Cette rubrique présente les résultats d’une revue systématique récente telle que publiée dans la Cochrane Library (http://www.thecochranelibrary.com). Volontairement limité à un champ de recherche circonscrit, cet article reflète l’état actuel des connaissances de ce domaine. Il ne s’agit donc pas de recommandations pour guider la prise en charge d’une problématique clinique considérée dans sa globalité (guidelines). Les auteurs de ce résumé se basent sur la revue systématique et ne remettent pas en question le choix des articles inclus dans la revue.
Vous suivez un patient de 71 ans connu pour un diabète et une hypertension bien contrôlés, ainsi qu’une insuffisance rénale chronique de longue date, progressive, actuellement sévère (créatinine à 267 μmol/l, taux de filtration glomérulaire estimé (TFGe) à 21 ml/min/1,73 m2). Son état général est bon, son poids est stable et il ne présente pas de symptômes urémiques.
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est définie par un taux de filtration glomérulaire (TFGe) inférieur à 60 ml/min/1,73 m2 ; elle inclut également les patients qui ont une atteinte rénale structurelle (par exemple polykystose) ou fonctionnelle (par exemple micro-albuminurie) sans atteinte de la filtration glomérulaire (c’est-à-dire TFGe normal).
L’IRC est fréquente et touche ~10-15% de la population générale adulte ; parmi ces personnes avec IRC, 1 à 2% vont progresser jusqu’à un stade d’insuffisance rénale terminale (IRT) (TFGe < 15 ml/min/1,73 m2) nécessitant un traitement de suppléance rénale (hémodialyse, dialyse péritonéale, transplantation). L’IRT est associée à une morbidité et une mortalité élevées, à une qualité de vie altérée et à des conséquences logistiques et financières importantes. Il est ainsi nécessaire de baser la décision du moment auquel il faut référer le patient avec une insuffisance rénale préterminale, à un néphrologue, sur des preuves solides.
L’objectif de cette méta-analyse était de déterminer si le fait d’adresser de façon précoce les patients avec une IRC préterminale à un néphrologue avait un impact sur la mortalité, la durée de l’hospitalisation à l’initiation de la dialyse et la qualité de vie. Tandis qu’une consultation néphrologique survenant entre un et six mois avant le début de la dialyse était considérée comme «précoce», une consultation survenant moins d’un à six mois avant la dialyse était considérée comme «tardive».
Quarante études de cohorte (prospectives ou rétrospectives), incluant un total de 63 887 patients, ont été identifiées. Parmi les patients inclus, 68% ont été référés à un néphrologue précocement et 32% tardivement. Les critères de jugement primaires considérés étaient la mortalité, l’hospitalisation et la qualité de vie.
Les patients référés de façon précoce, par rapport à ceux référés tardivement :
avaient une mortalité moindre à trois mois (RR 0,6 ; IC 95% : 0,6-0,7 ; 4 études), douze mois (RR 0,7 ; IC 95% : 0,6-0,7 ; 16 études) et à cinq ans (RR 0,7 ; IC 95% : 0,6-0,7 ; 3 études) après le début de la dialyse.
étaient moins longtemps hospitalisés lors de l’initiation de la dialyse (DM -9,1 jours ; IC 95% : -10,9 à -7,3 ; 6 études).
Une méta-analyse de la qualité de vie n’a pu être effectuée car seules deux études rapportaient ce critère de jugement.
Par ailleurs, les patients référés précocement étaient plus susceptibles de débuter un traitement de suppléance par la dialyse péritonéale que par l’hémodialyse (RR 1,7 ; IC 95% : 1,6-1,8 ; 16 études) et, en cas d’hémodialyse, d’utiliser un accès vasculaire permanent (fistule artério-veineuse) (RR 3,2 ; IC 95% : 2,9-3,6 ; 15 études).
Pas d’étude randomisée comparative disponible, et qualité des études incluses évaluée comme faible à modérée. Les patients référés tôt étaient toutefois comparables en termes de comorbidités, à ceux référés tardivement.
Hétérogénéité de la définition de la consultation précoce, des périodes de réalisation des études (14/40 études conduites dans les années 1990), des prises en charge, des pratiques de référence aux spécialistes et pratiques de mise en dialyse.
Longueur du suivi indéterminée dans 17/40 études.
Les résultats de cette revue ont montré que la mortalité à court et moyen termes ainsi que la durée d’hospitalisation initiale étaient moindres chez les patients avec une IRC préterminale adressés tôt à un néphrologue. Ces patients étaient également mieux préparés à la dialyse avec notamment la confection plus fréquente d’un accès vasculaire permanent.
Votre patient, qui progresse vers une insuffisance rénale terminale, doit être référé dès à présent à un néphrologue afin de l’orienter et de le préparer à un mode de suppléance rénale. Même si les patients sont souvent très réticents à aborder une discussion au sujet de l’IRT, le bénéfice est loin d’être négligeable : diminution de la mortalité, choix de la méthode de suppléance rénale (avec éventuelle transplantation préemptive), risque moindre de complications et hospitalisation plus courte.
Cette méta-analyse montre qu’adresser un patient ne serait-ce qu’au minimum six mois avant le début de la dialyse apporte un bénéfice en termes de mortalité. Il est important de réaliser que cet intervalle de temps est trop court pour ralentir la progression vers l’IRT. Il ne permet que de préparer une entrée en dialyse dans les meilleures conditions possibles.