Qui n’a pas entendu parler de la 21e «conférence des parties» (COP21) ? Cet événement planétaire se tiendra du 30 novembre au 11 décembre dans le nord immédiat de Paris. Sans le maîtriser pleinement (qui le pourrait ?), nous avons tous quelques idées sur le sujet. Chacun sait que l’enfer à venir (ou pas) est une affaire de deux ou trois degrés. Mesurons-nous pour autant la variété et l’ampleur des problématiques ? Rien n’est moins sûr. En témoigne un document peu banal, et encore moins médiatisé : l’avis rendu sur la question par le Comité consultatif national français d’éthique (CCNE) ; quelques feuillets intitulés «Repenser la place de l’humanité dans la nature».1
Il s’agit, comme ne le dit pas le titre, de la contribution des «sages» de ce comité aux mille et une réflexions que génère la COP21. On observera que ces «sages» ont jugé utile de ne pas mettre de majuscule à la Nature. Sans doute faut-il voir là une volonté consubstantielle de désacraliser cette dernière. Ou d’une erreur de relecture.
Que peut nous dire ici l’éthique, cette morale en marche, sur les changements climatiques ? «La multiplication des événements météorologiques et climatiques extrêmes fait prendre conscience des changements de l’environnement à l’échelle planétaire et de leurs liens avec les activités humaines, écrivent les "sages" du CCNE en préambule. Mais cette prise de conscience demeure le plus souvent focalisée sur le seul changement climatique, sans prendre en compte l’ensemble des conséquences négatives des dégradations de l’environnement sur les conditions de vie, les inégalités sociales et la santé humaine.»
Sautons à leur conclusion : «Il y a urgence à intensifier les efforts de l’humanité pour réduire les inégalités entre les pays et entre les personnes au sein d’un même pays, en adoptant des mesures qui préservent le bien-être humain et protègent l’environnement au-delà de sa seule composante climatique.» Pour le CCNE, «l’acuité des problèmes écologiques nécessite de repenser nos relations au sein de l’humanité, et celles de l’humanité au sein de la nature, en élaborant de nouveaux concepts de solidarité, de responsabilité et d’équité, dans une démarche d’anticipation et de prévention privilégiant la préservation des ressources naturelles au bénéfice de l’ensemble de l’humanité.»
Ce sont là de vastes généralités fondées, pour l’essentiel, sur les hypothèses des conséquences sanitaires du réchauffement planétaire telles qu’elles sont présentées par l’Organisation mondiale de la santé. Ce faisant, le CCNE fait l’impasse sur le questionnement et les controverses qui sont au cœur même de la problématique éthique du réchauffement climatique – soit, pour faire court, sur le «climatoscepticisme».
Les controverses sur le réchauffement climatique portent sur deux points essentiels : sur l’existence même d’un réchauffement climatique et sur les causes de celui-ci. Si l’existence du premier n’est généralement plus remise en cause au sein de la communauté scientifique, son ampleur l’est davantage, notamment par rapport à d’autres périodes de réchauffement plus anciennes. Quant aux causes, le consensus absolu n’est pas encore obtenu même si la balance penche très largement pour dire que le réchauffement est dû aux «activités humaines».
C’est dans ce contexte de certitudes-incertitudes, d’hypothèses à valider, de modélisations contestées qu’est apparu puis qu’a grossi le dossier du «climatoscepticisme». Et ce qui aurait pu être un beau débat, une noble controverse, une saine dispute, s’est progressivement transformé en objet de passion. Opprobres, anathèmes, excommunications, sans oublier les accusations de conflits d’intérêt… rien n’a manqué.
Les sages français du CCNE ne sont pas rentrés sur ce terrain. Partant, ils nous ont privés de leurs lumières. «Le climatoscepticisme relève-t-il de la science ?» C’est la question, un degré provocatrice, soulevée dans Le Monde par Philippe Huneman, directeur de recherche à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et techniques CNRS/Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne). Poser le débat en ces termes c’est, déjà, presque répondre. Et M. Huneman d’apporter sa voix à celles, éditorialisantes qui, dans ce même quotidien, font régulièrement feu sur les sceptiques.
«Les positions climatosceptiques sur le fait du changement climatique relèvent souvent de la non-science, assure M. Huneman. Peu ou prou, elles ressemblent à l’avis de l’homme ordinaire soutenant qu’il n’y a aucun réchauffement car il a fait singulièrement froid en novembre 2014 à Paris (aucune prédiction climatique – par nature probabiliste et à grande échelle – n’est infirmée ni même concernée par un tel fait local instantané).
Le discours climatosceptique sur la cause de ce fait, lui, relève souvent davantage de la science fausse (…). Il est donc réfutable, à condition de l’isoler des éléments non scientifiques qui, comme tels, restent irréfutables.»
M. Huneman ajoute que le «mouvement climatosceptique» est difficile à saisir car, par certains côtés, il est effectivement non scientifique, tandis que par d’autres il défend des thèses scientifiques fausses. Un Janus pervers en somme. «Il est à la fois dans la science et en dehors d’elle, observe-t-il. Ce statut ambigu lui confère une singulière aptitude à fuir les critiques : là où on vient réfuter une thèse fausse, le climatosceptique peut se replier vers une position où il rejette en bloc la science et ses procédures usuelles (auxquelles souscrivent la majorité des climatologues) et là où on lui reproche d’être antiscientifique, il peut facilement se défendre en montrant qu’il use des mêmes méthodes que les scientifiques du climat – et donc que le consensus scientifique, que politiques et journalistes présentent comme un fait, n’en est pas un.»
On relit cette dernière phrase. Et on ne peut manquer d’être troublé par cette association : «politiques et journalistes». Main dans la main, ils présenteraient «comme un fait» un «consensus scientifique» – consensus par ailleurs contesté. Cette association ne peut manquer de surprendre, d’inquiéter. On pourrait en effet rappeler qu’il existe, qu’il doit exister, une indépendance radicale du journaliste vis-à-vis du politique. Et soutenir que le sceptique, interrogeant sans cesse le niveau de véracité, demande plus de preuves, stimulant ainsi le scientifique dans sa quête perpétuelle de déchiffrage du réel commun.
«L’agence de presse Associated Press a récemment décidé de remplacer le terme de "sceptique", jugé péjoratif, par celui de personne qui doute ("doubter")» nous apprend d’ailleurs Slate.fr. Réhabiliter les sceptiques comme des interlocuteurs dignes d’être écoutés ? Juger que leur présence apporte au débat scientifique médiatisé plus qu’elle ne lui nuit ? Tout ceci ne peut évidemment s’entendre que dans un monde où chaque participant est de bonne foi. C’est très précisément la question : qu’est-ce que la bonne foi dans un débat scientifique ? Doit-on observer les mêmes règles, dans le cas du réchauffement climatique, que celles qui prévalent dans le champ de la philosophie ou de la théologie ?
Avant de gagner le nord de Paris, et l’aéroport du Bourget où se tiendra la COP21, il nous faut peut-être retravailler l’histoire du «sexe des anges». Et revoir, signée de Jean-Claude Carrière, la «Controverse de Valladolid». Dans un cas le monde, à l’Est, s’effondrait. Dans l’autre, un siècle plus tard, à l’Ouest, il grandissait. Souvenons-nous, c’était peu avant le début du grand réchauffement.