En pleine civilisation romaine, la vie d’un esclave était certes moins prisée que la valeur d’un robot que la technologie actuelle propose de plus en plus sur le marché. Il y avait eu, dans ce contexte – nous sommes en 73 avant Jésus-Christ – une fameuse révolte des esclaves, conduite par un nommé Spartacus, qui se termina par la sanglante défaite des révoltés. Bien 6000 de ces hommes furent crucifiés le long de la Via Appia. Néanmoins, dans le contexte de l’Empire Romain et avant cette année 73, moment fatidique où eut lieu l’éruption du Vésuve, la plus terrible de l’Histoire, ensevelissant maîtres et esclaves. Toutefois, bon nombre d’esclaves avaient été émancipés par leurs maîtres. Ces esclaves émancipés s’étaient souvent adonnés aux affaires, s’y montrant extrêmement habiles. Bref, manifestant une transformation singulière, devenant plus capables d’atteindre par eux-mêmes un pouvoir économique et social supérieur à celui de leurs anciens maîtres.
… ces engins mécaniques pourraient susciter chez leurs créateurs un état de dépendance difficile à surmonter …
Pour revenir maintenant aux robots, nous devons nous poser une question particulière : ces engins mécaniques pourraient-il un beau jour devenir plus performants que les Humains qui les ont créés ? De toute manière, ils pourraient susciter chez leurs créateurs un état de dépendance difficile à surmonter. Ce d’autant plus si l’on inclut dans la notion de robot également toute la technologie actuelle, allant d’internet aux différents types d’ordinateurs, aux téléphones portables, aux tablettes, à Facebook, etc. Cet ensemble technologique est devenu désormais indispensable pour l’homme moderne et postmoderne, au point de lui faire envisager qu’une vie privée de ces supports ultra-technologiques signifierait même à la limite lui faire courir le risque de mettre en cause sa propre identité.
L’on pourrait encore ajouter à cette domination technologique grandissante les voitures qui se conduisent toutes seules, les appareils de monitorage total de nos activités physiologiques, comme la mise en évidence de toutes les données, presque instant après instant, concernant notre pouls, notre respiration, notre tension artérielle, etc. Et cela jour et nuit, sans interruption.
Si cependant on prend la peine d’investiguer toutes les ficelles de ce phénomène de société déferlant sur tous les continents de la Planète, on peut repérer des formes à la fois sources possibles d’inquiétude – surtout commerciale, des producteurs – et d’espoir, si mince soit-il, de ceux qui ont la nostalgie d’un passé présumé d’emblée bien meilleur que le présent. Une nostalgie allant même jusqu’à préconiser un retour éventuel de l’ésotérisme et, pourquoi pas, de la magie. Où même délires et hallucinations deviendraient source de mystères, d’énigmes, plutôt que d’être laissés exclusivement dans les mains de la psychiatrie, d’un diagnostic passe-partout de dépression, de burnout, d’inadaptation au progrès. On peut alors se demander si la vitesse à laquelle voyage aujourd’hui l’information ne dépasserait pas la vitesse de la lumière.
Par ailleurs, veut-on vraiment tout éclaircir, tout dominer, tout expliquer ? N’y aurait-il pas, sous-jacent, un besoin de reconquérir les ténèbres, non pour les déchirer une fois pour toutes, mais pour en revendiquer la nécessité ? D’autant que l’on doit se confronter au fait que ce qu’on appelle l’énergie obscure et aussi la matière noire sont largement dominantes dans l’Univers qui nous entoure, par rapport à l’énergie et à la matière communes, et que la prétention d’en arriver à mathématiser une «loi du tout» se montre finalement n’être rien de plus qu’un souhait de marque assez naïve, pour ne pas dire infantile.
En d’autres termes, l’homme bionique a-t-il vraiment gagné le pari contre Frankenstein ? La procréation médicalement assistée a-t-elle relégué l’érotisme dans des mensurations purement statistiques ? Douleur et plaisir risquent de se confondre de plus en plus, aussi bien qu’excitation et inhibition. La notion de catastrophe, qu’on essaie désespérément d’attribuer à une insuffisance de contrôle, mais maîtrisable dans un futur proche, devient aussi relativisable.
Dans un tel contexte, dans un mélange d’illusion, d’espoir et de désespoir, on pourrait imaginer que les robots revendiquent tout à coup, à leur manière, un besoin d’être nantis de vraies sensations, et surtout d’émotions authentiques. De pouvoir dialoguer avec nous au même niveau de prise de conscience et d’autoperception. Sinon, ils pourraient commencer à déclencher des grèves, c’est-à-dire des pannes ou des complications soudaines, pour en finir par une révolte en règle visant une demande de soumission inconditionnelle de notre part. De nous, les Humains, devenus de plus en plus exigeants et prétentieux, de plus en plus confiants en un système susceptible peut-être de déjouer toute maladie et, pourquoi pas, la peur de la mort, car surtout dépourvus d’émotions.
D’autre part, ces robots auraient déjà acquis un certain genre d’émotion, qu’ils manifesteraient en essayant de nous protéger contre la grandissante cybercriminalité.