Les Amériques sont désormais officiellement la première «région» du monde à avoir éradiqué la rubéole. Une infection que le monde anglophone prend un malin plaisir à désigner comme la German measles. L’information a été donnée mercredi 29 avril par Carissa F. Etienne, directrice de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS). «L’élimination de la rubéole des Amériques est un succès historique qui reflète la volonté collective des pays de notre continent de travailler ensemble pour atteindre cet objectif ambitieux de santé publique», a ainsi déclaré Mme Etienne lors d’une conférence de presse.
Les derniers cas de transmission de rubéole et d’enfants nés avec l’infection transmise par la mère sur le continent américain remontent à l’année 2009. Le virus rubéoleux continue à circuler dans d’autres parties du monde et des cas isolés d’infection importés continuent à être signalés de temps à autre par certains pays (le Canada, l’Argentine et les Etats-Unis). Pour autant, au regard des règles sanitaires internationales, le continent américain est désormais considéré comme étant débarrassé de ce virus.
Cette éradication est la suite d’une campagne massive de vaccination : on estime à 250 millions le nombre d’adolescents et d’adultes qui ont été vaccinés, dans 32 pays, entre 1998 et 2008. Auparavant, le virus rubéoleux était tout particulièrement présent en Amérique du Sud et dans les Caraïbes – plus de 150 000 cas avaient été diagnostiqués en 1997. Aux Etats-Unis, 20 000 enfants étaient nés infectés durant la dernière grande épidémie de rubéole ayant touché le pays, en 1964-1965.
C’est un ophtalmologiste australien – Sir Norman McAlister Gregg (1892-1966) – qui, au début de la Seconde Guerre mondiale, avait identifié la piste virale, et ce lors d’une épidémie de cataracte congénitale. L’agent pathogène a été isolé en 1962. C’est un virus à ARN, icosaédrique, à enveloppe. Au sein des Togaviridae, il est unique et bien individualisé, ne persiste pas dans l’environnement, s’inactive rapidement dans les selles et ne se transmet pas à distance. Fragile et strictement humain, il est transmis par contacts interhumains directs, le plus souvent respiratoires. Il est décelable dans la gorge des sujets infectés. La période de contagiosité va de 5 à 8 jours avant, à 5 à 8 jours après le début de l’éruption.
Nettement moins contagieuse que la varicelle ou la rougeole, la rubéole est une infection généralement bénigne. Elle se manifeste par une éruption cutanée, une légère fièvre, des nausées et une conjonctivite modérée. L’éruption cutanée (elle survient dans 50 à 80% des cas) débute généralement sur la face et le cou avant de s’étendre au reste du corps et dure d’un à trois jours. Le signe clinique le plus caractéristique de la maladie est l’augmentation du volume des ganglions lymphatiques derrière les oreilles et dans le cou. Les adultes infectés présentent parfois, pendant quelques jours, des douleurs articulaires. Cette infection peut provoquer de graves malformations congénitales lorsque les femmes enceintes sont infectées au début de leur grossesse. Le risque fœtal est d’autant plus grand que l’infection est contractée précocement dans la grossesse. La primo-infection maternelle passe inaperçue dans 50% des cas. L’infection de la mère peut se traduire, chez l’enfant, par un syndrome poly-malformatif associant des atteintes cardiaques, oculaires et auditives.
A la différence du continent américain, le virus de la rubéole continue à circuler sur le Vieux Continent. En France, dans la perspective d’une élimination de la rubéole congénitale, le vaccin antirubéoleux avait été introduit auprès des jeunes filles dès 1970, puis intégré dans le calendrier vaccinal du nourrisson en 1983 – en association avec la rougeole, puis avec les oreillons trois ans plus tard. En 2005, dans le cadre d’un «plan d’élimination de la rougeole et de la rubéole congénitale 2005-2010», de nouvelles mesures vaccinales avaient été préconisées avec notamment un rattrapage de la vaccination triple de toutes les personnes nées après 1980. Ces mesures devaient permettre d’augmenter la couverture vaccinale antirubéoleuse des femmes en âge de procréer.
