Depuis les années 2000, le paysage d’internet a été bouleversé par le développement du web 2.0 sous forme de blogs puis des réseaux sociaux. Dans le même temps, la commercialisation des Smartphones a généralisé l’emploi de l’internet mobile de pair avec le développement d’infrastructures réseaux permettant la vidéoconférence. Parmi ces nouveaux outils, Twitter a trouvé une place prépondérante dans les médias traditionnels et électroniques, tout comme iMessage, What’sApp, Skype ou Facetime se sont peu à peu imposés dans le quotidien. Facebook ayant été traité dans un article précédent,1 nous développerons ici l’emploi professionnel de Twitter et Skype.
Twitter est un réseau social développé depuis 2006 et destiné initialement à la téléphonie mobile. Il permet l’envoi de publications (tweets ou posts) de 140 caractères maximum, auxquelles on peut attacher une image ou un lien. Aujourd’hui, moins de dix ans après le premier tweet, le réseau social compte plus de 300 millions d’utilisateurs actifs à travers le monde, dont 600 000 environ en Suisse. De ces 600 000 utilisateurs, 250 000 envoient des tweets quotidiennement. La force de Twitter réside en une réactivité unique face aux événements politiques ou naturels (par exemple le tremblement de terre de l’est du Japon en 2011). Accessible depuis un simple téléphone mobile tout comme un ordinateur, il permet de suivre des «fils» (streams) de publications proposées par des auteurs auxquels le lecteur est invité à s’abonner. L’utilisateur peut aussi ouvrir un compte personnel gratuit, ce qui lui permet de publier à son tour, de proposer des réponses aux publications parcourues ou de les reprendre, amplifiant alors la visibilité d’un tweet original. Cette possibilité de reprendre et de retransmettre des tweets fait que l’émetteur d’un message n’a aucun contrôle sur le nombre ou les caractéristiques des personnes qui le recevront, ni sur le moment où il sera lu. De plus, si les tweets peuvent être retirés d’un compte, ils peuvent être repris (par exemple, par copie d’écran) et diffusés ultérieurement. Ces caractéristiques des réseaux sociaux (absence de contrôle sur les destinataires, persistance des messages sur le web) peuvent poser des problèmes que nous développerons plus loin.
Sur le plan professionnel, Twitter peut être utilisé pour la formation par le suivi des fils des organismes officiels (Office fédéral de la santé publique : @bag_ofsp_ufsp), des scientifiques reconnus, des journaux et revues médicales (tableau 1), des congrès,2 voire même d’interventions chirurgicales en direct.3 Lors d’un congrès, Twitter permet de faire émerger les questions du public, qui peuvent être intégrées en temps réel au débat.
De par la possibilité de toucher un large public, Twitter peut être utilisé par les universités et les hôpitaux pour améliorer la formation des professionnels de santé4 et des patients.5 De même, certains services hospitaliers animent leur journal-club en ligne avec Twitter, avec des interactions internationales en temps réel.
Twitter permet également de communiquer avec ses pairs : des interactions inédites entre médecins sont alors possibles, avec la possibilité d’avoir des avis tiers ouverts au monde entier. Certains médecins publient tel cas dermatologique, ou tel tracé d’ECG par curiosité ou avec la demande d’une interprétation (par exemple, mot-clé #DocsTocToc) (figure 1).
Du fait de la structure «ouverte» de Twitter, les messages postés sont accessibles à la communauté et peuvent donc être utilisés pour la recherche. Ainsi, les réseaux sociaux permettent une épidémiologie nouvelle, basée sur l’émergence des mots-clés employés (hashtags) et la géolocalisation, permettant de suivre et parfois de prédire en temps réel l’évolution d’une épidémie de grippe influenza ou d’Ebola.6
Plusieurs outils de vidéoconférence et téléphonie par internet (VOIP, voice over the internet protocol) sont actuellement disponibles et offrent des perspectives intéressantes dans la pratique médicale. Parmi ceux-ci, Skype est le logiciel gratuit le plus connu. Développé en Estonie en 2003, puis racheté en 2012 par Microsoft, il s’est imposé sur les différentes plateformes informatiques avec plus de 300 millions de comptes.
Plusieurs limitations sont toutefois relevées : ces logiciels demandent de bonnes infrastructures informatiques avec une bande passante suffisante, présentes dans la plupart des cabinets médicaux en Suisse mais pas toujours disponibles dans des pays en voie de développement. La transmission des données n’est pas cryptée de bout à bout, ce qui permet l’interception des communications par des tiers (tableau 2). Plusieurs solutions sont actuellement disponibles, certaines avec la garantie de leurs serveurs sur territoire helvétique, mais leur divulgation reste encore confidentielle.
Sur le plan médical, Skype peut trouver son application dans la communication entre médecins (les communications vidéos pouvant regrouper jusqu’à dix interlocuteurs), et la télémédecine. Certains hôpitaux périphériques emploient des solutions comparables pour les consultations spécialisées (par exemple, un avis neurologique) entre médecins, avec en plus la possibilité de partager la vue de l’écran (laboratoire, radiologie, voire ultrasonographie). Certains services hospitaliers ont fait l’essai d’un suivi ambulatoire postopératoire de la main. D’autres services l’ont utilisé pour effectuer un triage des urgences afin de désengorger les services de premier recours.7 En Suisse, un programme de consultation médicale à distance depuis une centaine de pharmacies (par exemple, le projet Netcare sous la responsabilité de l’entreprise Medgate) existe depuis 2012.
