Le virus Ebola Zaïre (EBOV) est identifié pour la première fois en 1976 au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo – RDC) près de la rivière Ebola dont il tire son nom. L’épidémie touche 318 personnes, s’accompagne de symptômes hémorragiques, avec une mortalité de près de 90%.1 La même année, une espèce distincte de virus fait 151 morts au Soudan.2 Depuis sa découverte, le virus a été à l’origine de 24 épidémies recensées, pour la plupart limitées en Afrique Centrale, avec au total 2405 cas.3
En contraste, l’épidémie de maladie à virus Ebola (MVE) qui sévit actuellement en Afrique de l’Ouest a touché en une année plus de 23 000 personnes et fait près de 10 000 morts (figure 1).4 Cette épidémie est due à un nouveau variant EBOV ayant quelque peu divergé de ses ancêtres centre-africains autour de 2004.5 Tout a commencé en décembre 2013, dans le village de Méliandou de la province de Guéckédou, en Guinée, où le cas index suspecté serait un enfant de deux ans.6 Il aura fallu trois mois pour que l’épidémie soit reconnue. La MVE a rapidement franchi les frontières pour s’étendre au Liberia adjacent dès mars 2014, puis à la Sierra Leone au mois d’avril. Le virus a également atteint d’autres pays, qui sont parvenus à contenir l’épidémie : le Nigéria, où il a atteint vingt personnes et causé huit décès, le Sénégal où un seul cas a été recensé, et le Mali (8 cas, 6 morts). Au mois de septembre 2014, un voyageur en provenance du Liberia est le premier patient diagnostiqué hors d’Afrique aux Etats-Unis. Il contaminera les deux infirmières qui l’ont pris en charge. L’Espagne compte elle aussi une transmission nosocomiale à une aide-soignante ayant été en contact avec un missionnaire infecté rapatrié à Madrid.7 En octobre 2014, un médecin américain de retour de mission humanitaire développe les symptômes de la maladie à New York et en décembre, une infirmière anglaise de retour de Sierra Leone est hospitalisée après confirmation du diagnostic au Royaume-Uni.
On compte à ce jour 24 patients évacués ou traités dans différents hôpitaux universitaires d’Europe ou des Etats-Unis.8-10
Une seconde épidémie synchrone émerge de juillet à octobre 2014 en RDC, touchant 66 patients et responsable de 49 morts.11 Le séquençage permet de confirmer qu’il s’agit d’un virus quasiment identique aux variants de l’épidémie de 1995 à Kikwit en RDC, et proche mais qui se distingue de celui d’Afrique de l’Ouest, avec lequel il partage néanmoins 97% de son génome.
Le virus Ebola fait partie de la famille des Filovirus, et du genre Ebolavirus. Il en existe cinq espèces : Ebola virus Zaïre (EBOV), Ebola virus Soudan (SUDV) et Ebola virus Bundibugyo (BDBV) ont un taux de mortalité allant de 25 à 90% ; le virus Reston (RESTV) n’est pas pathogène chez l’homme, et le virus Ebola Forêt de Thaï (TAFV) n’a été isolé que chez une seule patiente, (Suisse), qui a survécu.
Ebola est un grand virus filamenteux, dont la taille moyenne est de 1000 nm.12 Son génome à ARN simple brin à polarité négative de19 kB, code pour sept protéines : les protéines de matrice : VP40 et VP24, le complexe de réplication VP35 et sa polymérase L, les protéines nucléaires NP et VP30, ainsi que la glycoprotéine GP (figure 2). Le virus est relativement fragile. Même s’il est capable de survivre dans un milieu liquide jusqu’à 46 jours,13 il est très sensible aux solutions hydro-alcooliques ou chlorées, à l’éthanol, ou aux UV.14
La MVE est une zoonose, dont le réservoir le plus probable est les chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae.15 Elle se transmet à l’homme lorsqu’il est exposé au virus par contact de ses muqueuses avec des sécrétions infectées de chauves-souris, lors de la chasse ou de préparation de viande de singe contaminée (figure 3).
