Dans le box 3 m’attend une patiente, patiemment :
– Bonjour, je me présente, je suis le médecin de garde de l’hôpital. Excusez-moi, je sais que vous attendez depuis longtemps aux urgences. Qu’est-ce qui vous amène ?
– J’ai des brûlures vaginales, cela me gêne énormément.
Je pose diverses questions, notamment sur ces antécédents puis finalement lui demande :
– Je vais vous poser une question indiscrète mais importante : avez-vous eu des rapports sexuels à risque ?
Mon téléphone de garde sonne : «le patient de la chambre 284 fait une crise d’épilepsie, viens vite !».
Je regarde la patiente d’un air désolé et lui dis : «Navrée, nous devrons continuer la consultation plus tard, je dois monter voir un patient à l’étage, cela peut prendre du temps.»
De retour après une situation difficile, plusieurs téléphones, discussions et décisions, je retourne à nouveau dans le box 3.
– Où en étions-nous ? Ah oui, je vous demandais si vous aviez eu des rapports sexuels à risque ?
Mon collègue toque au box : «viens voir, je la sens pas cette situation du patient au box 7, il désature…»
– A nouveau navrée, je reviens, dis-je à la patiente.
Après de longues minutes à tenter d’arranger la situation, je retourne au box 3 :
– Alors j’essaie vainement de poursuivre notre entretien…
Le téléphone de garde retentit une nouvelle fois : «Auriez-vous de la place aux soins intensifs pour un transfert interhospitalier ?»
Je sors du box 3, en faisant signe de la main à la patiente tout en chuchotant : «je ne vous oublie pas».
Après avoir réglé cette affaire en cinq téléphones, je me dirige vers le box 3. Une dame sort du box 5 et m’accoste sur le passage : «Excusez-moi, je sais que cela n’est pas de votre faute, mais cela fait cinq heures qu’on attend, mon mari est sorti du scanner depuis environ trente minutes et on se demandait…» Je lui explique que j’attends le téléphone du radiologue.
Je poursuis mon chemin direction le box 3 et ouvre le rideau. La patiente me regarde, je lui demande si elle se rappelle de la question que je tentais de lui poser, elle me dit : «oui».
Mon téléphone sonne encore, je lève les yeux au ciel, autant désolée qu’exaspérée : «c’est la réception, il y a un patient étrange qui demande à voir le médecin de garde, je ne suis pas rassurée, il a l’air violent et est en train de se déshabiller».
J’accours à la réception en appelant le sécuritas. Plusieurs renforts plus tard, je regagne à nouveau les urgences. Le couloir est long et le téléphone ne s’arrête pas :
«Il n’arrive pas à dormir», «Elle chauffe alors qu’elle est sous antibiotique», «Bonjour, j’aimerais juste prendre des nouvelles de ma sœur qui est arrivée par ambulance ce soir», «Le patient de la 4 des soins a 2.1 de potassium à la dernière gazo», «J’aimerais vous adresser une patiente qui présente une baisse de l’état général…», «Il n’arrive plus à uriner».
Après avoir tenté de régler les détails urgents et reporter les autres demandes, je n’oublie pas le box 3 et tente de m’y diriger. Je passe inévitablement par le centre des urgences :
«jette un coup d’œil à cet ECG, c’est un patient qui vient d’arriver avec des douleurs thoraciques !». Et pour un autre patient : «je l’ai déjà piqué avant que tu le vois, tu veux quoi comme labo ?»
Bon, cette fois, je vais au box 3 d’un pas ferme, j’aimerais terminer cette consultation.
– Voilà, malgré les interruptions, vous auriez compris que je tentais de vous demander si vous aviez eu des rapports sexuels à risque.
Le téléphone me coupe une fois encore, c’est le radiologue pour le patient du box 5, je décroche en sortant du box en montrant mon air, cette fois, dépité.
De retour près du box 3, où je n’ose bientôt plus entrer, je me retrouve face à la patiente :
– Alors donc, heu, j’imagine que vous avez eu le temps de réfléchir à votre réponse ?
Sms du bip SMUR : «trouble de l’état de conscience, Renens».
Je dois vous laisser, dans ces conditions, la fin de ce texte ne peut pas avoir lieu…