Les cancers de l’œsophage sont diagnostiqués à un stade précoce dans moins de 10% des cas en Europe. Ce sont des cancers superficiels avec une atteinte limitée à la muqueuse et à la sous-muqueuse. L’envahissement ganglionnaire synchrone (EGS) est le facteur pronostique majeur. La chirurgie de l’œsophage est le traitement de référence. La résection endoscopique est aujourd’hui une alternative thérapeutique curative validée. Elle nécessite auparavant la réalisation d’un bilan endoscopique précis, grâce aux colorations chimiques/virtuelles et à l’échoendoscopie (EE), puis une analyse pathologique experte après exérèse tumorale. Elle doit être réalisée pour les tumeurs de bon pronostic après évaluation de l’EGS (ou du risque d’EGS) puis être suivie d’une surveillance endoscopique régulière afin de détecter les récidives tumorales locales.
Le cancer de l’œsophage est une tumeur digestive rare dont les symptômes surviennent tardivement. Le pronostic du cancer de l’œsophage est sombre, avec une survie à cinq ans (tous stades confondus) estimée à 15-20%.1 Moins de 10% de ces tumeurs sont diagnostiquées à un stade précoce, défini par un envahissement superficiel de la paroi œsophagienne.2 Le cancer superficiel de l’œsophage (CSO) est caractérisé par une profondeur d’envahissement pariétal tumoral (PEPT) limitée à la muqueuse ou à la sous-muqueuse. Le pronostic de ces tumeurs est excellent, avec une survie estimée à 90% à cinq ans.3 La chirurgie carcinologique œsophagienne curative a longtemps été le seul traitement de référence mais des alternatives thérapeutiques, principalement endoscopiques, moins invasives et avec un risque beaucoup plus faible de morbi-mortalité périopératoire, peuvent être proposées chez des patients très sélectionnés.
Le cancer de l’œsophage est le huitième cancer le plus fréquemment diagnostiqué (456 000 nouveaux cas par an) et la sixième cause de décès par cancer (400 000 décès/an) au niveau mondial.4 En Suisse, 603 cas ont été diagnostiqués en 2012 (346 en 2002) pour 434 décès (295 en 2002). Il existe deux types histologiques bien distincts : l’adénocarcinome (ADC) et le carcinome épidermoïde (CE). Le CE représente 90% des cas au niveau mondial et moins de 50% dans les pays industrialisés. L’ADC se développe sur un endobrachyœsophage (EBO) ou muqueuse de Barrett dans un contexte de reflux gastro-œsophagien (RGO). Le temps de transition entre l’EBO et l’apparition d’une lésion dysplasique de haut grade est de dix ans. Depuis le début des années 90, l’incidence de l’EBO et de l’ADC sont en nette augmentation en Europe et dans les pays industrialisés. Deux hypothèses ont été évoquées : la diminution de la prévalence de la colonisation gastrique par Helicobacter pylori et l’augmentation de l’incidence de l’obésité.5,6 L’incidence annuelle de l’ADC chez les patients porteurs d’un EBO est estimée à 0,12-0,14% et le ratio homme/femme est de 4. Parallèlement, l’incidence du CE diminue en Europe et dans les pays industrialisés, avec un ratio homme/femme de 1.7
Les principaux facteurs de risque environnementaux associés à l’ADC œsophagien sont : l’obésité, le RGO, l’EBO, le tabac, l’alimentation pauvre en fibres et folates, les antécédents de radiothérapie thoracique, les médicaments diminuant la pression du sphincter inférieur de l’œsophage, le sexe masculin et l’âge.1 Les facteurs augmentant le risque de survenue d’un CE sont : le tabac, l’alcool, les lésions caustiques de l’œsophage, les antécédents de radiothérapie thoracique et l’achalasie. Enfin, la kératodermie palmo-plantaire congénitale est une maladie autosomale dominante associée à la survenue de CE de l’œsophage familiaux.8
