C’est une nouvelle et spectaculaire étape dans les progrès de l’assistance chirurgicale à la procréation. L’Agence nationale française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (ANSM) vient d’accorder une autorisation pour un premier essai clinique de greffe d’utérus à une équipe du CHU de Limoges. Le protocole prévoit d’inclure huit femmes qui recevront chacune un utérus prélevé sur le corps d’une femme en état de mort cérébrale (dans le cadre de prélèvements de différents organes). L’information était attendue depuis la publication, en juin dernier, d’un rapport éclairant de l’Académie nationale de médecine1 sur un thème qui n’est pas sans soulever quelques interrogations éthiques.
On sait que l’utérus n’est pas un organe vital mais que son absence équivaut à une stérilité définitive souvent à l’origine de grandes souffrances. Pour les femmes concernées souhaitant un enfant, les seules solutions sont l’adoption ou la gestation pour autrui (officiellement interdite en France comme dans de nombreux pays). Or, la transplantation utérine est une alternative devenue crédible depuis les premières et récentes naissances d’enfants en Suède. En juin dernier, on comptait à travers le monde trois naissances vivantes et neuf transplantations dont sept réussies. Si elles sont possibles, de telles greffes sont-elles souhaitables, et si oui, sous quelles conditions ? Il faut ajouter que la greffe d’utérus est envisagée comme une «greffe éphémère» : après avoir été greffé, l’organe est retiré à la suite d’une ou deux grossesses (afin de limiter dans le temps l’impact des traitements immunosuppresseurs).
En France, deux équipes étaient jusqu’ici partantes avec des approches opposées. A Limoges, l’équipe du Dr Tristan Gauthier travaille depuis plusieurs années sur la greffe à partir de prélèvements sur cadavres. A l’Hôpital Foch de Suresnes, Jean-Marc Ayoubi et René Frydman ont fait le choix des donneuses vivantes – comme l’équipe suédoise du Pr Mats Brännström de l’Université de Göteborg. Cette dernière dispose aujourd’hui, après de nombreuses recherches, de la plus grande expérience au monde.
«Sans aucun préalable expérimental, la première et, longtemps la seule, greffe d’utérus humaine connue eut lieu en 2002 à Djedda en Arabie Saoudite.2 Ce fut un échec, peut-on lire dans le rapport des académiciens français. Il s’agissait d’une transplantation à partir d’une donneuse vivante de 46 ans qui subissait une hystérectomie pour un kyste ovarien non cancéreux. L’intervention se solda pour elle par la plaie d’un uretère et l’ablation du rein sus-jacent. La receveuse avait 26 ans et avait subi une hystérectomie d’hémostase à l’âge de 20 ans pour une hémorragie de la délivrance. L’obstacle majeur à la greffe résidait dans la possibilité d’anastomose des vaisseaux du greffon à ceux de la receveuse. Un greffon de la veine saphène fut utilisé à cet effet. La receveuse fut traitée par ciclosporine, ce qui n’a pas empêché la survenue d’un rejet au 9e jour. Un sérum anti-thymocytes, propre à juguler les réactions immunitaires indésirables, fut alors administré. Mais, au 99e jour, l’ablation de l’utérus greffé devint nécessaire car les vaisseaux utérins étaient thrombosés et l’utérus nécrosé.»
L’essai clinique français à venir a été approuvé par un comité de protection des personnes. Il est financé par des fonds publics, dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique. Une présélection des participantes est en cours. «L’objectif principal de cette étude de faisabilité est de démontrer que les bénéfices sont supérieurs aux risques, c’est-à-dire que ces transplantations peuvent permettre d’aboutir à des naissances, sans complications majeures» a expliqué au Monde le Dr Gauthier, gynécologue-obstétricien. Il ajoute que son équipe a reçu «énormément de demandes» à l’échelle nationale. L’ANSM a jugé nécessaire de limiter l’étude à des femmes qui n’ont pas encore d’enfant. La première greffe française devrait être pratiquée à Limoges en 2016, suivie (ultérieurement) par une implantation d’un embryon conçu par fécondation in vitro.
