Le temps passe, les concepts changent. Les maladies neurodégénératives sont aujourd’hui généralement considérées comme des protéinopathies : des affections dues à l’accumulation pathologique de protéines mal conformées, non dégradées. Ces agrégats semblent se propager dans l’ensemble du système nerveux à mesure que ces maladies progressent, inexorablement, en créant des symptômes qui signent une corrélation entre la présence d’agrégats et les dysfonctions de la structure. Cette lecture conduit à revoir totalement notre conception physiopathologique – en espérant que de nouvelles modélisations in vitro et in vivo (chez l’animal) permettront de progresser sur le chemin des avancées thérapeutiques.
Tel était le thème d’une toute récente séance de l’Académie nationale française de médecine au cours de laquelle une communication du Pr Charles Duyckaerts (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris) a présenté un nouveau paradigme concernant la propagation des lésions des maladies neurodégénératives.1
L’une des questions centrales est de savoir si la «mort neuronale» est la marque distinctive des maladies neurodégénératives. Les premières définitions de ces affections étaient basées sur la topographie de la mort neuronale. «L’avènement de la biologie moléculaire, et surtout de l’immunohistochimie, a associé à ces descriptions initiales, la présence de lésions dont le caractère spécifique, d’abord contesté, s’est affirmé au cours du temps. Plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires de la maladie d’Alzheimer, et corps de Lewy de la maladie de Parkinson ou de la démence à corps de Lewy sont les premiers exemples de ces lésions spécifiques, rappelle le Pr Duyckaerts. Celles-ci sont des “inclusions” – corps figuré se développant au sein des cellules et des “dépôts”, accumulation extracellulaire d’un matériel non résorbé. Les inclusions comme les dépôts sont, dans les maladies neurodégénératives, constitués de protéines, c’est ce que trois décennies de recherche ont permis d’affirmer avec de plus en plus de certitude.»
Ces premières avancées ont été suivies par la découverte de nouvelles inclusions passées jusque-là inaperçues. Les progrès de la biologie et de la génétique moléculaires, toujours eux, ont aussi conduit à d’importants progrès dans la compréhension des affections neurodégénératives : conclure que nombre d’entre elles n’étaient pas transmises génétiquement (du moins sur un mode mendélien). Ainsi les maladies d’Alzheimer du sujet âgé, la maladie de Parkinson, la démence à corps de Lewy, la Paralysie Supranucléaire Progressive (PSP), la Dégénérescence Cortico-basale (DCB), la maladie de Pick, les Atrophies Multi-Systématisées (AMS) surviennent-elles dans la très grande majorité des cas, de façon sporadique. «Leurs causes sont donc encore totalement méconnues» souligne et reconnaît le Pr Duyckaerts.
Autre question centrale : pourquoi une protéine spécifique de la pathologie n’est-elle plus métabolisée ? Pourquoi des protéines spécifiques forment-elles des dépôts ou des inclusions dans des conditions pathologiques déterminées ? Si la formation des inclusions était directement, et seulement, liée à la production accrue de la protéine ou à son élimination défectueuse, due, par exemple, à un défaut enzymatique, elles devraient apparaître chez des sujets jeunes – comme c’est le cas par exemple dans les maladies de surcharge.
Le cas le plus simple est celui de la mutation : l’altération de la séquence de la protéine explique qu’elle soit moins soluble que sa forme sauvage et qu’elle s’agrège, à une concentration déterminée, sous une forme qui ne peut être métabolisée. C’est le cas des maladies à expansion de polyglutamine comme la maladie de Huntington ou un grand nombre d’ataxies spinocérébelleuses (SCA). Mais la mutation n’est pas la situation la plus souvent rencontrée.
Le Pr Duyckaerts estime qu’il faut ajouter une donnée nouvelle : selon l’hypothèse, de plus en plus étayée, du prion, une solution de la protéine native, en contact avec la protéine mal repliée, adopte le repliement anormal. Ce dernier se transmet donc de façon «épidémique» d’une protéine à l’autre à partir d’un agrégat de molécules mal repliées jouant le rôle de «semence» ou de «germe». «Ce phénomène, dit-il, a pu être reproduit dans un tube à essai pour la protéine prion. La fragmentation par les ultrasons d’agrégats de la protéine mal repliée multiplie les germes et accélère le repliement anormal de la protéine native : c’est la technique de la PMCA (protein misfolding cyclic amplification). D’après de nombreuses données récentes, ces résultats obtenus en éprouvette sur des solutions purifiées de protéines prions sont applicables au tissu cérébral pour un ensemble de protéines spécifiques de plusieurs maladies neurodégénératives.»
Clef de voûte des recherches en cours : «l’ensemencement et la propagation dans les modèles expérimentaux».
«L’observation humaine a fortement suggéré le rôle des connexions dans de nombreuses maladies neurodégénératives, mais elle n’a pas permis de l’affirmer, résume le Pr Duyckaerts. Elle n’a pas pu déterminer, de plus, quel était le site initial et les mécanismes en cause. Les premières données expérimentales, qui ont profondément modifié la conception des lésions neurodégénératives, sont directement inspirées des modèles utilisés dans les maladies à prions. La première preuve expérimentale est probablement celle obtenue par l’injection à trois marmousets d’homogénats cérébraux provenant d’un patient atteint de maladie d’Alzheimer. Cette injection a provoqué l’apparition de plaques amyloïdes associées à des prolongements dystrophiques et à une angiopathie amyloïde, six à sept années plus tard.»
Les modèles transgéniques ont permis d’accélérer les observations. Des expériences répétées chez la souris «sauvage» ont révélé un «effet souche» analogue à celui qui a été observé dans les maladies à prions. C’est dans les maladies «à corps de Lewy» que les résultats se sont révélés les plus spectaculaires : des fibrilles synthétiques d’alpha-synucléine ont en effet été capables d’initier la formation de véritables corps de Lewy au point d’injection et dans les zones de projection. La topographie de ces lésions dépend du point d’injection et apparaît directement conditionnée par les connexions. La maturation des corps de Lewy et la mort neuronale consécutive correspondent au modèle que nous avions pu en élaborer à partir des observations humaines.
«La contamination de neurones sensibles ou d’un réseau de neurones par des agrégats protéiques suppose un transit, éventuellement bref, dans le milieu extracellulaire. Ce passage extracellulaire d’un neurone à l’autre constitue une fenêtre thérapeutique. Des anticorps dirigés contre les agrégats protéiques ont été administrés dans l’espoir d’entraver la propagation. Ils commencent à se révéler expérimentalement efficaces, conclut le Pr Duyckaerts. Après l’aire de la génétique, c’est aujourd’hui le temps du prion et de la mauvaise conformation. Ce changement de paradigme a déjà conduit, en un laps de temps très court, à une moisson de découvertes. La propagation des protéines mal conformées donne enfin une explication mécanistique à la topographie si particulière des maladies neurodégénératives, que les neuropathologistes s’étaient appliqués à décrire. De nouvelles voies thérapeutiques ont été ouvertes. Les progrès soulèvent aussi un grand nombre de questions nouvelles : la plus importante concerne sans doute le mécanisme intime du changement de conformation et de l’agrégation qui en est la conséquence.»