Des chercheurs des Universités de Rochester (Etat de New York) et de Copenhague ont réussi à créer des souris dont le cerveau contient principalement des cellules gliales humaines. A la recherche de cellules-souches précurseurs de cellules gliales en vue d’en faire des agents thérapeutiques pour les maladies démyélinisantes, l’équipe de Steven Goldman a testé des cultures de cellules progénitrices de la lignée gliale humaine en les greffant chez des souris immunosupprimées et mutantes dont la myélinisation est déficiente. Il s’avère que ces cellules sont étonnamment vigoureuses. Elles sont capables de coloniser le cerveau de l’animal et comme ils l’ont montré par la suite, cela marche même chez des souris non mutantes en principe capables de fabriquer leurs propres astrocytes.1 Le résultat est que chez certaines de ces souris, la totalité des cellules gliales du prosencéphale sont en réalité humaines. Perspective vertigineuse car on sait aujourd’hui que les cellules gliales ne se contentent pas d’être le petit personnel domestique au service des neurones, comme on nous l’enseignait dans un passé obscur. Leurs fonctions sont bien plus intéressantes et elles sont intimement impliquées dans les échanges de signaux entre les neurones.
On imagine le frisson métaphysique des chercheurs face à cet impérialisme cellulaire anthropique et ils ont dû logiquement se demander si ces souris humanisées étaient devenues surdouées. Il semble bien que ce soit le cas. Dans un test de conditionnement associant un son à un léger choc électrique, les souris au cerveau semi-humain ont une mémoire d’éléphant, nettement supérieure à celle de leurs congénères à l’identité murine à cent pour cent.2 Mais Steven Goldman précise que «ceci ne donne pas à ces animaux des aptitudes additionnelles qui pourraient de quelque façon être caractérisées ou perçues comme spécifiquement humaines. C’est plutôt que les cellules humaines ne font qu’améliorer l’efficacité du réseau neuronal propre de la souris. Cela reste une souris».
L’industrie du commentaire bioéthique n’est pas en reste. Certains recommandent de ne pas tenter l’expérience chez des primates «avant d’avoir pleinement exploré les implications éthiques et sociales» de la chose.3 La routine, quoi. Pourtant, le trouble philosophique est palpable. D’un côté, l’espoir immémorial de trouver un critère de démarcation ontologique net entre l’homme et les autres animaux a été constamment déçu. D’ailleurs, après Darwin, la carte de l’essentialisme biologique n’est plus guère jouable. Mais de son côté, la bioéthique contemporaine a ajouté sa couche de confusion supplémentaire au débat. Dédaignant les différences, elle est fascinée par les analogies entre l’homme et l’animal, avec plus d’énergie militante que de clarté conceptuelle. C’est cette position qui a diffusé dans l’air du temps. La cause des «droits des animaux» flatte le confort moral de nos contemporains et on ne compte plus les actions en justice visant à faire reconnaître la personnalité légale de chimpanzés ou d’orang-outangs (une telle revendication vient d’être rejetée par la Cour suprême de l’Etat de New York).
La vertu philosophique de ce type d’expérience est de nous remettre en face de nos perplexités. En définitive, la «smart mouse» nous rappelle que nous ne comprenons pas vraiment la question de la différence anthropologique. Voilà qui est très smart de sa part.