L’association de contractions utérines et d’un col de l’utérus raccourci chez une femme enceinte avant 37 semaines de grossesse est un facteur de risque très important pour un accouchement prématuré. A l’heure actuelle, aucun traitement n’a prouvé son efficacité pour diminuer le risque d’accouchement prématuré chez ces patientes.La progestérone vaginale, administrée de façon prophylactique, s’est révélée efficace pour réduire le risque d’accouchement prématuré chez des femmes asymptomatiques (sans contractions utérines) avec un antécédent d’accouchement prématuré ou avec un col de l’utérus court avant 24 semaines. Malheureusement, l’efficacité de la progestérone vaginale n’a pas été démontrée chez les femmes avec une symptomatologie de menace d’accouchement prématuré. Un essai clinique récent a suggéré un effet délétère de la progestérone chez ces femmes.
L’accouchement prématuré (AP) (accouchement avant 37 semaines d’aménorrhée (SA)) est la principale cause de mortalité et de morbidité périnatales. Malgré tous les efforts pour identifier les femmes à haut risque de donner naissance à un enfant prématuré (antécédent d’AP, poids maternel < 50 kg, etc.), le taux d’AP n’a pas diminué de façon notable depuis 30 ans. Il représente entre 7 et 11% de l’ensemble des accouchements dans les pays développés et ce taux est encore plus élevé dans les pays en voie de développement où la morbi-mortalité des enfants nés prématurément est supérieure.1 Ce taux est aussi approximativement de 10% à la Maternité de Genève, qui accueille toutes les grossesses à risque de la région. La réduction de la mortalité périnatale durant les vingt dernières années est due principalement aux progrès de la prise en charge néonatale, plus qu’au traitement du travail prématuré.
La menace d’accouchement prématuré (MAP) survient entre 22 et 36 SA révolues. Elle se caractérise par l’association de contractions utérines (CU) régulières et douloureuses et de modifications cervicales qui conduiront dans environ 50% de cas à un AP. La MAP est la première cause d’hospitalisation pendant la grossesse. Sa prise en charge consiste à rechercher son étiologie (c’est-à-dire, infection urinaire…) et à mettre en place un traitement tocolytique afin d’arrêter les contractions utérines et d’induire la maturation pulmonaire fœtale par des corticostéroïdes (figure 1).2 Aucun traitement tocolytique n’a cependant montré d’efficacité pour éviter l’AP en cas de menace.
En revanche, des études récentes ont démontré le rôle de la progestérone dans la prévention de l’AP chez certaines populations à haut risque.
La progestérone est sécrétée en début de grossesse par le corps jaune puis par le placenta. Elle prévient le début du travail en inhibant les contractions utérines (quiescence myométriale), en s’opposant aux effets de l’ocytocine et des prostaglandines et elle a une action sur le col utérin. Chez l’animal, la suppression de la progestérone (chute naturelle ou action des antiprogestérones tels que la mifépristone (RU 486)) est immédiatement suivie du déclenchement de la parturition.3 Dans l’espèce humaine, il n’y a pas de chute de progestérone avant l’accouchement, cependant la mifépristone, qui a une action antiprogestérone, est capable d’induire un avortement.
Plusieurs mécanismes d’action pourraient permettre à la progestérone de prévenir l’AP : en réduisant la synthèse des prostaglandines et des cytokines pro-inflammatoires par les membranes et le placenta (diminution de la production de IL-6 induite par les lipopolysacharides bactériens), par changement de l’expression des récepteurs à la progestérone, en stimulant la transcription de protéines qui inhibent la contraction utérine et le gène des récepteurs à l’ocytocine, par réduction de la dégradation du stroma cervical, en renforçant la barrière cervicale aux infections ascendantes, par réduction de la réponse inflammatoire de la décidue, et enfin en altérant la synthèse des œstrogènes par le placenta et les membranes.4
La voie d’administration de la progestérone est orale, intramusculaire ou vaginale. La voie transdermique est déconseillée, en raison de la mauvaise perméabilité de la peau à la progestérone et à sa dégradation immédiate par la 5α-réductase en métabolites, avec des effets neuropsychologiques néfastes.5 La voie orale est suboptimale car 90% de la dose ingérée sont inactivés après son premier passage hépatique, ce qui conduit à une administration de doses massives (1 g) afin d’obtenir une action sur l’utérus. L’apparition de cas de cholestase hépatique a cependant empêché l’utilisation de progestérone par voie orale à des doses élevées pendant la grossesse. La voie intramusculaire nécessite des injections de progestérone diluée dans de l’huile (excipient) qui doivent être répétées tous les jours, ce qui n’est pas pratique. En outre, ces injections sont douloureuses et susceptibles de provoquer des abcès stériles.
