Il ne nous arrive pas souvent de pouvoir assister à un succès de la médecine moderne comme celui que nous vivons actuellement dans le cadre de l’hépatite C : de la découverte d’un agent infectieux qui affecte aujourd’hui 120 à 200 millions de personnes jusqu’à la possibilité de pouvoir en guérir la majorité en seulement 25 ans – from discovery to cure in 25 years !1
L’hépatite C chronique représente aujourd’hui une des causes les plus fréquentes de cirrhose, de carcinome hépatocellulaire (CHC) et de transplantation hépatique.2,3 Aux Etats-Unis, elle a surpassé le VIH comme cause de mortalité depuis 2007 et elle est responsable de plus de 350 000 décès par an au niveau mondial.4,5 En Suisse, environ 80 000 personnes sont touchées, dont la moitié ne le sait pas encore du fait de l’évolution silencieuse de l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC). On peut s’attendre néanmoins à ce que 2 à 20% après 20 ans et 15 à 30% après 30 ans de ces personnes développent une cirrhose.6
«… Le rôle des médecins de premier recours ne peut pas être sous-estimé dans cette démarche …»
Bien que l’incidence de nouvelles infections ait fortement diminué depuis le début des années 1990, le pic de complications à long terme ne sera atteint en Suisse qu’en 2030 environ si nous ne sommes pas en mesure d’identifier d’ici-là les personnes infectées et de traiter celles qui en ont besoin.7
L’une des priorités actuelles est donc d’intensifier le dépistage de l’hépatite C dans les populations à risque. Les recommandations des Swiss Experts in Viral Hepatitis (SEVHep) et de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ont été résumées récemment et s’adressent, par exemple, à toute personne ayant eu une transfusion sanguine avant 1992, ayant consommé des drogues par voie intraveineuse ou originaire d’un pays à haute prévalence de l’hépatite C.8 Le rôle des médecins de premier recours ne peut pas être sous-estimé dans cette démarche.
Encourager le dépistage ne peut être justifié que dans la mesure où des traitements efficaces sont disponibles – et c’est ici que d’énormes progrès ont été réalisés et que nous sommes en pleine révolution. Si le traitement à base d’interféron-α, un standard durant 25 ans, ne permettait de guérir que 40-50% des patients, avec une tolérance très difficile et de nombreux effets secondaires parfois irréversibles, les nouveaux traitements oraux combinés, disponibles depuis l’année passée, permettent de guérir plus de 90% des patients avec des schémas thérapeutiques simples et bien tolérés.3,9,10
Une seule ombre au tableau : les prix très élevés de ces traitements qui ont contraint l’OFSP et les autorités de santé publique de nombreux autres pays à réserver leur utilisation aux patients atteints d’une maladie hépatique avancée.11–14 L’article de Girardin et coll., dans cette édition de la Revue Médicale Suisse, traite de ces enjeux en détail.15
La réjouissance de nos patients, des équipes soignantes ainsi que de nos partenaires en recherches académique et industrielle ne fut donc que de très courte durée. En effet, nous voici à présent confrontés à une situation des plus difficiles, contraints que nous sommes de décevoir des patients, considérés comme pas assez atteints selon les limitations en vigueur, qui ont pour la plupart attendu des années ces nouveaux traitements et qui auraient pu bénéficier d’une occasion unique d’éliminer leur infection VHC.
Bien que nous nous accordions sur le fait que l’indication à un traitement antiviral de l’hépatite C chronique doit se baser sur une justification médicale ou des arguments personnels, il nous paraît difficilement justifiable d’attendre jusqu’à un stade avancé de la maladie avant qu’elle puisse enfin être traitée. Nous avons donc demandé à l’industrie pharmaceutique de revoir ses prix à la baissea et à toutes les parties impliquées de poursuivre un dialogue constructif afin de trouver des solutions satisfaisantes pour le bien de nos malades. Le développement d’une stratégie nationale, incluant tous les acteurs impliqués, constitue un élément-clé dans cette démarche.16
«… Le développement d’une stratégie nationale constitue un élément-clé dans cette démarche …»
Si l’accès au traitement représente aujourd’hui un défi majeur en soit, d’autres défis demeurent ou émergent actuellement :
Pour citer Winston Churchill : «Now it is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is perhaps the end of the beginning». Dans l’hépatite C, nous sommes arrivés à un tournant décisif qui ne représentera le début de la fin qu’avec un dialogue constructif en matière d’accès aux nouveaux traitements et la continuité d’une recherche fondamentale, translationnelle et clinique active.
Nous nous réjouissons de cette édition conjointe entre nos deux équipes et nous espérons que les informations qu’elle contient répondront au mieux aux préoccupations liées à votre pratique quotidienne.
Les auteurs souhaitent remercier vivement Mme Malika Binggeli pour son excellente assistance éditoriale.