Les formations par les MOOC (Massive Open Online Courses) génèrent de nombreux débats : révolution vers une formation pour tous ou risque d’effondrement des universités ? Une formation en santé peut-elle se prêter à cette méthode pédagogique ? Sous quelle forme, avec quels intérêts et quelles limites ? Pour en discuter, voyons l’exemple du MOOC Au cœur de l’hypertension, qui sortira à l’automne 2015, sous l’égide de la Haute école de santé de Genève.
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est sur toutes les lèvres. Elle se veut «un outil majeur de réussite de prise en charge globale, avec une participation entière et éclairée des patients, acteurs de leur santé».1 Elle donne donc l’immense responsabilité aux soignants de rendre le patient acteur de sa santé et capable de mobiliser ses propres ressources. D’autre part, l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des soins par l’ETP n’est plus à prouver, notamment en ce qui concerne l’hypertension artérielle.2
Mais si l’ETP prend une telle place dans l’autodétermination de l’individu, elle nécessite de la part du soignant de nombreuses compétences relationnelles, pédagogiques, organisationnelles et techniques.3 Pourtant, la formation initiale des soignants en ETP n’est pas homogène, ni dans le contenu ni dans le temps consacré. Sur le terrain, les soignants se disent souvent insuffisamment formés pour donner à leurs patients ce réel rôle d’acteur.
L’OMS recommande d’accorder une priorité à l’ETP dans la formation continue des soignants.3 En effet, plusieurs méta-analyses ont clairement montré l’impact positif de la formation à l’ETP sur la modification des pratiques professionnelles.4 Même une simple sensibilisation de chaque soignant serait souhaitable et est encouragée par beaucoup.5
La Haute école de santé de Genève a constaté ces difficultés. Elle s’est donc lancé un défi : innover pour mieux former. Pour cela, et grâce au soutien de la HES-SO (Haute école spécialisée de Suisse occidentale) et du centre e-learning HES-SO Cyberlearn, la Haute école de santé de Genève a pu réunir les compétences de vingt soignants et de trois patients dans un MOOC : Au cœur de l’hypertension.
Ce MOOC s’adresse à tous les soignants : aux étudiants comme aux professionnels aguerris, aux francophones comme aux anglophones, à ceux de professions médicales et à ceux du monde paramédical. Son but ? Leur permettre d’acquérir ou de renforcer leurs compétences dans l’accompagnement du patient souffrant d’hypertension.
Un MOOC est une formation de haute qualité sur internet, gratuite et ouverte à tous (tableau 1). Elle est dispensée par des experts reconnus de la thématique. Les MOOC sont généralement composés :
de courtes vidéos ;
de quizz d’auto-évaluation ;
d’évaluations par les pairs ;
d’un forum de discussion.
Ce nouveau type de formation vise à promouvoir l’enseignement actif pour tous et à développer des communautés de pratique. Il est habituellement destiné au grand public et parfois se spécialise vers une audience plus avertie. Un MOOC n’en demeure pas moins accessible à tous, experts ou curieux.
Ici, nous parlons de MOOC destiné à un public médical ou paramédical, dans le cadre de la formation initiale et/ou continue. L’enseignement des métiers de la santé est constamment challengé par des exigences de qualité, d’actualisation, de coût et de logistique. Le MOOC est donc un format qui répond à la plupart de ces défis et dont l’impact sur les étudiants semble être au moins aussi positif que celui des cours frontaux.6 Sa pertinence en formation continue a par ailleurs été démontrée.7 En outre, les MOOC ne touchent plus des dizaines d’étudiants, mais des dizaines de milliers. Les MOOC ont donc le potentiel de modifier fondamentalement la formation initiale et continue, partout dans le monde.
Le MOOC a-t-il sa place en formation médicale et paramédicale ? Le British Medical Journal en débat et il soutient cette innovation mais rend attentif au fait qu’un MOOC ne peut être une alternative complète à la formation médicale. Certaines universités ont déjà pris le tournant MOOC. Plus de 200 cours liés à la formation en santé ont été ouverts : les MOOC séduisent les professionnels de la santé dans la formation initiale et continue et les publications récentes exposent des résultats très prometteurs.7
Le MOOC Au cœur de l’hypertension a pour but de soutenir les compétences du soignant dans l’accompagnement de l’individu souffrant d’une hypertension artérielle. Il dure six semaines et est composé :
d’une heure de vidéo par semaine, divisée en vidéos courtes de 5-10 minutes ;
de quizz après chaque vidéo ;
de trois devoirs à rendre, corrigés par les pairs.
En croisant les regards de sept professions de santé et le ressenti de trois patients simulés, ce MOOC est une formation conduite par des experts à la fois synthétique, approfondie et illustrée. Le teaser vidéo est disponible : www.youtube.com/watch?v=zLTbvKdAhe8
D’abord, nous avions à cœur de prendre en compte les croyances, les craintes et les ressources du patient. La formation se centre donc sur le vécu du patient.
Elle propose ensuite un regard pluridisciplinaire (tableau 2), indispensable pour une prise en soins globale. Cette orientation, au-delà de croiser des métiers, croise des expertises et permet d’aborder des sujets transversaux : par exemple l’importance du niveau de littéracie en santé du patient (aptitude du patient à comprendre et à utiliser les informations de santé, et à les appliquer à sa propre situation) (tableau 3).
Enfin, un fil rouge motivationnel soutient la participation des apprenants tout au long de la formation : un apprenant fictif intervient régulièrement pour synthétiser ou illustrer le contenu et animer la communauté d’apprenants.
Nous l’avons vu, les MOOC suscitent un grand intérêt, notamment dans la communauté de la santé : la diffusion gratuite et massive d’un savoir de qualité fait rêver. Mais comment aller vers le développement de compétences et la création d’une communauté de pratique ? Pour celà, quatre options pédagogiques ont été prises.