La progestérone vaginale a l’avantage de permettre des concentrations dans l’utérus bien supérieures au niveau périphérique plasmatique. En outre, elle est bien tolérée et son coût est très faible, ce qui en fait une excellente option pour envisager son utilisation en prophylaxie pour l’AP et le traitement du travail prématuré.
En 2003, deux essais cliniques randomisés contrôlés (ECR) de grande envergure ont été publiés concernant l’évaluation de la progestérone dans la prévention de l’AP en cas de grossesse unique à haut risque d’AP en raison d’un antécédent d’AP ou de fausse couche tardive.6,7 Par la suite, plusieurs études ont été effectuées dans cette population et ont été résumées dans une revue Cochrane en 2013.8 On y décrit une réduction significative du risque d’AP < 34 semaines (RR : 0,15 ; IC 95% : 0,04-0,64) ainsi que du poids de naissance < 2500 g (RR : 0,64 ; IC 95% : 0,49-0,83) chez les femmes avec un antécédent d’AP traitées avec de la progestérone. Une recommandation, fondée sur ces résultats, préconise l’utilisation de la progestérone (gel vaginal à 90 mg ou des suppositoires vaginaux à 200 mg, entre 16 et 36 semaines révolues ou jusqu’à l’accouchement s’il arrive avant) chez des femmes avec un antécédent d’AP ou de fausse(s) couche(s) tardive(s).9
Néanmoins, passablement de femmes accouchant avant terme n’ont pas d’antécédent d’AP ni de fausse couche tardive. C’est pourquoi, les chercheurs ont évalué d’autres caractéristiques capables d’identifier les femmes à risque élevé d’AP. Un raccourcissement de la longueur cervicale diagnostiqué par une mesure échographique endovaginale du col en est un exemple. La progestérone vaginale a démontré son efficacité chez des femmes présentant un col de l’utérus court lors du dépistage échographique du deuxième trimestre (19-22 semaines). Les résultats de ces études ont été analysés dans une revue systématique et une méta-analyse. Romero et coll. ont trouvé une réduction significative du taux d’AP avant 33 semaines de gestation chez des femmes asymptomatiques avec un col de l’utérus m 25 mm traitées avec de la progestérone vaginale comparée au placebo. Selon ces résultats, traiter onze femmes dont le col de l’utérus est court avec de la progestérone vaginale permettrait d’éviter un AP avant 35 semaines.10
Récemment, la Société de médecine materno-fœtale (SMFM) américaine a suggéré que les femmes asymptomatiques dont le col est ≤ 20 mm puissent être traitées avec de la progestérone.9 Néanmoins, il n’y a pas eu de recommandation concernant un dépistage systématique de la longueur cervicale chez toutes les femmes enceintes. En effet, il faudrait 200 échographies cervicales préventives pour éviter un seul cas d’AP, sans compter les risques des surtraitements (cerclage, alitement, maturation pulmonaire fœtale, etc.).
Les résultats de ces études préventives renforcent l’hypothèse que la progestérone pourrait aussi réduire l’AP dans le groupe de femmes à plus haut risque, dont les femmes avec une MAP.
La progestérone avait été étudiée dans les années 70 comme tocolyse initiale ou associée à la tocolyse (ritodrine) et n’avait pas montré d’efficacité dans ces deux circonstances. Suite aux études mentionnées plus haut, démontrant l’efficacité de la progestérone prophylactique chez les femmes à haut risque, celle-ci a commencé à être largement prescrite chez les patientes ayant une MAP, malgré le manque d’évidence de son efficacité.
