La dyspnée est un symptôme complexe, invalidant et omniprésent aux urgences. En 2012, l’American Thoracic Society (ATS) définissait la dyspnée comme «une expérience subjective d’inconfort respiratoire, de qualité et d’intensité variables».1 Par analogie à la douleur, la dyspnée a une dimension sensitive et émotionnelle.2 Les causes sont nombreuses et ne seront pas toutes abordées dans cet article. Le tableau 1 présente les principales étiologies rencontrées aux urgences.3 A l’admission, l’urgentiste doit : 1) valider le symptôme ; 2) évaluer rapidement le patient selon l’approche ABCD et 3) débuter le traitement approprié. Le patient sera orienté ultérieurement vers le service d’aval le mieux adapté.
Près de 4% des admissions urgentes ont pour motif une dyspnée aiguë.4 En 2014, le Service des urgences des HUG a recensé plus de 3000 patients admis pour dyspnée. Ce nombre est sous-estimé, la dyspnée pouvant être au second plan lors du tri initial. 6% de ces patients seront admis ultérieurement aux soins intensifs et près de 2% décéderont lors de leur hospitalisation. Burri et coll. rapportent une mortalité de 10% à 30 jours.3
L’anamnèse et l’examen clinique sont peu spécifiques et ne permettent de poser un diagnostic que dans 74% des cas.5 La dyspnée résulte d’une interaction complexe entre des facteurs physiologiques, psychiques et environnementaux. L’anamnèse s’efforcera de distinguer l’origine pulmonaire de l’origine cardiaque (tableau 2).
Le rôle principal du système respiratoire est d’assurer une oxygénation et une ventilation adéquates. La physiopathologie respiratoire fait intervenir un ensemble de récepteurs, une commande centrale, une pompe ventilatoire et un échangeur gazeux (figure 1).1,6 Trois qualificatifs distincts sont corrélés à la physiopathologie (tableau 3).2,6
La perception contraignante de l’effort respiratoire ou sens of breathing est associée à la mécanique respiratoire. Cette sensation survient lors d’une défaillance de la paroi thoracique et/ou du diaphragme. Dans cette situation, l’augmentation du travail respiratoire engendre un afflux d’informations émises par le cortex moteur et transmises au cortex sensitif (corollary discharge). Le patient prend conscience de l’effort fourni.
Le serrement thoracique ou chest tightness qui est majoritairement retrouvé dans les syndromes obstructifs.
La sensation de manque d’air ou air hunger qui provient de la dissociation entre la commande motrice et l’ampleur de la ventilation produite. Ce phénomène est retrouvé lors de troubles de l’échange gazeux, détectés par les chémorécepteurs. Le pH, la PaCO2 et la PO2 n’ont pas tous la même implication. Les variations du pH représentent un catalyseur plus important que ne l’est la PaCO2. L’hypercapnie chronique compensée se révèle peu dyspnéisante au repos à l’inverse de l’hypercapnie aiguë isolée. Le rôle de l’hypoxémie est moins clair. Des études animales mettent en évidence une projection de chémorécepteurs carotidiens sensibles à l’hypoxémie vers le cortex sensitif, sans preuve que ces signaux soient réellement perçus. Chez un sujet sain normocapnique, un abaissement marqué de la PO2 (<6,7 kPa) déclenche une sensation de manque d’air.2
L’utilité clinique de ces trois qualificatifs est limitée. Les termes employés traduisent rarement des phénomènes distincts ; plusieurs mécanismes pouvant agir de concert au même moment.