La transmission interhumaine a lieu par contact avec les fluides corporels infectés : le sang, l’urine, les selles, les vomissements, les larmes, la sueur, la salive, le sperme, les sécrétions vaginales ou encore le lait maternel sont tous considérés comme infectieux.16-19 Des transmissions sexuelles sont suspectées, et du virus infectieux a été retrouvé jusqu’à 82 jours après l’apparition des symptômes dans le sperme de convalescents.20 Les cadavres de patients décédés sont hautement contaminants, participant à une transmission importante, lors des rituels funéraires. A noter qu’un inoculum initial modeste suffit à être létal chez les grands singes. La transmission interhumaine aéroportée n’a jamais été démontrée mais les expérimentations animales suggèrent que cela est possible.21-23 Des particules virales ont été retrouvées lors des autopsies dans les alvéoles pulmonaires,24 et la transmission par gouttelettes infectées est donc plausible.25
Le taux d’infectiosité (Ro) de l’épidémie actuelle sévissant en Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire le nombre de cas secondaires par patient infecté est en moyenne de 1,7.26 Pour comparaison, chaque cas de rougeole entraîne en moyenne entre douze et dix-huit infections secondaires.
Une fois dans l’organisme via une brèche cutanée ou une inoculation d’une muqueuse, oculaire, nasale ou oropharyngée, le virus cible les cellules dendritiques, les monocytes et les macrophages, puis rejoint les organes lymphoïdes, le foie, la rate et les glandes surrénales, où il se réplique (figure 4).27-29
Grâce à sa glycoprotéine de surface, EBOV entre en contact avec la membrane cellulaire puis rejoint le cytoplasme cellulaire par macropinocytose.
Le virus déclenche, en particulier dans les cas mortels, une tempête cytokinique induite par les monocytes et les macrophages responsable d’une fuite capillaire, d’une coagulopathie et de dommages cellulaires.24,30,31 Les cellules dendritiques produisent des chémokines, diminuent leur production de molécules costimulantes et deviennent incapables d’induire la différenciation lymphocytaire. En parallèle, l’apoptose massive des lymphocytes T et des lymphocytes NK, dont le mécanisme reste encore inconnu, participe à la dérégulation de l’immunité cellulaire adaptative. Grâce à certaines protéines spécifiques qui agissent sur les voies complexes de signalisation cellulaire, le virus met en place un système d’échappement immunitaire.32
Le spectre des MVE est large : de pauci-symptomatiques, voire non reconnues médicalement, à très bruyantes, accompagnées dans la moitié des cas lors de cette épidémie de diarrhées importantes, et parfois d’encéphalite. Il existe des évidences en faveur d’infections asymptomatiques :33 dans une petite cohorte de 24 patients, 11 ont développé une réaction immunitaire sans symptôme associé.
Après une période d’incubation entre 2 et 21 jours (10 jours en moyenne), les premiers symptômes34-37 aspécifiques apparaissent : fièvre, céphalées, asthénie, odynodysphagie, myalgies, arthralgies, douleurs abdominales, suivis de nausées et de vomissements ainsi que de diarrhées, parfois profuses jusqu’à 8 litres/jour. Malgré le terme fièvre hémorragique virale, les saignements sont rapportés dans une minorité des cas. Une toux sèche est présente dans 40% des cas.38 Une éruption cutanée est retrouvée chez 3 à 20% des patients, apparaissant aux alentours du cinquième jour et spontanément résolutive. Le hoquet est un facteur de mauvais pronostic.
Le taux de mortalité global de l’épidémie actuelle approche les 60%, et est plus important parmi les membres du personnel de santé, les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans.4
L’évolution fatale s’observe après six à seize jours et est liée à un état de choc hypovolémique, une défaillance multiviscérale, une insuffisance rénale et hépatique ou une coagulopathie intravasculaire disséminée. La guérison chez les survivants coïncide avec l’apparition des anticorps et la négativation de la virémie entre le cinquième et le dixième jour. La convalescence peut être longue, marquée par la persistance d’une fatigue, d’une anorexie, de douleurs abdominales ou encore d’arthralgies et de myalgies. Des complications à plus long terme à types d’arthralgies persistantes, d’uvéite, d’orchite, d’hypoacousie ou de troubles neuropsychologiques ont été décrites.39,40
Le diagnostic différentiel est large avec les pathologies communément rencontrées en Afrique, les symptômes aspécifiques initiaux pouvant mimer une malaria, une fièvre typhoïde, une gastroentérite, une grippe, une leptospirose, ou une autre fièvre hémorragique virale (Lassa, Crimée-Congo, fièvre jaune, dengue).