Des études plus récentes ont évalué l’efficacité de la progestérone chez les femmes symptomatiques présentant une MAP et traitées avec une tocolyse aiguë (durée du traitement acceptée de 48 heures). La progestérone a été administrée soit de façon concomitante à la tocolyse aiguë et comme maintien après son arrêt, soit seulement en tant que tocolyse d’entretien. En effet, des études avaient démontré l’effet synergique de la progestérone quand elle est administrée conjointement à la tocolyse aiguë, d’où l’intérêt de son administration concomitante.11
Curieusement, certaines de ces études ont démontré quelques bénéfices (diminution de la quantité de bêtamimétiques administrée ou même, efficacité en tant que tocolyse aiguë), chez les femmes avec MAP en utilisant la progestérone par voie orale. A noter qu’il s’agit d’études de petite taille (44, 57, et 90 femmes), de mauvaise qualité scientifique, avec des issues intermédiaires. De plus, l’utilisation de la progestérone par voie orale durant la grossesse est contre-indiquée à des doses pouvant être efficaces, car elle est associée avec un risque accru de cholestase gravidique.12–14
Durant les dernières années, des études ont évalué la progestérone par voie vaginale chez les femmes avec MAP. Bomba Opon et coll., dans une étude rétrospective, ont évalué l’efficacité de la progestérone vaginale (100 mg 2 x/jour) chez des femmes avec des contractions utérines et traitées avec une tocolyse aiguë.15 Dans cette étude, l’âge gestationnel à l’accouchement n’était pas différent entre les groupes progestérone et sans traitement. Par contre, une différence de risque d’AP avant 34 semaines a été démontrée en faveur de la progestérone vaginale (16 (9,8%) vs 22 (35,3%) ; p = 0,002). A noter qu’il s’agit d’une étude rétrospective, observationnelle, sans placebo et de petite taille (190 femmes), ce qui remet en question la validité de ces résultats.
Le tableau 1 offre un résumé des études prospectives, randomisées, ayant évalué la progestérone par voie vaginale.16–18 Comme on peut le constater, la majorité de ces études ont montré un bénéfice en faveur de la progestérone vaginale chez les femmes avec MAP. Cependant, toutes les études, sauf celle publiée dans le BJOG en 2015 et coordonnée par le Service d’obstétrique des HUG, étaient de petite taille, la majorité sans comparaison à un placebo et incluant des femmes à des âges gestationnels auxquels le traitement tocolytique aigu n’est actuellement pas recommandé (recommandation entre 24 et 33 semaines révolues).
Quatre de ces études, incluant entre 52 et 183 femmes et ayant utilisé la progestérone exclusivement comme traitement d’entretien, c’est-à-dire après l’arrêt des contractions utérines par la tocolyse aiguë, ont été incluses et évaluées dans une récente méta-analyse publiée dans l’American Journal of Obstetrics & Gynecology. Selon cette méta-analyse, les femmes avec MAP ayant reçu la progestérone par voie vaginale après l’arrêt du travail par la tocolyse avaient un risque plus bas d’AP avant 37 semaines (42% vs 58% ; RR : 0,71 ; IC 95% : 0,57-0,90 ; 3 études, 298 femmes). De même, les femmes ayant reçu la progestérone vaginale avaient une latence entre l’épisode de MAP et l’accouchement prolongée (différence moyenne de 13,8 jours ; IC 95% : 3,97-23,63 ; 4 études, 368 femmes), un âge gestationnel plus avancé à l’accouchement (différence moyenne 1,29 semaine : IC 95% : 0,43-2,15 ; 4 études ; 368 femmes), un taux plus bas de récurrence de la MAP (24% vs 46% ; RR : 0,51 ; IC 95% : 0,31-0,84 ; 2 études 122 femmes) ainsi qu’un taux de sepsis néonatal plus bas (2% vs 7% ; RR : 0,34 ; IC 95% : 0,12-0,98 ; 4 études, 368 femmes).
Nous avons publié en 2015 l’étude 4P, le plus grand ECR, multicentrique, en double aveugle, contrôlé par placebo concernant le traitement de la menace d’AP par la progestérone vaginale. Réalisé en Suisse (9 hôpitaux universitaires) et en Argentine (20 hôpitaux), sa taille d’échantillon était de 379 femmes (193 dans le groupe progestérone et 186 dans le groupe placebo) : 42,5% des femmes du groupe progestérone ont accouché prématurément, contre 35,5% dans le groupe placebo (RR : 1,2 ; IC 95% : 0,93-1,5). Aucune différence significative entre les groupes n’a été démontrée concernant l’accouchement avant 32 semaines, avant 34 semaines et la morbidité néonatale. Curieusement, une fois exclus les AP indiqués pour indication maternelle ou fœtale, les femmes du groupe progestérone avaient un risque plus élevé d’AP spontanés (RR : 1,4 ; IC 95% : 1,04-1,88 ; p = 0,03).
