La plupart d’entre vous ne connaissent probablement pas le visage de cet homme, décédé le 12 septembre dernier à l’âge de 80 ans.
Lorsque je vous aurai dit qu’il est né américain (Chicago, 1934), puis naturalisé canadien, qu’il s’est d’abord fait connaître pour une activité pédagogique très novatrice en tant que professeur de médecine à l’Université McMaster (Canada)1 et qu’il est l’un des pères de l’épidémiologie clinique, certains l’auront reconnu.
Il était déjà le promoteur d’une médecine plus « sage », humble.
Mais après vous avoir signalé qu’il est le « père » de Evidence based Medicine, plus de doute pour d’autres : il s’agit en effet de David Sackett (1934-2015).
Au début des années nonante, fort du constat que la connaissance médicale devait être mieux évaluée et partagée, David Sackett a lancé le mouvement EBM, dont la meilleure traduction en français est « médecine fondée sur les preuves », le terme « évidence » étant un faux ami en langue française.2
Pour plusieurs d’entre nous, et je pense en particulier à celles et ceux qui, en Suisse, enseignent, pratiquent et développent (activité de recherche) la médecine interne générale et l’épidémiologie clinique, David Sackett est une personne qui a compté dans notre parcours professionnel. J’ai eu la chance de suivre un cours dirigé par David Sackett à Oxford en 2002 (How to teach Evidence based Medicine) ; j’avais alors été frappé par son souci de promouvoir des outils permettant à chaque médecin d’être en mesure de comprendre la littérature scientifique médicale, de pouvoir saisir l’impact (parfois l’absence d’impact !) sur la santé d’un nouveau test diagnostique et d’un nouveau traitement. Il était déjà le promoteur d’une médecine plus « sage », humble (précurseur du mouvement Choosing wisely), du partage de l’information médicale (en tant que leader du développement de la Cochrane Library) et de la décision médicale (shared decision making).
L’activité de David Sackett a favorisé la diffusion du savoir et de la connaissance dans une perspective de démocratie médicale. Son apport doit aussi être apprécié dans une perspective épistémologique, cette discipline qui prend la connaissance scientifique comme objet. Ainsi, le fait de rechercher, identifier, apprécier, analyser les connaissances, puis les intégrer en pratique clinique, représente des objectifs primordiaux d’EBM. Avec certes des imperfections, ce mouvement est en premier lieu un partage de la connaissance.
Il a évidemment suscité beaucoup de résistances, en particulier chez les mandarins de la médecine, car EBM signifiait en quelque sorte la perte d’un certain pouvoir, la fin de l’Eminence based medicine ! Il a également engendré des critiques, salutaires, de certains praticiens (EBM ? c’est cookbook medicine !, EBM ? la fin du sens clinique !…), l’incitant, dès 1996, à préciser que ce souci de fonder notre pratique et nos décisions sur les preuves (ou, surtout en médecine générale, le fait de savoir qu’il n’y a pas de preuve !) n’était en aucun cas antagoniste d’une médecine individualisée, sans jugement clinique.3 Depuis lors, avec d’autres, nous avons essayé de montrer que l’une des composantes de notre métier, à savoir connaître les forces et les faiblesses des données scientifiques médicales, était compatible avec une autre composante primordiale : favoriser la confiance du patient dans une relation personnalisée et empathique. Les commentaires des médecins assistants et chef-fes de clinique que nous avons eu la chance de former et le contact avec les praticiens du terrain suggèrent que cette complémentarité est maintenant bien comprise. D’ailleurs, Trisha Greenhalg, l’une des leaders de la médecine de famille britannique, l’a bien rappelé : Appreciating the narrative nature of illness experience and the intuitive and subjective aspects of clinical competence does not require the practitioner to reject one iota of the principles of clinical epidemiology.4