Face à une hypoxémie/hypercapnie, le volume courant et la fréquence respiratoire (FR) augmentent. La mesure de la FR (nombre de cycles respiratoires par minute) est donc essentielle et ne doit pas être sous-estimée. Malheureusement, elle est peu mesurée et seulement 30% des patients hospitalisés ont leur FR documentée.7 Modifiable par le patient, la mesure de la FR doit se faire à son insu, par l’observation des mouvements thoraciques sur trente secondes au minimum.8 Chez les patients sains au repos, les limites de la FR se situent entre 16 et 25 cycles/minute. Par consensus, des valeurs ≤ 8/min et ≥ 25/min signent respectivement une bradypnée et une tachypnée.8–10 Celle-ci a valeur pronostique. 50% des patients en arrêt cardiorespiratoire ou admis aux soins intensifs présentaient une FR > 24/min à leur admission. La valeur pronostique de la FR serait supérieure à celle de la pression artérielle ou de la fréquence cardiaque (LR à 3,1). Dans la pneumonie communautaire, la tachypnée précède également de 24 à 48 heures la confirmation diagnostique. Finalement, 85% des patients avec une embolie pulmonaire ont une FR > 20/min.8,10
L’hypoxémie est fréquente aux urgences.3 Elle est retrouvée chez 70% des patients dyspnéiques. La mesure non invasive de la saturation artérielle en oxygène est obtenue grâce à l’oxymétrie de pouls.11,12 Une lumière, émise à partir de deux LED, se propage à deux longueurs d’ondes différentes ; une à 650 nm (rouge) absorbée par la déoxyhémoglobine et une à 950 nm (infrarouge) absorbée par l’oxyhémoglobine. Le capteur analyse la différence et la transcrit en pourcentage de saturation en oxygène (SpO2). La marge d’erreur est de 5% selon les appareils pour des saturations comprises entre 70 et 100%. Au-delà de ces limites, les valeurs de saturation manquent de fiabilité.11 Les normes dépendent de la situation clinique. La saturation en oxygène d’un individu sain est supérieure à 95%. De nombreux fumeurs, patient âgés ou obèses, maintiennent une saturation aux alentours de 92-95%. Une désaturation < 90% est un signe d’alarme et nécessite une supplémentation en oxygène. Elle peut par contre être tolérée chez un patient BPCO chronique. Une saturation inférieure à 92% dans une crise d’asthme est un signe de gravité. Lors de l’intoxication au monoxyde de carbone, la SpO2 reste inchangée, la carboxyhémoglobine et l’oxyhémoglobine ayant le même spectre d’absorption lumineux (rouge). Les principales causes faussant les valeurs de saturation sont présentées dans le tableau 4.11
Historiquement, l’examen clinique pulmonaire comprend l’inspection, la palpation, la percussion et l’auscultation. Sa valeur diagnostique est discutée depuis l’introduction de l’échographie thoracique dans l’arsenal de l’urgentiste. L’inspection garde une importance critique en cas de détérioration subite du patient.13 Elle permet d’apprécier dès le premier coup d’œil l’amplitude respiratoire, la symétrie thoracique et l’utilisation des muscles accessoires. L’auscultation thoracique reste utile pour différencier une hypoventilation segmentaire ou globale d’un syndrome obstructif. La présence de râles est peu spécifique à elle seule.14 A l’inverse, leur absence n’exclut en rien la présence d’une pneumopathie sous-jacente. Le stridor inspiratoire audible à l’oreille est un signe d’alarme et marque une obstruction des voies respiratoires hautes. Le tableau 5 présente les éléments de l’auscultation dans les pathologies pulmonaires les plus courantes.15
La cyanose est une coloration bleue de la peau et/ou des muqueuses. Sa présentation centrale touchant les muqueuses implique une hypoxémie et signe une maladie cardiopulmonaire avancée ou un shunt droite-gauche. La couleur bleue provient de l’hémoglobine désoxygénée. Le taux exact d’hémoglobine désoxygénée induisant la cyanose est controversé. La cyanose apparaîtrait dès une concentration de déoxyhémoglobine de 1,5 g/dl, ce qui correspond à une PaO2 de 8 kPa (60 mmHg), ou une saturation < 85%. La cyanose isolée aux extrémités traduit un trouble de la microvascularisation périphérique. L’anémie masque la cyanose alors que la polyglobulie l’exacerbe. Finalement, la détection de la cyanose est observateur dépendant. La majorité des observateurs ne détectent une cyanose qu’en dessous d’une saturation de 80%.16
L’examen des veines jugulaires est fondamental dans l’évaluation des patients dyspnéiques avec ou sans état de choc. La turgescence jugulaire (TJ) signe une augmentation de la pression veineuse centrale. En l’absence d’insuffisance tricuspide, elle est le reflet d’une hypervolémie, d’une pression télédiastolique élevée du ventricule droit, ou d’un syndrome de la veine cave supérieure.11 La surcharge droite est généralement secondaire à une augmentation de la pression postcapillaire en lien avec une dysfonction ventriculaire gauche. Malheureusement, il existe une corrélation modérée entre la TJ et une pression veineuse centrale élevée, la sensibilité et la spécificité étant respectivement de 81 et 80%.17 La TJ a également une valeur diagnostique dans les états de choc avec dyspnée (tableau 6).18
L’interprétation d’une gazométrie dépasse l’objectif de cet article et nous référons le lecteur à l’article d’Ingelfinger et coll.19 La gazométrie artérielle est l’examen complémentaire de choix dans l’évaluation des échanges gazeux. Un désordre acido-basique est retrouvé chez 44% des patients dyspnéiques.3 L’origine du désordre est respiratoire dans 33% des cas. Malgré ces chiffres, la plus-value diagnostique de la gazométrie artérielle est limitée. Quel que soit le désordre de l’hémostase, aucun trouble n’identifie spécifiquement la cause de la dyspnée. La crise d’hyperventilation est la seule entité fortement associée à un pH élevé avec un odds ratio (OR) à 4,5 (IC 95% : 2,27-8,92). En termes de pronostic, l’acidémie prédit de manière indépendante l’admission aux soins intensifs, et la mortalité à court et long termes. Burri et coll. questionnent l’utilité de la gazométrie artérielle dans la stratification du risque et recommandent l’utilisation du pH veineux. Celui-ci est moins douloureux à obtenir et présente moins de complications sérieuses. La gazométrie artérielle garde son utilité pour la mise en place et le suivi du traitement ventilatoire.