Sur le plan hématologique, une leucopénie et une thrombopénie initiales sont respectivement suivies d’une leucocytose avec une lymphomonocytose importante et d’une thrombocytose réactionnelles. L’augmentation du PTT (purpura thrombotique thrombopénique), la diminution du TP (taux de prothrombine) et la positivité des D-dimères sont des anomalies classiques, signes de coagulation intravasculaire disséminée.
Les vomissements et les diarrhées profuses engendrent des troubles électrolytiques : hypokaliémie, hypocalcémie, hyponatrémie et insuffisance rénale aiguë avec acidose métabolique. Une cytolyse hépatique est fréquemment observée et parfois associée à une insuffisance hépatique. Les ASAT peuvent atteindre jusqu’à plus de 30 fois la limite supérieure de la norme et sont souvent bien supérieures aux ALAT, ceci dans un contexte de rhabdomyolyse marquée comme en témoigne une élévation des CK pouvant atteindre 8000 U/l. L’élévation de la phosphatase alcaline et de la bilirubine reste modérée. Une augmentation de la CRP accompagnée d’une hyperprotéinémie est classiquement décrite.9,10,37,38,41
Le virus Ebola est un agent pathogène qui nécessite un laboratoire de haute biosécurité (niveau P4 pour la culture virale ou P3+ pour le diagnostic).
Le test de choix est la RT-PCR dans le plasma ou dans le frottis oral pour confirmer le diagnostic post-mortem. On retrouve des virémies jusqu’à plus de 107 copies/ml dès le deuxième jour de la symptomatologie. La charge virale est corrélée à la mortalité, et diminue entre le sixième et le dixième jour de la maladie, parallèlement à l’apparition des anticorps lorsque le patient survit. La détection du virus peut se prolonger dans les urines, le frottis rectal et la sueur, où l’ARN a été mis en évidence respectivement jusqu’à 13, 17 et 23 jours après la négativation de la virémie.8,42 Le virus a été identifié dans le liquide amniotique, le placenta et sur les fœtus, après guérison clinique et biologique de la mère.43
L’isolement du virus par culture virale ou sa visualisation par microscopie électronique sont techniquement difficiles, au regard des mesures de biosécurité nécessaires. Le virus a pu être cultivé dans différents fluides biologiques infectieux : les urines, les larmes, la salive, les sécrétions vaginales et le sperme, parfois longtemps après la guérison.
Des tests rapides reposant sur la détection d’antigène viral sont en cours d’évaluation. Si leur faible coût et leur aspect pratique sont séduisants, leur performance en termes de sensibilité et spécificité reste à confirmer.
La sérologie ELISA permet de détecter les IgM dès le deuxième jour après l’apparition des symptômes, et ce pendant 4 à 24 semaines. Les IgG se positivent une semaine après les IgM et persistent jusqu’à douze ans.40,44
Il n’existe aucun traitement antiviral spécifique de la MVE validé, bien que l’OMS ait proposé dès le mois d’octobre 2014 l’utilisation de produits sanguins provenant de patients guéris.
Le traitement est essentiellement supportif et symptomatique, reposant sur une réhydratation et une rééquilibration électrolytique.
Plusieurs antiviraux spécifiques ont été utilisés à titre compassionnel dans de rares cas en Afrique, en Europe ou aux Etats-Unis,9,10 et plusieurs essais cliniques ont enfin commencé sur le terrain.
Parmi les plus prometteurs, on retrouve les cocktails d’anticorps monoclonaux d’origine murine chimériques ou humanisés (ZMApp),45 dont l’efficacité a été démontrée dans plusieurs études chez les grands singes, et un inhibiteur de la polymérase virale (favipiravir), développé et validé au Japon pour le traitement de la grippe.46 Ce dernier fait l’objet d’une étude sur le terrain, en Guinée, depuis décembre 2014. D’autres stratégies thérapeutiques figurent dans le tableau 1.
