Toutes les avancées thérapeutiques n’empruntent pas la voie, royale, de la publication dans une revue prestigieuse. Pour mille et une raisons, nombre de grandes premières chirurgicales échappent souvent à ce processus. C’est le cas de la spectaculaire première transplantation pénienne sud-africaine. D’autres avancées sont plus modestes qui tentent, après les gros titres plus ou moins assassins, de cerner ce qu’il en est d’une innocuité médicamenteuse. C’est le cas, aujourd’hui, du risque de suicide sous varénicline.
Parce qu’elle fait amplement fantasmer, l’affaire a été largement reprise dans de nombreux médias d’information générale. Elle a aussi, ici et là, été amplifiée, déformée. Faute de disposer (déjà) d’une publication scientifique, on ne peut qu’en rester aux faits tels qu’ils ont été rapportés, notamment par la BBC.1 Une équipe chirurgicale sud-africaine vient de rapporter publiquement être parvenue à réussir une greffe de pénis. Il s’agirait, selon ses auteurs, d’une première mondiale. D’autres voix se lèvent pour dire que ce n’est qu’une première africaine. De fait, une bibliographie fait état d’une première chinoise. C’était en 2006, dans European Urology.2 Soit un homme de 44 ans chez qui on avait pratiqué, avec succès semblait-il, une greffe du pénis et qui, quatorze jours plus tard, en a subi l’ablation pour des raisons psychologiques.
Les faits remontaient au mois de septembre 2005, lorsque le Pr Weilie Hu et son équipe (Department of Urology, Guangzhou General Hospital of Guangzhou Military Command) décidèrent de pratiquer ce qui était alors la première allogreffe (connue) de pénis. Le greffon immuno-compatible avait été prélevé sur le corps d’un homme de 22 ans en état de mort cérébrale. Le greffé était mutilé depuis un accident de la circulation automobile survenu huit mois auparavant. «Au quatorzième jour postopératoire, en raison de sévères problèmes psychologiques du bénéficiaire de la greffe et de sa femme, le pénis transplanté a dû être retiré, à notre grand regret, rapportera l’équipe chirurgicale chinoise. L’analyse anatomique a confirmé qu’il n’y avait eu aucune réaction de rejet.»
Dans un éditorial de la revue,3 le professeur Jean-Michel Dubernard, alors chef du Département des greffes de l’hôpital Edouard-Herriot de Lyon, revint sur les difficultés liées aux greffes d’organes composites (mains, face, pénis). «Je n’ose pas imaginer quelles auraient été les réactions des professionnels médicaux, des spécialistes de l’éthique et des médias si une équipe chirurgicale européenne avait réalisé la même opération», ironisait-il alors auprès du quotidien Le Figaro. Il expliquait par ailleurs que les chirurgiens chinois en question étaient connus pour la qualité de leur travail. «Rien n’empêche, estimait-il, que cette greffe puisse être fonctionnelle.»
«En cas d’émasculation, des autogreffes peuvent être parfois effectuées ou encore des reconstructions, soulignait pour sa part le Pr François Richard, chef du Service d’urologie du groupe hospitalier parisien de la Pitié-Salpêtrière. Les greffes de pénis avec donneur ne posent sans doute pas de problème technique mais des questions psychologiques majeures.» «Quoi qu’il en soit, les greffes de pénis ne connaîtront sans doute pas un grand développement, l’organe ne pouvant être réduit à sa fonction, mais s’inscrivant dans toute une symbolique identitaire » prophétisait Le Figaro.
Est-ce si sûr ? La demande est plus importante que l’on pourrait l’imaginer. L’intervention sud-africaine a été pratiquée en décembre dernier par des spécialistes de l’Université de Stellenbosch et de l’Hôpital Tygerberg. Elle a duré près de neuf heures. Le greffon avait été prélevé sur un cadavre, toutes les règles éthiques ayant été respectées. L’un des chirurgiens, le Dr Andre van der Merwe, spécialistes des transplantations rénales, a déclaré à la BBC les difficultés rencontrées, tenant notamment au diamètre des vaisseaux sanguins.
