L’abord chirurgical ouvert, médian, «conventionnel», appliqué au rachis thoraco-lombaire est souvent pratiqué. L’incision médiane offre l’avantage d’un accès direct et plus aisé aux éléments osseux. Cependant, cette approche expose d’une manière plus ou moins importante la musculature et les éléments ostéo-ligamentaires qui ne sont pas directement concernés par la chirurgie. Ces structures lésées par l’abord chirurgical peuvent être à l’origine de complications augmentant la morbidité des interventions lombaires. Dans le cas d’une chirurgie lombaire sur plusieurs niveaux, la désinsertion du tissu musculaire peut provoquer des pertes sanguines significatives et, chez le patient âgé, par exemple, l’impact sur la santé peut s’avérer non négligeable (nécessité de transfuser, alitement prolongé, problèmes respiratoires et hémodynamiques).1 En suivant l’exemple d’autres spécialités chirurgicales, les chirurgiens du rachis tendent à appliquer la méthode minimalement invasive à la chirurgie du rachis (MISS : Minimally invasive spine surgery) dans des situations de plus en plus fréquentes.2,3 Le développement des techniques endoscopiques et d’instruments dédiés à l’abord percutané est aujourd’hui garant de l’enseignement de la méthode MISS dans beaucoup de centres.4
Les exigences sont importantes : il s’agit d’assurer une efficacité chirurgicale comparable à celle de la méthode conventionnelle ouverte en n’infligeant que peu ou pas de dommage aux structures musculo-squelettiques adjacentes au site opératoire. Le but est clair : diminuer le taux de complications liées aux pertes sanguines, à l’immobilisation prolongée ainsi qu’aux douleurs postopératoires. Les avantages sont, par ailleurs, abondamment décrits dans la littérature : incisions cutanées plus discrètes et moins douloureuses (nécessitant moins d’antalgie postopératoire) ; diminution de la dégradation musculaire ne générant ainsi que peu ou pas de rétraction cicatricielle douloureuse ; diminution des pertes sanguines, du taux d’infection et mobilisation postopératoire accélérée. C’est au final le séjour hospitalier qui s’en trouve raccourci et le retour à la vie professionnelle et aux activités de la vie quotidienne (AVQ) est accéléré.5,6
La limite de l’abord minimal réside en l’absence de repères anatomiques clairs et précis, rendant la tâche du chirurgien plus ardue dans un premier temps. La radiographie peropératoire est un moyen simple, précis et peu onéreux de pallier ce problème. Toutefois, l’irradiation du personnel et du patient est certainement initialement augmentée.7,8 Par ailleurs, la courbe d’apprentissage de la méthode MISS est moins raide que celle de la méthode ouverte ; la durée chirurgicale est augmentée lors de la phase initiale d’apprentissage. Cependant, la différence de timing opératoire tend à diminuer au fur et à mesure que l’expérience de l’équipe chirurgicale augmente, atteignant au final un temps similaire à la chirurgie conventionnelle ouverte, voire diminué.9,10 Après une période d’apprentissage prolongée par rapport à l’abord classique, l’équipe opératoire (chirurgicale et anesthésique) obtient un risque chirurgical globalement moindre, en réduisant les douleurs postopératoires liées à l’exposition du rachis.10–12
La première laminectomie réalisée dans le contexte d’une sténose canalaire post-traumatique remonte à 1829,13 alors que la première laminectomie pour décompression de canal lombaire étroit (CLE) secondaire à un mal de Pott est décrite en 1883 par William Mac Ewen.14 La première laminectomie couplée à une discectomie est réalisée et décrite en 1906 par Oppenheim et Krause.15 Mixter et Barr sont également abondamment cités dans la littérature car ce sont eux qui ont réalisé la première discectomie lombaire en 1934.16 C’est à l’introduction du microscope et à la révolution amenée par Yasargill et sa technique microchirurgicale que l’on doit l’essor de la chirurgie mini-invasive. En effet, Yasargill pratiquait déjà la microdiscectomie (discectomie microchirurgicale assistée par microscope) en 1967, lorsqu’il travaillait à la Clinique neurochirurgicale de l’Hôpital universitaire de Zurich.3 Caspar a également contribué au développement de la technique microchirurgicale appliquée au rachis lombaire.17–19 Ce n’est en réalité qu’en 1988 que le concept de simplification de l’accès chirurgical est mentionné, avec la première réalisation d’un accès unilatéral à l’occasion d’une décompression sélective bilatérale pour cure de CLE (technique dite de l’undercutting controlatéral ou over the top technique).20 Dans le même esprit, Faubert et Caspar décrivent, en 1991, l’utilisation d’un tube métallique comme outil d’accès chirurgical.21 C’est finalement en 1997 que Foley et Smith décrivent la première microdiscectomie endoscopique.22
