«Détenir la compétence décisionnelle signifie porter la responsabilité. Par ailleurs, la compétence décisionnelle exige la confiance ; la confiance des patients, de l’équipe thérapeutique, mais aussi la confiance des confrères.» Ainsi débutait le rapport de gestion 2014 de la FMH sous la plume de son président, Jürg Schlup.
Travailler ensemble, en équipe, avec la même volonté d’une prise en charge optimale, centrée sur le patient, est une évidence pour chacun : c’est l’une des priorités de notre association. Cela impose une coordination de tous les intervenants.
Trop à la mode, l’interprofessionnalité est un thème qui risque d’être galvaudé. En matière de politique de la santé, la rentrée est marquée par la consultation sur l’avant-projet de modification de la LAMal, qui est issu de l’initiative parlementaire Joder 11.418 LAMal qui entend accorder plus d’autonomie au personnel soignant. Ce projet de loi est une fausse bonne idée. Il doit être rejeté, car il n’apporterait qu’un affaiblissement de la coordination des soins, une dilution dangereuse de la responsabilité tant civile que pénale et une augmentation prévisible des coûts en l’absence de monitorage. Comme le dit un proverbe portugais : Quand deux personnes sont responsables, plus personne n’est responsable.
… Réduire le rôle du médecin de premier recours pour faire place à une gestion autonome par des acteurs multiples est une erreur …
Pis, le médecin pourrait se voir demander «d’assumer a posteriori la responsabilité d’actes qu’il n’a ni effectués lui-même, ni délégués. Sans dispositions légales claires, des conflits seront inévitables», comme le souligne le Dr Pierre-Alain Schneider, président de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR), dans sa réponse à la consultation sur ce projet de loi.
Nous ne pouvons accepter un projet de loi qui néglige la supervision médicale des soins et qui par conséquent pourrait entraîner un retard, voire des lacunes, dans la prise en charge médicale des patients. La Fédération des entreprises romandes (FER) le rejette également.
Notre association reste favorable au développement et au renforcement de l’interprofessionnalité. L’AMG vient de collaborer activement avec l’Office pour la formation professionnelle et continue (OFPC) dans son projet de créer à Genève une formation duale pour les apprentis assistants médicaux et soutient l’accès pour cette profession à une formation complémentaire avec obtention d’un brevet fédéral de coordinateurs en médecine ambulatoire, orientation clinique ou gestion. Cette formation mènera à un métier qui s’inscrit clairement sous la supervision et la responsabilité économique et professionnelle du médecin.
Dans la même idée de soutien à une amélioration des connaissances de chaque professionnel dans son métier, nous nous réjouissons de la création de filières académiques pour les infirmiers avec des niveaux bachelor et master. Ces nouvelles exigences promeuvent cette profession vers plus de compétences et d’autonomie, là encore sous la coordination du médecin. Pour ces deux professions, incontournables dans la chaîne des soins et pour les patients, il est indispensable que ces parcours professionnels ne se fassent pas au détriment de la pratique quotidienne et du terrain, ce qui entraînerait de fait une pénurie de professionnels auprès des patients. Tout développement de la collaboration interprofessionnelle se doit d’inclure le patient comme partenaire. Autour de lui et pour l’excellence de la prise en charge des soins, les responsabilités doivent être explicitement définies.
L’AMG ne peut par contre soutenir l’idée proposée par les trois rectorats (UniL, UNIGE, HES-SO) de créer un «praticien en santé intégrée» proche du médecin généraliste, mais hors de sa responsabilité. Le Conseil de notre association avait rejeté avec fermeté en novembre 2012 cette volonté de former des coordinateurs-managers qui se substitueraient aux médecins sans avoir la formation adéquate, les capacités décisionnelles ni la responsabilité. Certains collègues, comme le Dr M.-A. Raetzo, appellent à une fragmentation du système de santé, mais en soulignant l’importance du médecin traitant et le fait que toute coordination des soins «devra s’appuyer sur les médecins de premier recours en pratique.» L’optimalisation du travail, ou interprofessionnalité, implique une meilleure reconnaissance des compétences respectives des autres partenaires : chaque profession de la santé possède une spécificité qui doit être reconnue et valorisée. Mais cela impose aussi des limites à l’autonomie qui sont dictées par la formation et les compétences médicales globales.
Le rôle central du médecin de famille, en tant que prescripteur et coordinateur, permet de limiter les interventions lacunaires ou redondantes. Il est le meilleur garant de la coordination optimale des soins et de leurs coûts : de la pose du diagnostic jusqu’aux thérapeutiques adaptées, en passant par les examens adéquats et non superflus. Réduire le rôle du médecin de premier recours pour faire place à une gestion autonome par des acteurs multiples est une erreur. Car nous assisterons immanquablement à une augmentation du volume global des prestations, donc des coûts : l’ensemble du système sera piégé. L’AMG collabore avec de nombreux acteurs du système de santé. L’interconnexion quotidienne avec l’Institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) est un exemple significatif de l’importance du rôle de chacun dans une prise en charge centrée sur le patient et optimalisée. Notre action a pour dessein de tirer le meilleur de chaque professionnel et d’avoir une volonté commune d’améliorer l’efficience de la collaboration entre professionnels de la santé dans le but d’accroître la qualité des soins et de mieux maîtriser les coûts.
L’annonce dans les médias que l’assureur SWICA souhaite pousser ses clients à passer par le pharmacien dit de premier recours (!) a fâché. Encore une fausse bonne idée et de fausses promesses d’économies en substituant le rôle central du médecin véritablement de premier recours. La pratique des pharmaciens de proposer des «Cardio-Test», des tests d’allergies ou d’intolérance au gluten, de cholestérol ou encore de dépistage du cancer du côlon n’a pas lieu d’être : quelle est la capacité clinique d’un pharmacien ? Quand nos partenaires ont-ils examiné un malade sous la supervision d’un tiers ? Ne mélangeons pas les compétences ! Sinon demain les médecins demanderont à faire des préparations magistrales ou à délivrer des médicaments.
L’interprofessionnalité, c’est autre chose, ce n’est en tout cas pas travailler dans les domaines de compétences d’autres prestataires de soins : c’est œuvrer ensemble dans le respect du profes-sionnalisme de chacun et au service du patient. Comme le dit fort justement Jürg Schlup : «Il serait dommage de fragmenter les responsabilités jusqu’à les rendre moins transparentes pour le patient.»