Face au développement des actions terroristes, quelles sont, quelles seront, les réactions des structures sanitaires du Vieux Continent ? C’est là une question médicale mais aussi politique ; un sujet de santé publique en lien direct avec la confiance que les citoyens des Etats démocratiques peuvent avoir dans leur organisation sociale et politique. La médecine est ici aux côtés de la police et de la justice – comme elle peut être, ailleurs, avec les forces armées. De ce point de vue, après les attentats de Madrid (2004) et de Londres (2005), la réaction des médecins et des soignants de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) après les attentats du vendredi 13 novembre (130 morts) est riche d’enseignements.
Ce jour-là, Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP a déclenché le « Plan blanc » à 22h30 dans les trente-neuf éta blissements de ce groupe. En pratique, deux dispositifs coordonnés d’accueil des blessés ont été mis en place : un dispositif de « médecine de catastrophe » sur les lieux des attentats ; une mobilisation des hôpitaux. Ces réponses s’inscrivent dans le cadre du plan Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle) élaboré en 2014.1
Au sein de chaque hôpital, il s’agissait de mettre en place une cellule de crise. Chaque direction avait pour mission de rappeler leur personnel d’astreinte, de procéder à la réouverture de lits, d’évaluer la capacité à prendre en charge des blessés selon le type de blessure et les disponibilités des blocs opératoires. Les services de chirurgie thoracique étaient tout particulièrement sollicités du fait du type des blessures par balle. Plusieurs chirurgiens ont parlé de « chirurgie de guerre ».
Dès l’annonce des premiers blessés, une cellule de coordination a été mise en place au SAMU de Paris (hôpital Necker). Le bâtiment du SAMU de Paris a été sécurisé par la police (un risque d’attentat de la cellule de coordination avait été identifié). La coordination des opérations était faite en collaboration avec la Préfecture de police de Paris, l’Agence régionale de santé, les sapeurs-pompiers et la protection civile. Les SAMU et SMUR de banlieue ont aussi été mis à contribution, notamment le SAMU 93 (attaques du Stade de France). Après les attaques dans des bars et des restaurants, un premier tri était régulé par le SAMU et les blessés évacués directement vers les établissements hospitaliers.
A proximité du « Bataclan » (la salle de spectacle cible d’une attaque massive), un poste médical avancé (PMA) a été mis en place et géré sur le mode « médecine de catastrophe ». Les blessés sont alors classés en « Urgence Absolue », « Urgence Grave », « Urgence ». Ce poste médical avancé avait fini son tri deux heures après la fin de l'assaut du Bataclan. Les blessés en « Urgence Absolue U1 » étaient dirigés pour la plupart directement dans les salles de réveil au plus près des services de réanimation et de blocs opératoires (blessés par balle, souvent avec atteinte multiple, qui nécessitaient des soins de chirurgie thoracique, digestive et orthopédique. Les cas « Urgence Relative U2 » étaient pris en charge dans les services d’urgence parisiens ou de proche banlieue par les pompiers ou des services de la protection civile ou de la Croix Rouge. Quant aux cas les moins graves (blessés légers U3), ils étaient traités sur place (consultés plus tard dans un service d’urgences si l’évolution de leur état le nécessitait).
Les victimes ont été principalement prises en charge dans les hôpitaux Saint-Louis, de la Pitié-Salpêtrière, Européen Georges Pompidou, Henri-Mondor, Lariboisière, Saint-Antoine, Bichat et Beaujon. Le samedi 14 novembre, l’AP-HP recensait 300 personnes prises en charge dans ses établissements dont 80 personnes en situation d’urgence absolue, 177 personnes en situation d’urgence relative et 43 personnes impliquées (témoins ou proches). En état de choc, la majorité des personnes étaient atteintes de traumatismes divers et parfois multiples. Et l’AP-HP assurait « disposer des capacités nécessaires pour assurer la prise en charge ». Elle devait très vite démentir des informations publiées dans Le Figaro laissant entendre que les équipes médicales et chirurgicales « manquaient de matériel ».
« Dans la nuit de vendredi à samedi, les hôpitaux ont dû opérer simultanément un grand nombre de patients, alors qu’il n’y a pas d’activité chirurgicale orthopédique programmée la nuit et qu’il n’y en a normalement pas ou peu le week-end, dans des circonstances normales, expliquait alors le service de presse. La solidarité entre les hôpitaux d’une part, la présence des pharmaciens, responsables de la stérilisation pendant la nuit, et de l’ensemble des professionnels revenus dans le cadre du “plan blanc” ou spontanément ont permis de faire face à cette situation exceptionnelle, y compris sur le plan du matériel. Les hôpitaux n’ont donc pas été à court de matériel. C’est la force d’un très grand groupe hospitalier de pouvoir faire face, y compris sous la pression extrême des événements dramatiques, à un afflux aussi considérable de blessés graves. »
De nombreux hommages ont été adressés au personnel sanitaire par le ministère de la Santé, mais aussi par le Conseil national de l’Ordre des médecins
Le 16 novembre, nouveau bilan. Sur les 80 personnes admises en situation d’urgence absolue, 48 ne relevaient plus d’une surveillance intensive en service de réanimation, 29 étaient toujours en service de réanimation et 3 étaient décédées. « Pour mémoire, d’autres victimes ont été prises en charge par les hôpitaux “inter-armées” et d’autres hôpitaux franciliens » ajoutait l’AP-HP qui précisait avoir reçu plus de 4000 appels de personnes souhaitant des informations sur l’identité des victimes «éventuellement hospitalisées». Compte tenu de la confirmation de la bonne prise en charge des patients, le directeur général a levé le plan blanc. L’AP-HP met en place une offre de prise en charge psychologique pour tous ses personnels. Une équipe de psychologues cliniciens et de psychiatres, formée à ce type de prise en charge, assure depuis aujourd’hui des débriefings d’équipe (prise en charge collective) dans les services directement impactés. Les prises en charge individuelles sont assurées de manière complémentaire par les services de la médecine du travail et par les équipes dédiées des cellules d’urgence médico-psychologique, celle de l’Hôtel-Dieu pouvant intervenir pour tous les sites.
De nombreux hommages ont rapidement été adressés au personnel sanitaire par le ministère de la Santé, mais aussi par le Conseil national de l’Ordre des médecins qui a tenu à saluer « la mobilisation exceptionnelle de tous les professionnels de santé, hospitaliers, urgentistes, internes qui, dès l’annonce de ces drames, ont apporté les premiers soins aux victimes de ces attentats ». L’Ordre a également rendu hommage aux syndicats de médecins libéraux et à l’association SOS médecins qui ont immédiatement répondu à son appel de suspension des mouvements de grève qui étaient alors en cours.
Pour sa part, la direction de l’AP-HP n’a guère tardé à saluer « la mobilisation immédiate et constante de tous ses personnels face aux événements tragiques du 13 novembre, notamment des SAMU, des services d’accueil des urgences, des services de chirurgie et de réanimation ».2 La justice veut aussi que l’on salue toutes celles et tous ceux, médecins et infirmières, qui se sont spontanément portés volontaires durant cette nuit tragique, pour venir seconder l’action de leurs consœurs et confrères alors de service.