Par techniques complexes, on entend la fusion intersomatique lombaire postérieure (PLIF, posterior lumbar interbody fusion, décrite par Cloward en 1952) et la fusion intersomatique lombaire transforaminale (TLIF, transforaminal lumbar interbody fusion, décrite par Harms en 1982).3 Magerl a été le premier à insérer des vis pédiculaires par voie percutanée en 1982 ;3 l’évolution de cette technique, couplée à l’utilisation de rétracteurs chirurgicaux de plus en plus perfectionnés, a permis l’élargissement de la gamme de techniques de fusion lombaires, comprenant le PLIF et le TLIF, qui peuvent aujourd’hui être réalisés en technique MISS. Par ailleurs, Khoo fut le premier chirurgien à effectuer un PLIF en MISS, en 2002.23 Peu de temps après, Schwendermarkt publia ses résultats TLIF-MISS.24 Outre son application chirurgicale à la maladie discale lombaire dégénérative, la technique MISS peut aujourd’hui être appliquée à un certain nombre d’autres maladies et à des procédures avec ou sans instrumentation.
La technique MISS ne permet pas la visualisation directe du site opératoire par le chirurgien. Outre les repères anatomiques utiles, cette technique repose sur l’utilisation peropératoire de rayons X, utilisés dans la planification et l’orientation chirurgicale. Ceci résulte en une exposition accrue aux radiations et génère l’élaboration de techniques de neuronavigation appliquées au rachis de plus en plus sophistiquées. Ainsi, depuis 2007, le C-arm 3D est disponible.25 L’acquisition des images se fait avant l’incision, en salle opératoire ; la fluoroscopie n’est plus utile après l’incision. Au moyen de systèmes de navigation 3D, l’exposition au rayonnement peut être considérablement réduite et la précision chirurgicale est également augmentée.26–28
Six axes majeurs méritent à notre avis une analyse ciblée car ils sont des déterminants fondamentaux de la prise en charge médico-chirurgicale des patients ainsi que des coûts de la santé. Il s’agit :
des pertes sanguines peropératoires ;
du traumatisme musculaire ;
de la mobilisation précoce postopératoire ;
du taux d’infections ;
de la durée et de l’intensité de l’antalgie postopératoire ;
la durée d’hospitalisation, comme déterminant du coût de la santé, est également prise en compte.
Le premier paramètre déterminant à nos yeux est la quantité de pertes sanguines lors de la chirurgie et donc directement la nécessité de transfuser le malade. La transfusion doit être considérée comme une thérapie à part entière, avec ses bénéfices mais aussi ses risques (alloréactions, transmission de maladies, ressources limitées). De nombreuses études ont permis d’estimer une moyenne quantifiant la perte sanguine peropératoire, s’élevant à 220 ml chez les patients opérés en technique MISS et 511 ml chez les patients opérés en technique conventionnelle.5,29,30
Comme décrit plus haut, la musculature paraspinale est plus ou moins exposée aux traumatismes chirurgicaux avec la technique conventionnelle. La technique MISS offre l’avantage d’éviter un traumatisme iatrogène car elle n’impose pas au chirurgien la désinsertion de la musculature. En effet, il existe moins de réactions inflammatoires et moins de pertes de tonicité musculaire.31,32
De nombreux auteurs rapportent une mobilisation postopératoire précoce chez les patients opérés en technique MISS,5,33,34 comparativement à la mobilisation des patients opérés en technique conventionnelle, avec une différence statistiquement significative. Ceci diminue les risques de complications de décubitus, le taux d’infection, l’incidence d’événements thrombo-emboliques et accélère la récupération fonctionnelle du patient.