La radiographie thoracique est l’imagerie de première intention en cas de nombreuses pathologies cardiopulmonaires. Son interprétation dépend de l’expérience du médecin, des modalités techniques (incidence) et de la qualité des images. Les patients en détresse respiratoire sont rarement transportables. Dans ces conditions, la radiographie thoracique perd en sensibilité-spécificité. Dans la BPCO décompensée, la radiographie évoque rarement la cause de la décompensation. Les images sont interprétées comme anormales dans 16% des cas. Il existe une grande variabilité inter/intra-observateur. Dans le pneumothorax, la radiographie thoracique debout, en expiration forcée, est hautement spécifique. 30% des pneumothorax et 10 à 25% des épanchements pleuraux passent inaperçus si les clichés sont effectués en clinostatisme. Pour ce qui concerne la décompensation cardiaque, la radiographie thoracique possède une sensibilité limitée à 68% et une spécificité de 83%.20
L’introduction progressive de l’ultrasonographie aux urgences a révolutionné les pratiques. Utilisée initialement lors de l’évaluation du patient polytraumatisé, les indications n’ont cessé de se développer. Son rôle dans l’approche diagnostique de la dyspnée et des pathologies cardiopulmonaires courantes est établi, faisant de l’ultrasonographie une alternative à l’imagerie conventionnelle. Les qualités techniques restent cependant opérateur et machine dépendants.21
Dans l’évaluation de l’épanchement pleural, l’ultrason est la méthode de choix. En comparaison à la radiographie standard, l’ultrason présente une sensibilité et une spécificité supérieures à 90%, voire proches de 100%. Concernant le pneumothorax, l’ultrason présenterait une performance comparable, si ce n’est supérieure à la radiographie standard (sensibilité 75-100% et spécificité 91-100%). Par contre, l’identification par l’ultrason d’un syndrome alvéolo-interstitiel tel qu’il est observé dans l’insuffisance cardiaque est sujette à caution. Plusieurs signes cliniques convergents sont nécessaires afin d’établir un profil sonographique particulier, dit profil B. Comparé à la radiographie standard, ce profil présenterait une sensibilité variant entre 86 et 93% et une spécificité supérieure à 90%.22 Finalement, une méta-analyse récente renforce le rôle de l’ultrason dans l’évaluation diagnostique de la pneumonie. Sur un collectif de 1172 patients adultes suspects de pneumonie, l’ultrason présentait une sensibilité et une spécificité combinées de 94% (IC 95% : 92-96) et 96% (IC 95% : 94-97) respectivement par rapport à la radiographie ou le scanner thoracique. Dans cette étude, les examens échographiques étaient pratiqués par des médecins hautement qualifiés.23
Le diagnostic différentiel de la dyspnée aiguë est vaste et la physiopathologie complexe. L’anamnèse et l’examen clinique ne répondent que partiellement aux questions posées par le clinicien. L’ultrason rapidement accessible et performant se révèle être un atout de taille dans la prise en charge du patient dyspnéique. Son utilisation est amenée à se développer.
> La dyspnée aiguë est un symptôme fréquent aux urgences
L’anamnèse et l’examen clinique ne permettent pas à eux seuls d’orienter le diagnostic
> Une tachypnée supérieure à 24/min est un signe de mauvais pronostic
> La gazométrie veineuse est suffisante pour l’évaluation du pH qui, en cas d’acidémie, est un marqueur de morbi-mortalité accrue. La valeur diagnostique de la gazométrie est par contre faible
> L’ultrasonographie thoracique présente des performances égales, voire supérieures à la radiographie du thorax. Son utilisation par l’urgentiste est amenée à se développer