La pédagogie de maîtrise (masterning learning) est une stratégie pédagogique qui repose sur l’hypothèse que tout apprenant peut arriver à une maîtrise quasi totale des notions enseignées si on lui laisse suffisamment de temps d’apprentissage et qu’on utilise des moyens adéquats. Elle implique donc que l’étudiant acquiert une notion avant de découvrir la suivante et qu’il apprenne pas à pas.8 C’est ce qui est favorisé avec l’utilisation de vidéos progressives. La pédagogie de maîtrise permet donc à chacun d’avancer à son rythme et de valider chaque étape de sa compréhension avant d’avancer à l’étape suivante.9
La retrieval practice, ou l’effet de test, a pour postulat que tester sa mémoire améliore plus la rétention d’informations à long terme que le fait de réétudier les informations.10 Les tests servent donc non seulement à mesurer la mémorisation d’une information par l’apprenant mais améliorent aussi l’apprentissage et la mémorisation à long terme. C’est sur cette théorie que s’est basé le MOOC Au cœur de l’hypertension. Chaque vidéo est donc suivie d’un quizz formatif permettant à l’étudiant de s’assurer de sa compréhension avant de passer au chapitre suivant (pédagogie de maîtrise) et de stimuler sa mémoire à long terme.
L’évaluation par les pairs est une méthode d’évaluation largement utilisée dans les MOOC. A chaque fois qu’un participant soumet un devoir, il est corrigé par cinq autres apprenants selon des critères définis par les experts. Lui-même doit corriger à son tour cinq devoirs. La note finale du participant est la moyenne des cinq notes qui lui ont été attribuées. L’évaluation par les pairs permet d’atteindre rapidement un niveau élevé d’appropriation des connaissances, d’améliorer ses propres compétences, notamment dans un domaine où les points de vue enrichissent la pratique.6 Dans une perspective à plus long terme, cette dimension d’évaluation par les pairs tend à développer une capacité d’auto-analyse chez le soignant, nécessaire sur le terrain, tant dans le domaine de l’entretien que dans tous les autres actes de soins proposés au patient.
L’utilisation du forum est nécessaire pour remplacer l’interaction présentielle enseignant-étudiants et étudiant-étudiant. Le forum est connu pour être un facilitateur significatif d’actions collaboratives.11 Considérant la théorie socioconstructiviste selon laquelle l’étudiant apprend autant par l’interaction avec les autres qu’avec un cours magistral,12 le forum est indispensable. De plus, un MOOC rassemble des professions, des nationalités et des cultures de soins, qui s’enrichissent d’être partagées et peuvent se lier au-delà du temps du MOOC dans une communauté de pratique.
La plupart des stratégies pédagogiques employées sont semblables à celles utilisées en éducation thérapeutique par le soignant (tableau 4) : l’approche axée sur l’empowerment est au cœur des préoccupations pédagogiques et soignantes.
Il y a dix ans, aurait-on imaginé de telles innovations dans le partage de la connaissance à travers le monde ? Probablement pas. Mais cette générosité pédagogique présente quelques freins à une utilisation incontestable.
D’abord, et particulièrement pour la santé, la rapidité d’évolution des contenus nécessite des ajustements très fréquents et donc la réalisation de nouvelles séquences vidéos.
Ensuite, sous un aspect de diffusion très large, un MOOC exige malgré tout un certain degré d’alphabétisation numérique et une connexion internet adaptée. Ce type de formation n’est donc pas accessible à toutes les catégories sociales et économiques et n’est pas réellement sans frontières.
En outre, un MOOC demande du temps et des efforts aux participants, notamment une capacité à autoréguler son apprentissage. C’est pourquoi, le taux d’achèvement des MOOC est connu pour être très bas (5-15% des participants inscrits), mais cela ne signifie pas que le reste des participants ait arrêté de suivre les vidéos.
Les MOOC sont-ils seulement un effet de mode ou vont-ils transformer de façon définitive le monde de la formation, en particulier en santé ? Vont-ils modifier la médecine, comme se le demande le British Medical Journal ?13
Les avantages des MOOC sont indéniables pour l’apprenant : gratuité, facilité d’accès, utilisation de technologies médias qui rendent la formation attractive… Ses inconvénients, objectivés par le taux d’abandons très élevé et la difficulté à mesurer l’impact de la formation,14 ont déjà amené certaines évolutions : apparition de MOOC plus connectivistes, évitant de laisser l’apprenant seul face à son écran, intégration du MOOC au sein d’un processus d’apprentissage plus complet (par exemple en classe inversée, c’est-à-dire lors de l’utilisation du MOOC pour la partie théorique d’une classe inversée, où l’apprenant suit le cours chez lui et retrouve l’enseignant pour les questions ou l’application du cours). Côté santé, on peut parler d’une avancée vers l’empowerment du grand public grâce à des MOOC d’enseignement en santé (nutrition, activité physique). Ils donnent un rôle actif à l’individu, en cherchant à l’accompagner dans la réalisation de son plein potentiel de santé.
Au-delà même du contenu formel apporté par une telle formation, le MOOC est aussi l’occasion :
de créer une communauté de pratique, utile à l’échelle individuelle comme collective ;
d’amener l’apprenant vers une transformation de son identité professionnelle ;15
de créer une dynamique d’autoformation continue pour tous et en tous temps.
Enjeux de visibilité entre universités ou réelle volonté de diffuser le savoir ? Ce qui est sûr, c’est que l’enseignement et la santé passent désormais par la révolution numérique et que les MOOC sont probablement une porte d’entrée à un nouveau rapport à la connaissance.