Les CSO représentent moins de 10% des cancers diagnostiqués.2 Ils sont généralement asymptomatiques. Les symptômes de types dysphagie, douleurs rétrosternales et épigastralgies sont retrouvés respectivement chez 14 et 26% des patients atteints d’une tumeur limitée à la muqueuse et à la sous-muqueuse.9 La topographie lésionnelle oriente le diagnostic histologique : le CE siège préférentiellement au niveau des tiers supérieur et moyen de l’œsophage tandis que l’ADC siège au niveau du tiers inférieur.10 Les ADC se développent essentiellement au sein de lésions d’EBO.11 Détectées en cours d’endoscopie et diagnostiquées sur les biopsies tumorales initiales, analysées par le médecin pathologue, les lésions de CSO nécessitent une description initiale détaillée des anomalies du relief muqueux œsophagien en utilisant la classification de Paris (figures 1A et 1B).12
Afin d’optimiser le bilan d’extension (évaluation de la taille lésionnelle, des marges lésionnelles et/ou détection de lésions synchrones), les endoscopistes s’aident de deux techniques : la chromoendoscopie chimique et la chromoendoscopie virtuelle. La première consiste à pulvériser à l’aide d’un cathéter spray un colorant vital ou de surface. La chromoendoscopie virtuelle génère une image de synthèse grâce à un logiciel d’analyse d’images. Le logiciel NBI modifie par exemple la longueur d’onde de la lumière émise, permettant de détecter les irrégularités de surface et de la vascularisation sous-muqueuse. Pour le CE et les lésions dysplasiques en muqueuse malpighienne (figure 2A), la coloration au lugol à 2% est la coloration de choix.13 Pour l’ADC et les lésions dysplasiques en muqueuse de Barrett (figure 2B), la coloration par l’acide acétique 1,5% et la chromoendoscopie par NBI sont largement utilisées mais avec un faible niveau de preuve.14,15 La technique de référence reste l’endoscopie de haute résolution avec réalisation de biopsies sur toute lésion visible puis de façon systématique par quadrant tous les 2 cm.15
Ces techniques sont également utilisées dans le cadre du dépistage des patients à risque afin d’améliorer la performance diagnostique des endoscopes traditionnels (lumière blanche). En cas de CE, il est indispensable de dépister l’existence d’une tumeur synchrone œsophagienne, ORL ou pulmonaire : ce dépistage est positif dans environ 8-10% des cas, et concerne la sphère ORL dans 50% des cas.16,17
Le bilan d’extension doit permettre d’évaluer avec précision l’envahissement ganglionnaire synchrone (EGS) et la PEPT, qui est corrélée au risque d’EGS. Une description anatomique précise de la paroi œsophagienne divise schématiquement la muqueuse en trois couches : l’épithélium (m1), la lamina propria (m2), et la muscularis mucosae (m3). La sous-muqueuse est également divisée, arbitrairement, en trois couches (sm1, sm2, sm3, figure 3). L’échoendoscopie (EE), grâce à l’utilisation de minisondes de 20 ou 30 MHz, définit précisément la profondeur de l’envahissement pariétal en distinguant les lésions T1a (m2 et m3) des lésions T1b (sm1 à sm3) avec une sensibilité et une spécificité respectivement de 85 et 87%.18 Elle évalue aussi l’EGS en détectant les ganglions tumoraux péri-œsophagiens, avec un taux de faux positifs d’environ 20%.19 Mais sa sensibilité reste tout de même plus élevée que le scanner et le PET-scan pour évaluer l’EGS dans le cancer de l’œsophage.20 Actuellement, aucune donnée ne recommande le scanner ou le PET-scan dans le bilan d’extension d’un CSO.
