C’est un événement de santé publique ; un événement qui a la forme d’un document britannique officiel : un rapport intitulé «E-cigarettes : an evidence update A report commissioned by Public Health England».1
Il s’agit bien d’un nouveau et important tournant dans l’histoire de la lutte contre le tabagisme. Aucun hasard s’il apparaît au royaume-empire du pragmatisme. Un pays où l’on ne choisit pas le paquet neutre contre la cigarette électronique. Un pays où tout ne passe pas par la loi et son marbre.
Les auteurs sont des experts de santé publique reconnus dans le champ de la lutte contre le tabagisme.2 Ils recommandent d’avoir recours autant que nécessaire, au puissant levier que constitue la cigarette électronique – et de donner aux médecins généralistes la possibilité de la prescrire pour lutter contre l’addiction au tabac. Ne plus conseiller la e-cigarette du bout des lèvres, mais regarder la réalité en face et tout faire pour ne plus consommer-inhaler fumées et goudrons.
Les cigarettes électroniques peuvent «changer la donne pour la santé publique», assure le Pr Ann McNeill, du King’s College de Londres, coauteure de cette étude qui a été commandée par les autorités sanitaires anglaises (Public Health England ou PHE). Elle fait officiellement valoir que les cigarettes électroniques sont «à 95%» moins dangereuses que les cigarettes traditionnelles. Pr Kevin Fenton, un responsable de PHE : «Pour certaines personnes qui trouvent difficile d’arrêter de fumer en utilisant les méthodes traditionnelles, les cigarettes électroniques peuvent représenter une nouvelle solution». Nous sommes aux antipodes, ici, des atermoiements des autorités sanitaires de nombreux pays de l’Union européenne.
Les médecins britanniques ne sont actuellement pas autorisés à prescrire de cigarette électronique, mais les experts à l’origine de cette étude espèrent que l’agence britannique de contrôle sanitaire – la Medicines & Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) leur en donnera bientôt la possibilité. La MHRA est d’ailleurs devenue compétente pour la e-cigarette (the competent authority for regulating e-cigarettes) et l’on peut découvrir sur son site3 des informations claires, citoyennes, sur le sujet qui tranchent avec la confusion qui prévaut souvent ailleurs, notamment en France.
Le gouvernement britannique commence à publier les projets de décret d’applications visant à transposer, pour mai 2016, la nouvelle Directive tabac européenne. La Grande-Bretagne a décidé, elle aussi, de passer au «paquet neutre», ce qui ne lui interdit nullement de faire de la cigarette électronique un outil et non une menace.
«Pour le moment, il n’y a pas de produits sous licence pouvant être utilisés pour des besoins médicaux et c’est une des raisons pour laquelle nous soutenons la MHRA pour qu’elle s’assure que des cigarettes électroniques sûres et encadrées puissent être proposées pour des besoins médicaux» précise le Pr Fenton.
Il ajoute : «Une fois que cela aura été agréé, et que nous aurons les produits dans les tuyaux, ils pourront être intégrés à l’arsenal des outils disponibles pour aider les patients à arrêter de fumer. Les cigarettes électroniques ne sont pas complètement dénuées de risque, mais en comparaison avec le tabac, les preuves dont nous disposons montrent qu’elles ne comportent qu’une fraction de sa dangerosité.»
Nous sommes en septembre 2015. Faudra-t-il encore longtemps répéter ce qui devient chaque jour un peu plus une évidence ? On estime, en Grande-Bretagne, à environ 2,6 millions le nombre de personnes qui vapotent et à environ 80 000 le nombre de celles qui meurent prématurément de leur addiction au tabac. En dépit de quelques approches parcellaires comme celle qui vient d’être publiée dans le JAMA4 les experts soulignent également qu’il n’y pas de preuve démontrant que les e-cigarettes incitent les vapoteurs non fumeurs à se tourner vers le tabagisme classique.
A la différence notable de la France, le Royaume-Uni (qui fut longtemps un grand pays de fumeurs) est devenu un pays pionnier dans la lutte contre le tabagisme : le taux de drogués du tabac commence à descendre sous les 20% quand il monte, en France pour s’approcher des 35%. Et l’avenir, pragmatique, de la lutte antitabagique se joue pour beaucoup, aujourd’hui, de l’autre côté de la Manche.
En France la Fivape (Fédération interprofessionnelle de la Vape) a salué la publication du rapport de PHE qui marque selon elle un véritable tournant dans la «perception de la vape» au Royaume-Uni et dans le monde» : «Oui, la cigarette électronique permet d’arrêter de fumer, elle doit être encouragée et ne peut pas être assimilée aux produits du tabac, elle n’est pas non plus une passerelle vers le tabac mais bien l’inverse. Combien de temps et de vies perdues avant que les pouvoirs publics français se rendent à l’évidence ?»
Plus largement, elle ouvre la voie à une action politique d’ampleur contre l’addiction au tabac : une action de santé publique structurée fondée sur le paquet neutre, les prix et la cigarette électronique. Une action non pas contre les fumeurs mais pour les aider au sevrage de la partie la plus mortifère de leur addiction : les fumées et les goudrons. Telle se dessine la future politique britannique, à la fois moderne, pragmatique et médicale.
C’est dans ce contexte que le géant British American Tobacco (BAT) vient de faire sensation : il assure soutenir la politique britannique de promotion de la cigarette électronique. Basé à Londres, âgé de 113 ans, BAT est l’un des plus importants producteurs de tabac et de cigarettes au monde (Pall Mall, Dunhill, Lucky Strike, Kent notamment). Il vient de réagir au rapport de Public Health England sous la forme d’un communiqué de presse. On peut en extraire ceci signé de Chris Proctor, directeur scientifique de BAT : «Nous sommes convaincus qu’en continuant les recherches sur la cigarette électronique et en renforçant sa qualité et sa sécurité, cette importante catégorie de produits est susceptible d’avoir un impact positif en termes de santé publique – et qu’elle est appelée à se développer.»
BAT commercialise la cigarette électronique Vype. Ce géant peut-il être un allié d’un instant dans la longue histoire de la lutte contre le tabagisme ? Répondre non est bien évidemment une position nettement plus confortable : maintenant une frontière entre le bien et le mal, elle laisse en paix avec sa conscience. Tandis que la seconde impose le commerce avec le Diable.