Pseudomonas aeruginosa (PA) est un bâtonnet Gram négatif omniprésent, avec des sources de contamination humaine multiples, qui peut être responsable d’infections graves. L’apparition de PA dans des plaies chroniques est un problème de grande actualité. Le PA présente une résistance naturelle à de nombreux traitements antibiotiques, sans premier choix universellement reconnu. Dans le cadre des ulcères chroniques avec une évolution défavorable, le clinicien doit s’orienter vers la prescription d’un antibiotique par voie intraveineuse selon l’antibiogramme, et ceci en milieu hospitalier. Cependant, la littérature reste très pauvre dans ce contexte particulier des ulcères, et nous nous basons sur notre expérience dans le service de dermatologie pour la prise en charge des ulcères chroniques infectés par le PA.
Pseudomonas aeruginosa est un bâtonnet Gram négatif non fermentatif omniprésent, saphrophyte des environnements humides (eau et sol) avec des sources de contamination humaine multiples (douches, robinets) (figure 1).1 Le nom aeruginosa (rouille de cuivre) correspond à la couleur verdâtre objectivée cliniquement sur les ulcères infectés par ce germe (figure 2). Des facteurs virulents abondants sont produits par le PA. Les flagelles et les pili de type 4 assurent l’adhésion aux épithéliums.2 Ces appendices de la surface bactérienne développent une action très inflammatoire avec les lipopolysaccharides. Lors du contact avec l’épithélium de l’hôte, le système de sécrétion type 3 (SST3) peut être activé avec éventuellement injection directe des toxines dans la cellule de l’hôte.3 Les protéases arrivent à pénétrer des jonctions serrées entre les épithéliums ayant comme résultat la diffusion des bactéries, les lipases ciblent les lipides de la membrane cellulaire de l’hôte, la pyocyanine interfère avec les voies de transport d’électrons de la cellule hôte, et la pyoverdine capte les ions de fer à travers la membrane épithéliale pour permettre un avantage concurrentiel dans un environnement où le fer libre est rare.4,5
Le PA, rarement considéré comme agent pathogène auparavant, a évolué au cours des dernières décennies pour devenir l’un des micro-organismes les plus souvent impliqués dans les infections nosocomiales. Deux grandes études l’ont identifié parmi les bactéries les plus souvent responsables des infections intranosocomiales.6,7
Les manifestations cutanées du PA varient entre superficielles et profondes, et peuvent concerner l’individu sain ainsi que l’immunosupprimé. Les infections primaires cutanées se produisent typiquement chez l’individu sain, et certaines d’entre elles peuvent disparaître spontanément. Celles-ci comprennent le syndrome des ongles verts, les infections interdigitales, les folliculites et les otites externes. En revanche, la bactériémie à PA est une complication menaçante avec des lésions cutanées de morphologie caractéristique, notamment des nodules sous-cutanés, un ecthyma gangrenosum et une cellulite gangréneuse.8
En général, la majorité des infections cutanées et des tissus mous sont provoquées par des pathogènes Gram positifs tels que les streptocoques bêta-hémolytiques ou les staphylocoques dorés. Souvent, le pathogène reste inconnu parce que la plupart des dermohypodermites ne bénéficient pas de ponction cutanée directe et l’incidence des bactériémies associées est basse ; autour de 2 à 5%. Les pathogènes Gram négatifs sont plus fréquemment identifiés sur les ulcères des patients immunosupprimés et/ou qui ont été traités au préalable par des antibiotiques de la classe des bêtalactamines tels que les pénicillines ou les céphalosporines. Dans ce dernier groupe, la présence de ces germes Gram négatifs non fermentatifs, dont le PA fait partie, pourrait donc être due à la sélection sous antibiotiques. Ainsi, il n’est pas surprenant que le PA soit fréquemment identifié sur les ulcères cutanés de décubitus, diabétiques, d’origines veineuse, artérielle ou mixte.9 L’étude «SENTRY» avait identifié le PA comme une cause principale d’infections de la peau et des tissus mous en Amérique du Nord, Amérique Latine et en Europe entre 1998 et 2004, responsable de plus de 10% de ces infections.
Les infections cutanées à PA survenant chez le sujet sain sont en général de bon pronostic. Cependant, si elles atteignent un sujet fragile ou immunosupprimé, une éventuelle dissémination peut être à l’origine de septicémies. Quant aux ulcères cutanés chroniques, la prolifération des germes est induite par la rupture de la barrière cutanée et la macération. En général, la plaie se colonise en premier lieu par des streptocoques et des staphylocoques dorés et dans un deuxième temps par les bacilles Gram négatifs tels que le PA.