Une analyse secondaire de l’étude 4P a démontré qu’en Suisse, par rapport au groupe placebo, le risque d’accouchement spontané dans les quatorze jours et les naissances prématurées < 37 semaines étaient plus grands dans le groupe progestérone. Selon ces deux analyses, traiter une MAP par de la progestérone vaginale pourrait avoir un effet délétère.19
En revenant aux conclusions de la méta-analyse, les auteurs ont décidé de ne pas inclure l’étude 4P, laquelle à elle seule a plus de cas (385 inclus et 379 évalués) que la totalité des femmes incluses dans leur article, avec l’argument que la progestérone vaginale n’était pas administrée comme tocolyse d’entretien (introduction après l’arrêt du travail par la tocolyse aiguë). En effet, dans l’étude 4P, le traitement de progestérone vaginale était débuté durant les premières 48 heures du début du traitement tocolytique aigu, une fois la patiente stabilisée et les contractions diminuées ou arrêtées, et continué jusqu’à 36 semaines de grossesse ou jusqu’à l’accouchement s’il survenait avant. L’objectif d’initier la progestérone vaginale durant la tocolyse aiguë était d’évaluer si elle permettait de diminuer la durée ainsi que la dose du traitement tocolytique aigu. Aucun de ces effets n’a été démontré. Quand on regarde l’efficacité de la progestérone vaginale en tenant compte des résultats de toutes les études récentes, on peut voir qu’elle n’est pas efficace chez les femmes avec MAP (tableau 1).
Selon la littérature médicale actuelle, la progestérone ne devrait pas être administrée comme tocolyse d’entretien chez les femmes présentant une MAP. Aucun avantage n’a été démontré et des inconvénients ne sont pas exclus. Les résultats de nouvelles grandes études randomisées et contrôlées par placebo seront bientôt publiés.
En résumé, chez une patiente présentant une MAP, les traitements par progestérone n’ont pas démontré leur efficacité que ce soit en tocolyse initiale, associée ou de maintien.20
La progestérone a une place de choix dans la prévention de l’AP chez les patientes enceintes d’une grossesse unique asymptomatique mais présentant un col court à l’échographie, ainsi que chez les patientes enceintes de grossesse unique avec des antécédents d’AP ou d’avortement tardif (quelle que soit la longueur du col à l’échographie).
Malheureusement, la progestérone vaginale n’est pas efficace comme traitement d’entretien chez les femmes ayant eu un épisode de menace d’AP maîtrisé et elle pourrait même être dangereuse.
Le Pr B. Martinez de Tejada a reçu une bourse du laboratoire Besins. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La prophylaxie par la progestérone vaginale est recommandée chez les femmes avec antécédent d’accouchement prématuré (AP) ou de fausse couche tardive et chez celles avec une longueur du col de l’utérus court à l’échographie morphologique, ou avant 24 semaines
> La progestérone par voie vaginale n’est pas recommandée chez les femmes avec une menace d’AP, et elle pourrait même être dangereuse dans ce contexte
La progestérone par voie orale ne doit pas être utilisée dans la prévention de l’AP due à sa pharmacodynamique particulière
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche Medline des articles publiés en anglais ou en français depuis 1981 dans le domaine de l’obstétrique et en particulier de l’accouchement prématuré. Les articles ont été inclus dans la liste des références s’ils présentaient une approche originale pour chacune des sections principales de la revue ou couvraient les sujets suivants : accouchement prématuré, rôle de la progestérone dans la grossesse, formulations de la progestérone, efficacité de la progestérone chez les femmes avec un antécédent d’accouchement prématuré, efficacité de la progestérone chez les femmes avec un col court, efficacité de la progestérone chez les femmes avec une menace d’accouchement prématuré.
Les deux mots-clés principaux utilisés pour la recherche étaient «preterm birth» et «progesterone». Un sous-ensemble de critères a été simultanément utilisé avec ces deux termes, il comprenait les mots-clés suivants : «vaginal progesterone», «preterm labor», «tocolysis», «maintenance tocolysis», «prevention», «preterm delivery» et «preterm birth».
L’association de contractions utérines et d’un col de l’utérus raccourci chez une femme enceinte avant 37 semaines de grossesse est un facteur de risque très important pour un accouchement prématuré. A l’heure actuelle, aucun traitement n’a prouvé son efficacité pour diminuer le risque d’accouchement prématuré chez ces patientes.La progestérone vaginale, administrée de façon prophylactique, s’est révélée efficace pour réduire le risque d’accouchement prématuré chez des femmes asymptomatiques (sans contractions utérines) avec un antécédent d’accouchement prématuré ou avec un col de l’utérus court avant 24 semaines. Malheureusement, l’efficacité de la progestérone vaginale n’a pas été démontrée chez les femmes avec une symptomatologie de menace d’accouchement prématuré. Un essai clinique récent a suggéré un effet délétère de la progestérone chez ces femmes.