… moins contagieuse que la varicelle ou la rougeole, la rubéole est une infection généralement bénigne …
Selon les dernières données de l’Institut national français de veille sanitaire, le nombre d’infections rubéoleuses diagnostiquées durant la grossesse a diminué de 80% entre 2001 (39 cas) et 2006 (7 cas). Entre 2007 et 2011, moins de 10 cas d’infections maternelles étaient recensés chaque année. Depuis 2006, le nombre annuel de grossesses interrompues dans un contexte d’infection maternelle est «inférieur à 5», le nombre d’infections congénitales est «inférieur à 5» et le nombre de nouveau-nés atteints de rubéole congénitale malformative (RCM) est «inférieur à 2».
Sur le front de cette lutte antivirale vaccinale, le Vieux Continent peine à imiter les Amériques. En septembre 2010, les Etats membres de la Région européenne de l’OMS s’étaient fixés 2015 comme «nouvelle date butoir pour l’élimination de la rougeole et de la rubéole». «Comme les autorités politiques et l’opinion publique sous-estiment l’utilité de la vaccination, de nombreux programmes nationaux sont menacés, soulignait alors l’OMS. La transmission de la rougeole se poursuit dans les pays d’Europe occidentale et centrale. La réapparition de cas fait écho à de faibles taux de vaccinations dans certains groupes de population et zones géographiques. »
Concernant la rougeole, l’un des pays soulevant le plus de difficultés demeure l’Allemagne où la vaccination est actuellement au centre d’un débat national. «Le principal défi est la négligence observée dans la population à vacciner, accompagnée par des occasions manquées de la part des médecins d’encourager la vaccination, et par les activités d’un groupe de pression efficace contre la vaccination, expliquait, en 2010, le Dr Sabine Reit, directrice adjointe de la Division de la vaccination préventive à l’Institut Robert Koch de Berlin. Nous avons besoin d’une action concertée tant au niveau local qu’au niveau fédéral, ainsi que d’un engagement politique ferme en vue de renforcer la vaccination.»
Le bureau régional pour l’Europe de l’OMS annonçait, il y a cinq ans, que des comités nationaux de vérification de l’élimination de la rougeole et de la rubéole seraient instaurés afin de compiler les informations nécessaires et de les présenter tous les ans à une commission régionale. «Ils continueront à fournir des données pendant au moins trois ans après que la commission régionale aura signalé l’interruption de la transmission endémique de la rougeole et de la rubéole, ajoutait-on alors. Ce n’est qu’à ce moment que l’élimination pourra être déclarée sur le plan régional.» Cette perspective est toujours aussi lointaine. Une situation qui contraste donc désormais officiellement avec celle observée de l’autre côté de l’Atlantique.
«Notre région avait déjà été la première dans le monde à éradiquer la varicelle (en 1971) et la polio (1994), des succès qui montrent l’efficacité de la vaccination et l’importance qu’il y a à rendre les vaccins accessibles même dans les zones les plus isolées de notre continent, vient de souligner la directrice de l’OPS. Désormais, il est temps de nous attaquer à la rougeole.» Cette autre infection virale, plus contagieuse et potentiellement plus dangereuse, est réapparue sur le continent américain en 2010 (notamment en Argentine, sous la forme de cas importés, lorsque des spectateurs de la Coupe du monde de football sont revenus d’Afrique du Sud).
Les Etats-Unis, déclarés exempts de rougeole en 2000, ont vu l’infection réapparaître en 2008 du fait d’une couverture vaccinale insuffisante. Une nouvelle bouffée épidémique est apparue fin 2014, en Californie, dans un «Parc Disney». Plus de cent cinquante cas de rougeole ont été recensés depuis le début de l’année 2015 dans une vingtaine d’Etats américains où la problématique de la vaccination a, du fait du poids des mouvements antivaccinaux, pris une dimension politique.