En l’absence de visualisation de lésions ganglionnaires, il est possible d’évaluer un risque d’EGS en fonction de la PEPT (figure 3).21–23 L’analyse groupée de nombreuses études asiatiques a pu établir une PEPT de la sous-muqueuse en dessous de laquelle le risque d’EGS pouvait être considéré comme négligeable : elle doit être < 200 μm pour les CE et < 500 µm pour les ADC.12 Le risque d’EGS peut aussi être évalué par d’autres critères identifiés sur la pièce d’exérèse tumorale par le médecin pathologue. En effet, l’existence d’images d’invasion lymphovasculaire semble être corrélée à un risque élevé d’EGS, estimé à 47%. Il semble aussi que l’existence d’une lésion tumorale peu différenciée et/ou d’un diamètre > 2 cm augmente aussi le risque d’EGS.21,22
La chirurgie carcinologique a longtemps été le seul traitement curatif de référence des CSO.3 Les progrès des techniques diagnostiques et thérapeutiques endoscopiques ont positionné l’exérèse endoscopique comme une alternative à la chirurgie. Il existe deux techniques de résection endoscopique : la mucosectomie endoscopique et la dissection sous-muqueuse endoscopique. La première consiste à réséquer surtout la muqueuse puis une partie de la sous-muqueuse, alors que la seconde consiste à disséquer plus profondément jusqu’à la musculeuse. Une méta-analyse a montré que la dissection sous-muqueuse avait des taux de résection en bloc et de résection complète plus élevés que la mucosectomie endoscopique, et donc moins de récidives locales.24
Avant toute décision thérapeutique, l’approche thérapeutique par voie endoscopique doit tout d’abord estimer l’EGS ou le risque d’EGS, en considérant que l’exérèse endoscopique ne permettra pas de réaliser un curage ganglionnaire. Elle nécessite une sélection précise des patients en prenant en compte les comorbidités, le risque anesthésique, le type et le grade histologique tumoraux, la PEPT évaluée par EE, le risque d’EGS en fonction de la PEPT, la taille et la localisation tumorale. Les indications à un traitement endoscopique dans les CSO sont encore aujourd’hui très débattues et il n’existe pas actuellement de recommandation précise. Dans une série européenne de 1000 résections endoscopiques de CSO de type ADC, une résection complète (R0) a été obtenue dans 96% des cas. Dans cette série, le taux de récidives était de 14,5%, le plus souvent en lien avec un long segment d’EBO.25 Malgré plusieurs travaux similaires, un consortium récent d’experts n’est pas parvenu à définir un consensus sur la place du traitement endoscopique comme alternative à l’œsophagectomie chez les patients ayant un CSO de type ADC avec un risque d’EGS à 0% (c’est-à-dire invasion de la sous-muqueuse < 500 μm et absence d’invasion lymphovasculaire).11 Enfin, en cas d’EBO associé, il est nécessaire de prévoir sa résection en intégralité en raison d’un risque de transformation tumorale estimé à 10% par an.11 Pour les CE, il semble que le traitement endoscopique soit un choix raisonnable lorsque la lésion n’infiltre pas au-delà de la couche m2.26
Les complications liées à un traitement endoscopique peuvent être soit immédiates (saignement : 2 à 10%, perforation : 1 à 2%) soit tardives. Les sténoses œsophagiennes surviennent tardivement et imposent de ne pas réséquer plus de deux tiers de la circonférence œsophagienne.11 Après une résection complète, les facteurs augmentant le risque de récidive sont : une résection fragmentée dite en piecemeal, la présence de larges plages muqueuses dysplasiques contiguës et l’utilisation d’une mucosectomie à la place d’une dissection sous-muqueuse.16,27 Pour les ADC, le taux de récidives semble plus important, d’environ 20% à cinq ans malgré un taux de résections complètes de 95%.28 Contrairement aux traitements endoscopiques, l’œsophagectomie offre la possibilité d’une exérèse tumorale complète, avec un curage ganglionnaire (donc un staging tumoral précis), et le traitement définitif de l’EBO associé. Elle est incontournable en cas d’ulcération classée Paris III, d’EGS en EE, en cas de PEPT > 500 μm pour les ADC et de PEPT > 200 μm ou > m2 pour les CE. Pour un traitement endoscopique, la chirurgie est indiquée en cas d’échec de la procédure, de résection endoscopique incomplète et/ou d’images d’invasion lymphovasculaire après examen pathologique de la pièce d’exérèse (figure 4). En plus d’une morbi-mortalité élevée et d’une durée d’hospitalisation plus longue (dix-neuf jours en moyenne), elle est également à l’origine de troubles fonctionnels, responsables d’une altération de la qualité de vie des patients : dysphagie sur sténose anastomotique (20 à 40%), trouble de la vidange gastrique (10%), dumping syndrome (10 à 50%) et œsophagite par reflux (30 à 70%).3 Aucune étude randomisée comparant résection endoscopique et chirurgie du CSO n’est actuellement disponible. Les Sociétés européenne (ESMO) et américaine (ASCO) d’oncologie médicale recommandent une résection endoscopique pour les tumeurs T1a et une approche chirurgicale pour les tumeurs T1b.