Les demandes potentielles sont peut-être plus nombreuses qu’on pourrait a priori l’imaginer. La principale indication est l’absence d’utérus. Elle peut être d’origine congénitale s’associant à l’absence des deux tiers supérieurs du vagin dans le syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH) qui atteint une femme pour 4500 en France, soit environ 100 à 200 par an. Ce syndrome est caractérisé par une aplasie congénitale de l’utérus et de la partie supérieure du vagin, chez des femmes ayant un développement normal des caractères sexuels secondaires et un caryotype 46 XX normal. Le premier signe est une aménorrhée primaire survenant chez des femmes jeunes ayant par ailleurs des caractères sexuels secondaires normalement développés, des organes génitaux externes normaux, un fonctionnement ovarien normal et un caryotype 46 XX sans anomalies chromosomiques apparentes. Il a longtemps été considéré comme une anomalie sporadique, toutefois un nombre croissant de cas familiaux laisse penser à une hypothèse génétique (transmission sur un mode autosomique dominant avec une pénétrance incomplète et une expression variable). Le traitement de l’aplasie vaginale (reconstitution d’un néovagin) peut permettre une vie sexuelle normale. Il ne répond toutefois pas à la souffrance psychologique des patientes.
Mais l’absence d’utérus peut aussi succéder à une hystérectomie d’hémostase, faite le plus souvent en urgence pour sauver la vie d’une femme ayant une hémorragie très abondante de la délivrance – fréquence de l’ordre de 0,5 pour mille, soit environ 350 à 400 cas par an en France. L’absence d’utérus peut encore être due également à son ablation pour cancer, soit dans l’enfance ou l’adolescence (sarcome de l’utérus, tumeurs malignes de l’ovaire), soit à l’âge adulte (cancer du col), indication devenue de plus en plus fréquente qui doit être pesée avec le plus grand soin en raison du risque accru de récidive ou de néo-tumeurs liées au traitement immunosuppresseur.
La deuxième indication est l’existence de malformations utérines ou la destruction fonctionnelle de l’utérus. La troisième est l’existence d’antécédents d’avortements spontanés, de grossesses extra-utérines ou de morts fœtales à répétition, ou d’échecs répétés de fécondation in vitro.
Cette nouvelle donne conduira immanquablement à soulever, en France, la question des avantages et des inconvénients comparés entre transplantation utérine et gestation pour autrui – et ce même si la GPA reste une pratique prohibée en France et que cette prohibition devrait durer (au minimum) jusqu’à la prochaine élection présidentielle. On peut ici se reporter au rapport de l’Académie nationale française de médecine :
«La transplantation utérine aurait plusieurs avantages dont le moindre ne serait pas, sinon de tarir le commerce éhonté des "ventres à louer" et l’asservissement des femmes, du moins d’en diminuer le formidable développement. L’indication étant strictement médicale, elle respecte la loi française de bioéthique. Elle ne porte pas non plus atteinte à la valeur symbolique de la maternité. Au plan légal, elle aurait l’énorme avantage de respecter l’adage mater semper certa est (l’identité de la mère est toujours certaine) sur lequel s’appuie la loi française et d’éviter ainsi toute contestation légale. Elle supprimerait les conséquences médicales et psychologiques des liens qui se tissent inéluctablement entre la mère porteuse et l’enfant au cours de la grossesse, de mieux en mieux connus, en particulier depuis le remarquable développement de l’épigénétique. Elle éviterait, enfin, les cruels dilemmes qui se posent dans les GPA devant la découverte d’une malformation de l’enfant, la nécessité de réanimer un très grand prématuré ou un enfant souffrant d’une grave anoxie à la naissance, les parents prenant la décision et non plus la gestatrice.»