Skype peut aussi être utilisé dans la communication avec les patients, mais le nombre d’études est encore trop faible pour pouvoir conclure sur son efficacité.8 Des résultats encourageants auraient été obtenus chez les patients diabétiques insulinodépendants9 ou atteints de colite inflammatoire,10 mais demandent à être confirmés sur de plus grandes cohortes.
Sur le plan de la formation continue, d’autres outils tels Hangouts ou YouTube permettent de suivre en direct ou en différé des colloques de formation,a,b avec une large audience (jusqu’à plusieurs millions de connexions simultanées).
Les réseaux sociaux ont été conçus pour le grand public, et n’ont été utilisés qu’ultérieurement dans la pratique médicale. De ce fait, ils ne sont pas adaptés aux exigences de la communication médicale (sécurité et confidentialité des données, non accès par des tiers) et ne devraient être utilisés qu’avec un minimum de précautions. Il est intéressant de noter que les conséquences éthiques de l’utilisation des réseaux sociaux n’ont fait l’objet de réflexions que très récemment.
L’utilisation des réseaux sociaux a considérablement modifié l’abord de la communication médicale par un élargissement démesuré de l’espace de communication entre soignant et soigné.
En ce qui concerne Twitter, il faut tenir compte que tout message posté devient permanent et accessible par tout un chacun. Chaque utilisateur laisse donc une «trace» personnelle indélébile, qui pourra être consultée par des tiers. De plus, tout message peut être retransmis à un nombre indéfini de destinataires et son interprétation modifiée du fait de la perte du contexte. Ainsi, un message apparemment anodin, émis en dehors du contexte du travail, pourra être interprété de manière inadéquate, avec des conséquences imprévisibles sur l’image de l’auteur et plus généralement de ses collègues. En d’autres termes, les titulaires d’un compte Twitter sont le miroir de leurs tweets.11 De ce fait, il est préférable d’avoir deux comptes séparés, un pour sa vie privée et un autre pour son activité professionnelle.
Concernant Skype, l’environnement protégé de la salle de consultation est projeté dans d’autres espaces qui ne garantissent pas le même niveau de confidentialité. L’utilisation d’ordinateurs portables, voire de téléphones mobiles, permet de transformer (in)volontairement un entretien supposé privé en une véritable conférence publique. L’utilisation de haut-parleurs associée à une accessibilité aux locaux de la téléconférence par des personnes étrangères peut mettre à mal le secret professionnel. Un exemple serait le cas de la communication de mauvaises nouvelles à un patient en présence (non visualisée à l’écran par le médecin) de membres de sa famille ou de collègues de travail.
Du fait de leur dématérialisation, les réseaux sociaux donnent une fausse impression de confidentialité, dont les conséquences ont déjà été évoquées dans un article précédent.1 Une étude suédoise a montré que 6% des médecins et étudiants en médecine suédois ayant un compte Twitter avaient envoyé des messages portant atteinte à la confidentialité des patients.12 Les messages problématiques étaient le plus souvent envoyés à partir de comptes avec des pseudonymes plutôt qu’avec la vraie identité des envoyeurs. Une étude américaine a montré que la plupart des facultés de médecine avait déjà été confrontée à des messages émis par les étudiants qui violaient la confidentialité des patients, et que la plupart (62%) ne disposait pas de règles à ce sujet.13 Une autre étude américaine a montré que 60% des commissions médicales des différents Etats américains avaient reçu des plaintes pour des violations de la confidentialité des patients sur les réseaux sociaux.14
Des règles de bonnes pratiques sur les réseaux sociaux ont été éditées en Suède,c aux Pays-Bas,d au Royaume-Uni,e ou aux Etats-Unis.f En Suisse, une règlementation sera bientôt proposée par la FMH mais ses contours ne sont pas encore connus. Des réglementations locales ont également été implémentées dans de nombreux hôpitaux, y compris en Suisse. Le tableau 3 propose une liste de bonnes pratiques sur les réseaux sociaux, colligées à partir de plusieurs sources.
L’intrusion des réseaux sociaux dans la communication entre médecin et patient n’a pas soulevé que des problèmes éthiques ou déontologiques, elle a également soulevé de nouvelles questions légales ou assécurologiques. Par exemple, en cas de consultation via Skype, sur quelle base se fera la facturation ?
De même, comment agir en cas d’appel de détresse d’un patient sur Twitter ? Si le médecin n’agit pas, pourra-t-il être accusé de non-assistance à personne en danger ?3
Par leur attractivité et leur généralisation, les réseaux sociaux prendront encore davantage d’importance à l’avenir dans la communication entre médecins et entre médecins et patients. Si leur émergence entraîne de nouvelles problématiques légales ou déontologiques, elle est l’occasion de repenser globalement la gestion de l’information médicale et saisir le plein potentiel de ces nouveaux médias.
La pratique des réseaux sociaux devrait être en continuité avec le code déontologique. A cet effet, une sensibilisation à leur emploi devrait être proposée dès la formation prégraduée, en rappelant les applications mais aussi les limites de ces nouveaux médias, et reprise par les institutions et associations professionnelles.