Les infections à PA sont souvent difficiles à diagnostiquer, puisque la présence du PA à différentes localisations du corps peut simplement témoigner d’une colonisation, à l’exception des hémocultures. L’apparition des symptômes généraux avec état fébrile et baisse de l’état général ainsi que l’apparition d’un syndrome inflammatoire biologique chez un patient présentant une plaie d’évolution défavorable sont des signes de dissémination d’une surinfection locale à pathogène déjà identifié localement (un PA isolé sur frottis d’ulcère purulent par exemple) ou de la pénétration d’un streptocoque et/ou d’un staphylocoque à la faveur de l’inflammation locale et de brèches profondes.
La résistance antibactérienne est le problème majeur pour le traitement des infections à PA. Le PA peut présenter la plus forte incidence de résistance parmi toutes les bactéries.10 Intrinsèquement, il est résistant à de nombreux bêtalactames en raison de sa AmpC bêtalactamase.11 Il peut également acquérir un certain nombre de mutations et de plasmides grâce auxquels les antibactériens ciblés sont contournés. Il s’agit, notamment, de l’agrégation de bêtalactamases, de la régulation augmentée de pompes d’efflux de multiples médicaments, des mutations qui diminuent la perméabilité de la membrane externe à certains agents antibactériens, et de l’altération de cibles pharmaceutiques qui les rendent inefficaces.12 L’étendue de la résistance est illustrée dans une étude concernant les ulcères des membres inferieurs infectés par des PA, résistant aux fluoroquinolones : la résistance a passé de 19% en 1992 à 56% en 2001.13 Il est important de noter que certains agents antibactériens sont plus sujets que d’autres à développer une résistance, conduisant à des échecs thérapeutiques. Carmeli et coll. ont signalé que l’imipénème possède un rapport de risque ajusté pour le développement d’une résistance de 2,8, comparé à 0,7 pour la ceftazidime, 0,8 pour la ciprofloxacine et 1,7 pour la pipéracilline.14
Puisque il n’existe pas de directives acceptées ou de consensus largement reconnu sur la gestion des infections à PA, nous résumerons ici notre approche, basée sur l’expérience clinique, et selon les données publiées limitées sur cette question (figure 3).15
Les questions qui se posent sont les suivantes : traite-ton tous les ulcères cutanés et des tissus mous de la même façon, et quels facteurs influencent la prise en charge ?
L’élément clinique primordial qui définit l’introduction ou pas d’un traitement antibiotique est la présence de signes d’infection de tissus sous-jacents (érythème, abcès, œdème et chaleur du membre). Trois situations de prise en charge sont classiquement rencontrées (figure 4).
La mise en évidence précoce d’une colonisation de la peau et des tissus mous par P. aeruginosa a une importance primordiale car elle oriente le diagnostic des complications et leur prise en charge. Une dermohypodermite, voire une septicémie à point de départ cutané, devront être traitées de façon très ciblée selon l’antibiogramme et le contexte général. Souvent, en l’absence de signes cliniques d’infection des tissus mous sous-jacents chez le sujet immunocompétent, un traitement antibiotique n’est pas nécessaire et les soins locaux suffisent pour la guérison, car la colonisation de la plaie peut simplement être liée au caractère ubiquitaire de P. aeruginosa. Au vu de sa pathogénécité complexe et des résistances croissantes aux antibiotiques, toute infection à P. aeruginosa devra bénéficier d’un avis spécialisé.
> Un traitement antibiotique n’est pas nécessaire chez les sujets immunocompétents en l’absence de signes cliniques d’infection des tissus mous sous-jacents
> L’obstacle majeur au traitement des infections cutanées à P. aeruginosa est la résistance aux antibiotiques
> L’infection et la colonisation doivent être distinguées. Seule l’infection doit être traitée de façon ciblée selon l’antibiogramme
Pseudomonas aeruginosa (PA) is a Gram-negative germ, responsible for severe infections. PA infected chronic wounds are a clinically highly relevant topic. PA has a natural resistance to many antibiotics, and there is no consensus on a first-line antibiotic to be used. In the context of chronic ulcers with an unfavorable evolution, we suggest intravenous antibiotic therapy, ideally on an in-patient basis. Given the sparse evidence from clinical trials, we heavily rely on clinical experience when it comes to managing chronic ulcers infected with PA.