«Le poète est exact. La poésie est exactitude. Depuis Baudelaire, le public a, peu à peu, compris que la poésie était un des moyens les plus insolents de dire la vérité.»
(Jean Cocteau, Portraits-Souvenirs)«Mais pourquoi donc tel patient a-t-il préféré accorder sa confiance à une poudre de perlimpinpin prescrite par un médecin alternatif plutôt qu’au traitement efficace que je lui proposais, reconnu scientifiquement, après plusieurs années de recherches puis d’études cliniques à gros investissements ? Bon sang, ce n’est pas raisonnable ! Et le comble, c’est qu’il va mieux… du moins le croit-il !». Il y a peu encore ce type de prises en charge me fâchait, me révoltait, puis leur fréquence s’accroissant au gré d’une complaisance politique, à mes yeux coupable et démagogue mais de moins en moins réversible, s’est établie une réaction plutôt défaitiste : «à quoi bon s’énerver, mon patient a été bien informé, c’est son affaire, c’est sa santé». Enfin, mieux vaut tard que jamais, à travers quelques observations et rencontres révélatrices m’est enfin apparu ce qui en fait sautait aux yeux depuis toujours : le réel, à savoir notre monde, notre existence et nos expériences, est constitué autant d’éléments irrationnels que rationnels. Bravo ! L’ Amérique redécouverte ! Je me console en constatant que cet aveuglement est tellement partagé qu’il s’inscrit comme phénomène de société historiquement récurrent ; je l’abandonne désormais à la masse ignorante et me retrouve aux côtés de quelques lumières ! Belle promotion égotique mais complètement… irrationnelle !
Et si la défiance en vogue vis-à-vis de la science, surtout quand elle touche à la santé de près, de loin ou dans l’imaginaire, ne provenait pas de son arrogance vis-à-vis des rêveurs, des idéalistes, des poètes de la vie ? Ivresse des pseudo-savants. Les vrais savent qu’ils ne savent qu’incomplètement et que la poésie habite aussi le mystère.
Mais les instinctifs auraient tort de diaboliser les fruits de la raison dont les bénéfices sont patents au quotidien. En fait le rationnel et son contraire sont imbriqués dans un équilibre où, trop souvent, les deux plateaux de la balance s’ignorent l’un l’autre ou se contrarient. L’ irrationnel a ses raisons que la raison ne connaît pas mais qu’elle ferait bien de connaître. La raison a ses raisons que l’irrationnel ne devrait méconnaître. Errance du «ou/ou», difficile harmonie du «et/et». Les grandes sagesses indiquent le chemin vers la «non-dualité» ; le médecin alternatif charismatique que j’ai rencontré, qui enseignait aussi la méditation zen et par ailleurs vilipendait l’apport des pharmas, n’est pas un sage zen ; et les pharmas, quand elles provoquent une surenchère commerciale souvent biaisée, s’adonnent à l’écrasement de la poésie. L’ excès de rationnel autant que l’excès d’irrationnel sont sources de dérives. L’ un et l’autre perdent le sens de l’humour quand ce dernier prend une distance bienfaisante faisant perdre la raison à la raison et se moquant de la déraison lorsqu’elle flatte l’obscurantisme.
Alors, amis poètes de la science, ne souriez pas que pour la photo !
Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse Devient le riche papillon.
(Guillaume Apollinaire – le Bestiaire ou Cortège d’Orphée)