L’infection postopératoire, véritable hantise du chirurgien et cauchemar pour le patient, est redoutée particulièrement chez les patients soumis à une chirurgie instrumentée, du fait de la présence de matériel inerte, sujet au développement de biofilms. Les infections de matériel opératoire nécessitent la mise en place d’une antibiothérapie intraveineuse ainsi qu’une ou plusieurs révisions chirurgicales. La durée du traitement est souvent longue et requiert une hospitalisation prolongée, avec des conséquences médico-économiques. La technique MISS a l’avantage de ne créer que peu d’espace mort et de n’offrir aux bactéries qu’une porte d’entrée réduite (la plupart des infections chirurgicales de matériel opératoire révèlent la présence de germes cutanés). L’absence de nécrose iatrogène diminue grandement le substrat idéal au développement d’infections. Le taux d’infections postopératoires à court et moyen termes est ainsi diminué de manière statistiquement significative chez des patients avec des interventions du rachis selon la technique MISS.35
L’antalgie postopératoire est un axe cardinal de la prise en charge chirurgicale des pathologies du rachis. En raison du traumatisme musculaire iatrogène plus ou moins important, les patients peuvent nécessiter une antalgie soutenue, parfois au moyen de cathéters périduraux posés en fin d’intervention ou de pompes à morphine. Ces douleurs peuvent prolonger l’alitement et ainsi ralentir la récupération fonctionnelle. L’administration de morphiniques ou de dérivés morphiniques est diminuée chez les patients opérés en technique MISS du fait de l’abord quasiment atraumatique. Ceci est particulièrement vrai chez les patients ayant bénéficié d’une chirurgie lombaire instrumentée.33,36–38
En tant que déterminant important du coût de la santé, la durée d’hospitalisation a également été analysée chez les patients ayant bénéficié d’une technique MISS. En moyenne, le séjour hospitalier est diminué de deux à quatre jours. Ces résultats ont été observés par plusieurs auteurs, avec une différence statistiquement significative.5,30,33,34
Il n’existe pas d’essai clinique randomisé comparant les résultats cliniques et fonctionnels de la technique MISS et de la technique conventionnelle concernant le PLIF et le TLIF. La plupart des publications sont basées sur de petits échantillons populationnels, sont rétrospectives et monocentriques.5 Pour confirmer la tendance observée, une étude multicentrique, prospective, randomisée est nécessaire. En effet, de nos jours, le recours à la méthode MISS repose exclusivement sur l’appréciation du chirurgien, son aisance et son expérience. Une analyse plus détaillée du rapport risque-bénéfice, sur la base d’une démarche statistique viable, est nécessaire pour déterminer, en fonction de chaque opération et de chaque patient, si la méthode MISS est applicable, utile et réalisable.
Toute intervention chirurgicale élective a pour but de soulager le patient en garantissant une morbidité et une mortalité les plus basses possibles, associées à une efficacité maximale. La méthode MISS présente de clairs avantages car elle est moins délabrante, diminue nettement les pertes sanguines peropératoires et diminue le taux d’infections. Cependant, son application dépend largement de la pathologie spinale en question, de la physionomie du patient, de l’expérience du chirurgien et de l’infrastructure à disposition. Il est démontré que les patients qui subissent une période d’immobilisation postopératoire prolongée ont un risque augmenté de maladie thrombo-embolique, de pneumonies nosocomiales et autres infections acquises en milieu hospitalier. La durée d’immobilisation postopératoire raccourcie est un argument supplémentaire au choix de la technique MISS, qui peut donc être appliquée plus largement à la population âgée et aux comorbidités défavorables. Des études prospectives devront être réalisées dans le futur pour confirmer cette hypothèse.