Le diabète de type 2 (DT2) est caractérisé par une hyperglycémie chronique qui s’intègre, le plus souvent, dans un cortège d’autres facteurs de risque cardiovasculaires comme une obésité abdominale, une hypertension artérielle, une dyslipidémie, une inflammation silencieuse et un état prothrombogène. Il en résulte que les patients avec un DT2 payent un lourd tribut aux maladies cardiovasculaires. Il est admis qu’une prise en charge globale des différents facteurs de risque est capable de réduire drastiquement ces complications. Le rôle spécifique de la correction de l’hyperglycémie reste cependant difficile à apprécier, ainsi que nous l’avons brièvement discuté dans notre éditorial précédent.1
«… de nombreux essais cliniques ont été construits pour démontrer la sécurité cardiovasculaire des gliptines, GLP-1 ou des gliflozines …»
Les médicaments antidiabétiques peuvent occasionner des manifestations indésirables, dont des hypoglycémies et une prise de poids, potentiellement délétères sur le plan cardiovasculaire. Par ailleurs, la rosiglitazone, dont le profil d’action ciblant l’insulinorésistance laissait présager un potentiel protecteur intéressant, a semé le doute lorsqu’une méta-analyse (par ailleurs critiquable) d’essais cliniques hétérogènes a suggéré que cette thiazolidinedione pouvait augmenter le risque d’infarctus du myocarde. Depuis lors, la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis exige que tout nouveau médicament pour traiter le DT2 doive non seulement démontrer son efficacité en termes de réduction du taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), utilisé comme critère d’évaluation intermédiaire, mais aussi prouver sa bonne sécurité cardiovasculaire. Celle-ci doit être démontrée soit, de façon incontestable, dans une méta-analyse de tous les essais cliniques réalisés en phases 2-3 lors du développement du médicament, soit dans un grand essai prospectif contrôlé versus un placebo avec, comme critère primaire, l’incidence des événements cardiovasculaires majeurs. Depuis cette nouvelle directive, de nombreux essais cliniques ont été construits pour démontrer la sécurité cardiovasculaire des inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (gliptines), des agonistes des récepteurs du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) ou des inhibiteurs des cotransporteurs sodium-glucose de type 2 (gliflozines). Tous ces essais, rappelons-le, conçus pour étudier la sécurité et non l’efficacité du traitement pharmacologique, ont été planifiés, en première analyse, pour démontrer la non-infériorité des médicaments antidiabétiques par rapport à un placebo.2 Ainsi plus de dix essais ayant inclus plus de 100 000 patients DT2 sont actuellement en cours ou ont été publiés récemment pour trois d’entre eux.3 A posteriori, on peut légitimement se poser la question de savoir s’il était bien nécessaire, et même raisonnable, de réaliser tous ces essais de non-infériorité versus un placebo.
Un premier problème est que ces essais risquent d’être mal interprétés. En effet, comme l’incidence des événements cardiovasculaires s’est avérée être identique dans le bras intervention et dans le bras placebo pour les trois premiers essais publiés avec les gliptines,3 la plupart des observateurs non avertis pourraient en conclure que ces médicaments n’ont aucune utilité. C’est faire fi du fait qu’il s’agit d’essais de non-infériorité et que le traitement antidiabétique pouvait être ajusté dans les deux bras (y compris, et en réalité davantage, dans le bras placebo) de telle sorte qu’in fine, les taux d’HbA1c étaient à peine différents entre les deux groupes de traitement. Ces essais, contrairement aux essais classiques avec les hypolipidémiants ou les antihypertenseurs, ne testent donc pas l’efficacité due à un meilleur contrôle du facteur de risque, mais simplement la sécurité du médicament, à contrôle (quasi) équipotent du facteur de risque !
«… il est temps que la FDA revoie sa position d’exiger des études de non-infériorité versus placebo pour les nouveaux médicaments antidiabétiques …»
Un second problème réside dans la discordance entre les efforts, humains et financiers, consentis pour mener à bien ces essais et les résultats obtenus, finalement peu attractifs pour les cliniciens.3 On peut se demander si «le jeu en valait bien la chandelle». Ces essais n’ont-ils pas été exigés à la hâte, poussés par un vent de panique en 2008 après la controverse concernant la rosiglitazone ? Il reste à espérer que ces études pourront néanmoins apporter des informations potentiellement intéressantes pour la pratique clinique.3 Cela pourrait concerner la sécurité (par exemple, risque de cancer du pancréas non confirmé avec les gliptines dans les trois essais déjà publiés) ou l’efficacité (par exemple, grâce à des analyses post-hoc de sous-groupes de patients particuliers).
En conclusion, il est sans doute temps que la FDA revoie sa position d’exiger des études de non-infériorité versus placebo pour les nouveaux médicaments antidiabétiques. Au-delà de la simple démonstration de la sécurité cardiovasculaire des médicaments antidiabétiques dans des études de non-infériorité, il serait souhaitable de pouvoir disposer d’essais cliniques bien faits qui démontreraient l’efficacité (et donc la supériorité) en termes de réduction des complications dans le DT2. Hélas, il est à craindre que beaucoup de questions resteront sans réponse.4 Le DT2 est une maladie complexe dans laquelle les complications vasculaires sont le fruit d’une longue évolution silencieuse. Par ailleurs, ces complications sont d’origine multifactorielle où le rôle de l’hyperglycémie n’est sans doute pas prédominant et les événements cliniques deviennent de plus en plus rares en raison d’une meilleure prise en charge globale. Dès lors, un essai clinique ciblant la glycémie devrait idéalement inclure une cohorte de plusieurs dizaines de milliers de patients suivis pendant une période prolongée, ce qui est irréalisable et impayable. Enfin, contrairement à l’hypercholestérolémie ou l’hypertension artérielle, l’hyperglycémie du DT2 progresse au cours du temps, suite à l’épuisement inéluctable de la fonction insulinosécrétoire. Cette évolution impose souvent des ajustements thérapeutiques en cours d’étude, ce qui rend plus délicate la séparation de deux bras thérapeutiques pour ce qui concerne le facteur de risque considéré et complique inévitablement l’analyse statistique. Pour toutes ces raisons, il est donc à craindre qu’une maladie comme le DT2 manquera toujours des preuves irréfutables permettant de guider, sans ambiguïté, le clinicien dans ses choix thérapeutiques. Ainsi, le praticien de terrain devra, sans doute encore longtemps, faire appel à son bon sens clinique, en concertation avec son patient, message conforté par les dernières propositions de prise en charge du DT2.5