Après résection endoscopique, la surveillance doit considérer la persistance ou non d’une lésion prétumorale œsophagienne (EBO et/ou dysplasie). Elle a pour objectif de prévenir les récidives après traitement curatif. Pour le CE, elle doit aussi dépister les récidives extra-digestives qui surviennent dans plus de 10% des cas.16 Dans ses guidelines 2012, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) recommande, après mucosectomie, une surveillance endoscopique trimestrielle la première année puis annuelle.29 Les sociétés savantes de gastroentérologie et d’endoscopie (ACG, ASGE, et AGA) ne proposent pas de recommandation précise. Enfin, les experts japonais proposent une chromoendoscopie chimique trimestrielle puis semestrielle, ainsi qu’un examen ORL au moment de la procédure endoscopique et à un an.16
Le CSO est une pathologie rare. Le facteur pronostique majeur est l’EGS. Avant de proposer une exérèse endoscopique, l’EGS et la PEPT doivent être évalués par l’échoendoscopie, qui est l’examen de référence. En l’absence d’EGS, la résection endoscopique peut être aujourd’hui proposée comme une alternative à la chirurgie œsophagienne pour les CE (m1 à m2) ou < 200 μm, et pour les ADC (m1 à sm1) ou < 500 μm. La dissection sous-muqueuse semble supérieure à la mucosectomie. La résection endoscopique doit être réalisée dans un centre expert. Elle doit être suivie d’un examen pathologique minutieux. En cas d’ADC, il est impératif d’effectuer une éradication complète de l’EBO associé. La surveillance doit rechercher les lésions prétumorales œsophagiennes résiduelles, détecter les récidives et les tumeurs extradigestives (en particulier pour le CE).
> Les cancers superficiels de l’œsophage (CSO) sont des tumeurs rares en Europe. L’adénocarcinome (ADC) est le type histologique le plus fréquent en Europe
> Le pronostic du CSO dépend de l’envahissement ganglionnaire synchrone
> La chromoendoscopie et l’échoendoscopie sont les examens indispensables du bilan préthérapeutique
> La profondeur d’envahissement pariétal tumoral est le principal critère corrélé au risque d’envahissement ganglionnaire synchrone
> La chirurgie du CSO est le traitement de référence, néanmoins la résection endoscopique est une alternative thérapeutique moins invasive, qui nécessite d’être réalisée dans un centre expert et chez des patients sélectionnés
> Une surveillance endoscopique régulière est obligatoire après traitement endoscopique
In Europe, oesophageal cancers are diagnosed at an early stage in less than 10% of the cases. They are superficial tumours whose invasion is limited to the mucosae and the submucosa. Synchronous node invasion is the most important prognosis factor. Oesophagectomy is the benchmark treatment. Nowadays, endoscopic resection is a validated curative therapeutic alternative. Accurate endoscopic evaluation using chemical or virtual colouring as well as an echoendoscopy, followed by an expert pathological review, must be conducted beforehand. It can be realised for good prognosis tumours after evaluation of the synchronous node invasion or its risk. After completion, regular endoscopic follow-ups are compulsory to detect local relapse.