Le développement, poussé par l’OMS, d’un vaccin efficace s’est considérablement accéléré au cours de cette année. Deux candidats majeurs ont été testés lors d’essais cliniques de phases I/II à Genève et à Lausanne dans le cadre d’études multicentriques. Le premier est le rVSV-ZEBOV,47 vaccin vivant atténué contenant un virus de la stomatite vésiculaire exprimant la glycoprotéine virale d’EBOV, dont les premiers résultats sont attendus pour début 2015. Le deuxième est le ChimpAdeno3, dont les effets secondaires observés sont bénins, qui confère une réponse anticorps dans 90% des cas à quatre semaines à la plus haute dose testée.48,49 Un essai clinique à grande échelle a commencé en janvier 2015 au Liberia et consiste à tester ces vaccins contre placebo et vise à terme une cohorte de 27 000 volontaires.
En l’absence de traitement spécifique, une importance particulière est donnée aux mesures de contrôle de l’infection. L’isolement et le traitement précoce des patients symptomatiques avec des équipements de protection adaptés, la surveillance des cas contacts, les interventions de prévention dans la communauté et la mise en place d’inhumations dans des conditions sûres ont montré leur efficacité sur la diminution de la transmission de la maladie lors de l’épidémie actuelle.50
La reconnaissance tardive de la MVE, son caractère hautement pathogène, les croyances et coutumes locales, associés à un système de santé défaillant dans des pays aux infrastructures peu développées rendant les interventions plus difficiles, ont participé à la considérable expansion de l’épidémie actuelle sévissant en Afrique de l’Ouest. Le rôle d’éventuels déterminants virologiques est difficile à apprécier. Quoi qu’il en soit, l’agent responsable de cette épidémie inattendue est un variant nouveau, qui semble particulièrement adapté à l’être humain. Une grande partie de la pathogenèse reste à élucider, mais le niveau de biosécurité requis entrave les études. Si l’épidémiologie de ces deux derniers mois révèle une accalmie rassurante, la fin de cette épidémie demeure incertaine. Les efforts menés sur le terrain ne doivent pas faiblir. Le risque existe que la MVE devienne endémique en Afrique de l’Ouest, dû à la circulation du virus dans la région. Bien que le virus Ebola soit un virus génétiquement stable, de nouveaux variants introduits par la faune locale pourraient surgir. Dans ce contexte, et pour éviter une nouvelle crise de si grande ampleur, le développement et la validation d’un traitement efficace sont précieux, et le développement d’un vaccin immunogène et sûr reste indispensable.
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche extensive dans PubMed comprenant la période allant de 1976 à février 2015, sans distinction de langue. Les mots-clés utilisés ont été «Ebolavirus disease», «epidemiology», «clinical manifestations», «laboratory findings», «pathology», «diagnosis», «treatment», «vaccine», «antiviral», «complications» dans différentes combinaisons. Les articles ont été inclus dans la liste des références s’ils présentaient un intérêt particulier pour chacune des sections principales de la revue.
> La prise en charge de la maladie à virus Ebola (MVE) requiert des infrastructures contraignantes : le diagnostic de la MVE ne peut être effectué que dans un laboratoire de haute biosécurité, et un isolement strict et des mesures de protection du personnel maximales sont nécessaires pour les soins du malade
> La pathogenèse et la nature précise de certaines complications de la MVE demeurent incomplètement connues, ce qui entrave la prise en charge optimale des patients
> En revanche, l’ampleur de l’épidémie actuelle a permis d’accélérer le développement de stratégies préventives et thérapeutiques : deux vaccins sont actuellement étudiés sur le terrain, et des traitements antiviraux tels que les anticorps monoclonaux et le favipiravir semblent prometteurs
> Malgré la diminution du nombre de nouveaux cas de MVE en Afrique de l’Ouest, la vigilance doit rester de vigueur, l’épidémie n’étant pas contrôlée tant que le nombre de personnes infectées est supérieur à zéro