’e-cigarette fait mieux que les timbres à la nicotine (RR = 1,41 ; IC 95% : 1,20-1,67).
«Aucun événement indésirable grave n’a été décrit dans ces études, concluent les auteurs. Ces résultats sur de faibles effectifs demandent à être confirmés». «L’e-cigarette n’est aujourd’hui recommandée par aucune organisation officielle, ajoutent-ils. Une incitation forte devrait être faite pour que ce dispositif soit mis au service de l’instauration de l’abstinence. D’éventuelles recharges contenant des concentrations de nicotine supérieures à 20 mg/ml ou revendiquant un effet bénéfique à la santé devraient avoir le statut de médicament et disposer d’une AMM.»
Au final, selon eux, il faut retenir qu’en 2015 la cigarette électronique contribue à aider les fumeurs qui l’ont adoptée à se libérer du tabac.
Nous avons fait lire le texte des académiciens français au Pr Jean-François Etter, Institute of Global Health, Faculté de médecine, Université de Genève. «Les auteurs écrivent que la cigarette électronique pourrait être un moyen d’initiation des jeunes à la nicotine et rendre impossible l’application de l’interdiction de fumer du tabac dans les lieux clos et couverts. Ils reprennent ici des critiques habituelles qui ne sont pas scientifiquement fondées. Ils souhaitent d’autre part favoriser l’émergence d’une e-cigarette "médicament". Or le Parlement de l’Union européenne a justement refusé cette idée : ce n’est pas un médicament, et pourquoi faudrait-il tout médicaliser ? Enfin ils prônent l’interdiction de vente aux mineurs, celle de son usage en public et partout où il est interdit de fumer du tabac. Cela ne me semble pas justifié et, en toute hypothèse, disproportionné. Il en va de même, selon moi pour ce qui est "d’interdire toute publicité et promotion". Cela serait contraire à la santé publique en ayant pour effet de diminuer le nombre de fumeurs de tabac qui switchent.»