Le receveur, âgé de 21 ans et dont l’identité n’a pas été révélée, avait été victime d’une infection gravissime survenue au décours d’une circoncision et nécessitant l’ablation pénienne. Les médecins sud-africains ont fait état de la satisfaction de leur patient. Ces mêmes médecins ont également évoqué les difficultés éthiques inhérentes à leur geste. Geste certes salvateur mais qui ne revêtait pas un caractère vital au même titre que les autres transplantations d’organes. Il fallait, une nouvelle fois, compter avec l’impact psychologique et social considérable de cette mutilation. La France avait connu ces discussions éthiques lors des premières greffes de membres et de faces effectuées sous la direction, notamment, du Pr Jean-Michel Dubernard. Ce sont d’ailleurs les techniques développées lors de ces premières tentatives qui ont pour partie été utilisées en Afrique du Sud.
La circoncision – rituelle – du receveur avait été pratiquée quand il avait 18 ans, et donc déjà sexuellement actif. L’ablation-mutilation qui avait suivi avait concerné la quasi-totalité de son pénis. Le jeune homme a été informé des contraintes concernant le traitement immunosuppresseur qu’il devra suivre. Ses sensations antérieures ne sont pas pleinement revenues mais il peut néanmoins uriner, avoir des érections et atteindre l’orgasme. Les chirurgiens estiment qu’une période de deux ans sera a priori nécessaire pour qu’il retrouve la plénitude de ses fonctions.
Mais la première sud-africaine permet de lever le voile sur une réalité méconnue. L’équipe médico-chirurgicale (qui a attendu trois mois pleins avant de communiquer) souligne les besoins (méconnus) qui peuvent exister dans ce domaine, partout où la pratique de la circoncision n’est pas effectuée dans le respect absolu des règles hygiéniques. D’autres tentatives sont attendues à court terme.
L’étude est publiée dans le British Medical Journal.4 Elle conclut que la varénicline n’est pas associée à un risque suicidaire. Avec son corollaire : dans le sevrage tabagique, le rapport bénéfice/risque de cette molécule redeviendrait favorable. C’est la première fois qu’une large méta-analyse internationale a évalué les effets neuropsychiatriques de la varénicline, un médicament indiqué (de différentes manières selon les pays) dans le cadre d’un sevrage tabagique. Ce travail aura, au final, été mené sur une cohorte de 10 761 personnes avant participé à l’une ou l’autre de 39 études. L’équipe, dirigée par Kyla H. Thomas, (School of Social and Community Medicine, University of Bristol), a ainsi établi des comparaisons entre 5817 patients prenant une dose maximale de varénicline (1 mgx2/j) à 4944 personnes sous placebo.
Les chercheurs britanniques expliquent ne pas avoir mis en évidence de risque augmenté de tentatives de suicide, de dépressions ou de décès – et ce quels que soient l’âge, le sexe, l’ethnie, le tabagisme ou les antécédents psychiatriques. Et la nature des sponsors finançant les études (industries pharmaceutiques ou autres) ne semble pas jouer sur les résultats des différentes études. Les risques, déjà connus, de troubles du sommeil, d’insomnies et de fatigue ont été remis en lumière. Par ailleurs, la prise de varénicline a selon les auteurs permis de confirmer son efficacité quant au risque d’anxiété.
«Cette étude qui constitue à ce jour la plus importante évaluation des effets secondaires de la varénicline devrait contribuer à rassurer aussi bien les utilisateurs que les prescripteurs», a conclu Kyla Thomas. Il restera à comprendre les raisons qui avaient conduit à des conclusions contraires et, de ce fait, à une réduction du champ des indications en matière de sevrage tabagique.